Les Dieux de la Guerre

Un texte signé Patryck Ficini

- 1972 - Wang Yu
Titres alternatifs : Beach of the war gods
Interprètes : Wang Yu, Lung Fei, Tien Yen

Dans les années 80, à l’heure bénie où la défunte 5 passait quelques-uns de ses films, prononcer le nom de WangYu entraînait chez certains fans d’arts martiaux un irrépressible sourire de mépris. WangYu n’était à leurs yeux qu’un acteur sans charisme, qui plus est un piètre combattant à la filmo riche de titres français ineptes comme WANG-YU FAIT ROUGIR LE FLEUVE JAUNE ou WANG-YU N’A PAS DE PITIE POUR LES CANARDS BOITEUX. Effectivement, la « poésie » de ces titres fait peur ! Même de bons films comme le très brutal ROI DU KUNG-FU (THE ONE-ARMED BOXER), avec ses effets spéciaux délirants, ou LA GUILLOTINE VOLANTE, pleins de folie et de gore, étaient tournés en dérision, sans doute d’ailleurs pour leur côté iconoclaste et profondément original. Il faut dire aussi que les fans de Bruce Lee et Jackie Chan étaient parfois tellement obnubilés par leurs stars qu’ils viraient facilement à l’intransigeance. Ce qui n’empêcha pas, dès les années 70, nombre d’amateurs de salles de quartier d’apprécier Wang Yu (le fait que son nom figure dans le titre de ses films n’est pas un hasard : il faisait vendre). Témoin de cette glorieuse époque, on lira avec profit le dossier de Jean-Luc Putheaud dans cette sympathique revue qu’était Ciné-Film-Karaté (N°15, 1976 ?).
Le problème de Wang Yu en occident fut aussi qu’il apparut à tort comme un concurrent de Bruce Lee débarqué après lui sur les écrans alors qu’il était une vedette à Hong-Kong depuis belle lurette. Il est de bon ton, et de façon absurde, de snober ceux qui se lancent dans une brèche ouverte par une star comme Lee. Hélas pour Wang Yu, on ne connut longtemps en France que ses films post-Shaw Brothers (parfois mineurs), et ainsi pas ses ONE-ARMED SWORDMAN signés Chang-Che. Le meilleur restait à découvrir. Pour nombre de gens, LA RAGE DU TIGRE offrit longtemps le seul escrimeur manchot digne de ce nom… alors que Wang Yu avait précédé David Chiang de quelques années !
C’est ainsi que Wang Yu fut longtemps classé comme un acteur strictement bis, voire Z, à réserver aus seuls gourmets et connaisseurs.
Des critiques comme Putheaud ou des fanzines comme Ciné-Zine-Zone se risquèrent fort heureusement à défendre le bonhomme. Et de façon moins confidentielle, Françis et Max Armanet firent de même dans le chapitre qu’ils lui consacrèrent dans leur très informatif Ciné Kung Fu (1988). Les deux auteurs insistèrent d’ailleurs à la fois sur les talents de combattant de Wang Yu, sur la richesse de son univers et sur son talent de réalisateur.
LES DIEUX DE LA GUERRE, production Golden Harvest, est l’un de ces films signés Wang Yu d’une façon extrêmement soignée. La réalisation est élégante, la photo superbe (ah ! ces scènes nocturnes à la lueur des torches et ce combat final sous les ailes d’un moulin). Wang Yu dépasse le simple challenge du remake appliqué des SEPT SAMOURAIS pour livrer un formidable véhicule à son mythe, tout en le renouvelant. On l’a connu manchot ; il combat ici avec deux lames ! L’acteur, aux vêtements blancs vite tachés de sang; est constamment magnifié par le réalisateur et s’impose une nouvelle fois comme un Toshiro Mifune ou un Clint Eastwood chinois. On sait depuis LA VENGEANCE DU TIGRE/KARATE A MORT POUR UNE POIGNEE DE SOJA (sic) (THE CHINESE BOXER) combien Wang-Yu aimait le western spaghetti. L’acteur ressemble une fois encore à un pistolero made in Cinecittà, les yeux abrités par son chapeau. Même si les pirates japonais sont ici les méchants, LES DIEUX DE LA GUERRE témoigne aussi d’une passion flagrante pour le cinéma nippon. Très violent (Wang-Yu n’a jamais oublié son maître Chang-Che et les coups font vraiment mal), inventif (les mercenaires engagés chacun spécialistes d’une arme, les pièges tendus aux Japonais par les villageois, les joueurs de tambours qui rythment les batailles), LES DIEUX DE LA GUERRE est un joyau du wuxiapian (ou du chambarra ?), aux combats magnifiques (épée et katana). Une oeuvre forte à montrer aux sceptiques qui riraient encore de Wang Yu. S’il en reste après le travail de Wild Side…
Son personnage, tel Silence chez Corbucci, meurt à la fin, non sans avoir triomphé de l’ennemi dans un splendide duel. Car, aussi habiles escrimeurs étaient-ils, les héros de Wang-Yu étaient parfois, aussi, des perdants.


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- Article rédigé par : Patryck Ficini

- Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà

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