Les contes de la nuit noire

Un texte signé Sophie Schweitzer

En 1990, John Harrison signe le long-métrage LES CONTES DE LA NUIT NOIRE. Il reprend le même titre que la série ainsi que la forme « anthologie », et bien sûr George Romero qui fut scénariste sur les deux œuvres. Hormis cela, l’œuvre est originale.

Ce spicilège rassemble trois récits horrifiques liés entre eux par l’histoire d’un petit garçon prisonnier d’une femme qui compte le mettre au four. Le jeune garçon cherche à gagner du temps et lit ainsi à la femme des histoires tirées d’un vieux grimoire regorgeant de contes effrayants.
Évidemment, le procédé ressemble beaucoup à CREEPSHOW (LES CONTES DE LA CRYPTE) ; d’autant plus qu’outre l’aspect anthologie horrifique, on retrouve à la production la même équipe, les mêmes producteurs, ainsi que George Romero et Stephen King.

Cependant si l’on devait comparer les deux œuvres, on dirait que l’humour est nettement plus présent dans LES CONTES DE LA NUIT NOIRE que chez son aîné. La mise en scène joue sur l’attente du public en apportant à la fois un côté « connivence », quand le gamin s’adresse au spectateur par exemple, ou plus simplement en retardant sciemment l’instant fatidique, comme dans le premier segment où le scénario joue avec les nerfs du spectateur.
John Harrison connaît son public : des personnes aimant se faire peur, des amateurs de frayeurs qui ont probablement regardé des séries comme THE TWILIGHT ZONE ou bien lu les comics book effrayants dont LES CONTES DE LA CRYPTE font d’ailleurs partie. Dès lors, habitué aux poncifs du genre, quand la musique s’arrête, le spectateur s’attend à ce que le tueur jaillisse pour s’abattre sur sa victime. Toute la mise en scène va jouer avec cette attente du spectateur et sa soumission aux codes du genre. À sa manière, il préfigure un SCREAM.

En revanche, les moyens semblent un peu manquer car la lumière et les décors se révèlent à la hauteur d’une série télé et non pas d’un long-métrage. On reprochera une qualité d’image un tantinet décevante et un éclairage un peu trop frontal. Ce dernier gâche quelques belles idées de mise en scène, comme par exemple le plan d’un chat en noir et blanc au centre d’un cercle de couleurs vives, ou encore l’alléchante apparition d’une momie. En revanche, niveau casting, il est intéressant d’y voir des acteurs encore relativement méconnus à l’époque et qui, pour certains, ont depuis réalisé une brillante carrière. Ainsi, on retrouve Christian Slater (TRUE ROMANCE, ENTRETIEN AVEC UN VAMPIRE), Julianne Moore (MAPS TO THE STARS, HANNIBAL, CHLOE) mais aussi Deborah Harry, la chanteuse de Blondie, qui incarne ici une femme au foyer envisageant de préparer aux petits oignons notre narrateur.

Au cœur de cette anthologie, il y a cette histoire d’une femme au foyer. Dans un film d’horreur, elle pourrait être la victime parfaite. Elle est d’ailleurs présentée comme telle au début du film. Or, c’est elle qui joue le rôle de la méchante sorcière, le balai laissé dans un coin du tableau ne laisse aucun doute là-dessus. Elle détient notre jeune héros enfermé dans une cage et ambitionne de le cuisiner pour son dîner. Pour l’occuper en attendant, elle lui a donné un livre qu’elle lisait elle-même étant enfant, un livre constitué d’histoires horrifiques. Le jeune garçon, pour gagner du temps, décide de lui lire des histoires, selon lui les plus terrifiantes. Bien que reprenant l’histoire d’Hansel et Gretel, cet axe central est intéressant grâce à l’effet participatif induit par le fait que l’enfant communique directement avec le spectateur, se plaçant ainsi de connivence avec lui.

