Les disparus

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Espagne-Argentine - 2007 - Paco Cabezas
Titres alternatifs : Aparecidos
Interprètes : Ruth Diaz, Javier Pereira, Pablo Cedron

A Buenos Aires, Malena et Pablo rendent une dernière visite à leur père mourant ; le vieillard est dans le coma et le médecin de l’hôpital doit recueillir la signature des deux enfants afin de « débrancher » son patient. Malena s’empresse d’accepter, son frère est plus réticent et souhaite d’abord effectuer un pèlerinage avec sa sœur dans la maison de leur enfance, en Patagonie. Lors d’une pause sur la route, une étrange petite fille montre à Pablo un objet coincé dans le châssis avant de disparaître ; il s’agit d’une sorte de journal intime relatant des faits horribles ayant eu lieu plus de vingt auparavant ! Dans l’hôtel où ils se sont arrêtés, Malena et Pablo assistent au meurtre violent d’une famille dans les mêmes circonstances détaillées par le journal…
Premier long métrage du réalisateur Paco Cabezas, LES DISPARUS s’inscrit dans le courant du cinéma fantastique qui irrigue avec talent depuis le début des années 2000 la cinématographie ibérique. Ce « mouvement » initié et dynamisé par de jeunes réalisateurs tels Alejandro Amenabar (LES AUTRES, 2001), Jaume Balaguero (LA SECTE SANS NOM, 2000 ; REC, 2008) ou Paco Plaza (LES ENFANTS D’ABRAHAM, 2003 ; REC 2, 2009) a fait de la figure du fantôme un véritable blason. Parfois utilisé comme simple élément « primitif » visant à créer l’effet de peur, le revenant revêt souvent dans les films espagnols une valeur métaphorique et partant, une dimension politique. En effet les fantômes, victimes ou bourreaux, sont clairement ceux de la sinistre période franquiste : outre les deux films espagnols de Guillermo del Toro qui se situent pendant la guerre civile de 1936 (L’ECHINE DU DIABLE, 2001 et LE LABYRINTHE DE PAN, 2007), on peut également citer L’ORPHELINAT (2007) de Antonio Bayona ou NO-DO (2009) de Elio Quiroga. LES DISPARUS choisit donc l’Argentine (où le film a été tourné) comme cadre géographique à l’intérieur duquel un passé historique récent va resurgir, celui qui vit la junte militaire au pouvoir entre le milieu des années 70 et le début des années 80 avec son cortège d’atrocités. La première partie du film peine à surprendre ou même à captiver tant elle semble n’offrir qu’une suite de séquences certes appliquées mais beaucoup trop référentielles. Formellement efficace (montage fluide, cadrages amples, photographie froide mais soignée), le métrage semble alors compiler des plans extraits de RING (Hideo Nakata, 1998) lors de l’apparition/révélation de la petite fille aux longs cheveux sales et reprend des scènes complètes au JEEPERS CREEPERS de Victor Salva (2001) : le « road-movie » qui suit un frère et une sœur harcelés par un mystérieux automobiliste/meurtrier, le refuge dans un « snack-bar » aux clients indifférents… Heureusement, LES DISPARUS bifurque ensuite vers un chemin aussi inattendu que complexe où passé et présent viennent se chevaucher et où les deux héros comprennent progressivement qu’ils peuvent entrer en interaction avec des événements dramatiques ayant eu lieu vingt ans plus tôt et auxquels leur père a pris une part aussi active que condamnable. La rencontre de ces deux espaces-temps en un point donné forme alors comme un pli imaginaire qui confère au film une épaisseur et une densité thématique : la circulation entre passé et présent permet d’élargir la vision d’un simple univers mental (celui de Malena et Pablo) à une mémoire collective (celle de tout un pays). Il est par ailleurs tentant de percevoir le frère et la sœur comme des allégories de l’Argentine actuelle, à la fois effrayée par un passé qu’elle voudrait oublier (Malena) et désireuse de comprendre une vérité enfouie (Pablo) ; le père (dont nous tairons le rôle exact) incarnerait et symboliserait clairement toutes les horreurs commises par le pays du temps de la junte militaire. Que l’on se rassure cependant, le film ne sombre pas pour autant dans l’abstraction ou la lourdeur métaphorique et nous gratifie au contraire d’excellentes séquences d’horreur gothique (la descente dans la cave du tortionnaire…), de fantastique pur (la scène inattendue de lévitation d’une victime…) et ne lésine pas à proposer aux amateurs quelques plans très graphiques. Tout comme son titre original (« aparecidos » : les apparitions) suggère autre chose (« los desaparecidos » : les disparus), LES DISPARUS fonctionne donc sur deux niveaux de lecture qui vont fusionner de façon intéressante après un premier tiers de film aussi maladroit que déjà vu (à moins qu’il ne s’agisse d’un leurre habile !). L’œuvre se révèle donc ambitieuse à défaut d’être pleinement convaincante (certains aspects du scénario restent confus) et elle n’évite pas toujours un certain pathos dans sa dernière partie (l’emploi d’une « colonne sonore » un peu redondante lors des déambulations des « disparus »). On peut tout de même raisonnablement classer ce premier opus dans la catégorie des réussites du cinéma de genre espagnol qui démontre au fil des ans sa capacité à creuser l’aspect transgressif du Fantastique.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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