Le premier récit conté par notre jeune héros est l’adaptation d’une nouvelle de Sir Arthur Conan Doyle, Lot 249. Un adolescent, campé par Steve Buscemi, comprend qu’il a été victime d’un mauvais sort. Non seulement la femme qu’il convoite lui a été volée par un gosse de riche, mais en plus il a perdu sa bourse d’études et se retrouve injustement accusé du vol d’un fétiche. Le jeune homme décide de se venger en faisant appel à une momie vieille de plusieurs millénaires. Dans ce premier récit, on retrouve Julianne Moore incarnant la femme convoitée. En apparence, elle ressemble à une adolescente superficielle, en réalité c’est une sacrée garce. On retrouve également Christian Slater, le voisin, qui finit impliqué bien malgré lui dans cette galère.
Assez amusante, cette histoire offre son lot de retournements de situation et d’instants de stress avec une écriture plus fine qu’il n’y paraît.

Le récit suivant s’intitule Cat from Hell, une nouvelle originale de Stephen King. Un riche et excentrique vieil homme vivant dans un effrayant manoir sombre et poussiéreux paie un tueur à gages pour le débarrasser d’un chat noir. L’endroit gigantesque quasi-plongé dans l’obscurité semble terrifiant. On pourrait presque sentir l’odeur du vieillard distillée dans toute la baraque. Vieillard qui tient plus du vampire que de l’humain. Étant placé du point de vue du fringant tueur, le spectateur trouve forcément l’histoire de ce chat assassin quelque peu ridicule… jusqu’à ce que le dénouement démontre que parfois, les apparences sont trompeuses.

Le dernier segment, intitulé Lover’s Vow et écrit par Michael McDowell, scénariste de BEETELJUICE, amène le spectateur dans un quartier chaud d’une quelconque ville américaine. Un artiste sans le sou s’enivre dans un bar. Il croit vivre la pire nuit de toute son existence quand, en sortant du bar, lui et le barman sont attaqués par une créature cauchemardesque, une sorte de gargouille assassine. La créature tue le propriétaire du bar puis menace de s’en prendre à l’artiste à moins que celui-ci ne promette sur sa vie de ne jamais révéler à quiconque ce qu’il vient de voir. Ce qu’il fait. Évidemment, sa vie se poursuit tranquillement jusqu’à ce qu’il soit confronté à la tentation de révéler ce qu’il a vu cette nuit-là… Même si sa forme est plus classique, ce dernier segment est sans doute le meilleur du lot, car le plus efficace.

Cette dernière histoire tient véritablement du conte, sans la fée pour sauver les héros en perdition naturellement. Car, comme l’affirme la ménagère s’apprêtant à mettre au four le petit garçon, ces histoires finissent mal.

Ces histoires sont traitées chacune séparément. Ainsi dans le premier segment, pour les apparitions de la momie, on retrouve une mise en scène évoquant LA NUIT DES MASQUES. Pour la seconde histoire, ses jeux d’ombre et de lumière apportent une atmosphère gothique évoquant le film d’épouvante. La touche expérimentale dans l’image, quant à elle, évoque THE SERVENT, film anglais dont la mise en scène repose beaucoup sur les déformations de l’image ou des couleurs. Le dernier segment est plus classique, jouant sur les contrastes et l’hostilité de la ville comme dans MANIAC ou encore L’ÉVENTREUR DE NEW YORK, quand la menace semble provenir de partout et de nulle part à la fois, chaque âme errante dans les rues pouvant être une menace ou une victime. Enfin le récit central, qui relie les trois autres, rappelle un film récemment passé au Bloody Week End, à savoir PARENTS quand une parfaite petite famille commet d’odieux actes de cannibalisme.

Drôle, perspicace et percutant, LES CONTES DE LA NUIT NOIRE est parfaitement ancré dans son époque. Très bon petit film d’horreur, il fonctionne encore aujourd’hui en dépit du vieillissement des effets spéciaux, sans doute parce que ceux-ci reposent essentiellement sur du maquillage. On sent que le budget n’est pas mirobolant, cependant la mise en scène compense largement le manque de moyens. Plus qu’un simple divertissement, elle offre une relecture intéressante du film d’anthologie et des contes des mille et une nuit. Avec d’autres, comme WAXWORK, ce LES CONTES DE LA NUIT NOIRE constitue l’image du film d’horreur de cette époque. On commence à aborder l’aspect « je m’adresse au spectateur » dans les productions tout en restant classique, dans la veine des contes de fées mais avec une vision plus horrifique.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà

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