Les envoutés

Un texte signé Patrick Barras

Suite à la mort accidentelle de sa femme, Cal Jamison, psychiatre au service de la police décide d’emménager à New York avec son fil Chris. Alors qu’il tente de se reconstruire, on fait appel à lui afin d’élucider une série de meurtres rituels impliquant de jeunes enfants. Ses recherches ne tardent pas à établir un lien avec le culte ancestral de la Santeria pratiqué par une organisation aux ramifications insoupçonnées. Son enquête va alors prendre une terrifiante tournure pour lui et ses proches…

L’oeuvre cinématographique de John Schlesinger peut à première vue sembler parfois assez décousue. Passant d’un genre à l’autre : Le drame et la fable sociale avec MACADAM COW BOY, l’espionnage avec MARATHON MAN ou encore LE JEU DU FAUCON, le thriller pour FENÊTRE SUR PACIFIQUE ou encore ici le fantastique et l’épouvante avec LES ENVOUTÉS. Là où une homogénéité se fait jour, c’est autour des situations que sont amenés à vivre ses personnages principaux qui n’atteignent que péniblement ou pas du tout le statut de héros. Extirpés brutalement de leur quotidien, ils se retrouvent confrontés à un monde souterrain qu’ils côtoient de manière plus ou moins proche pourtant, sans en avoir à priori conscience ou connaissance.
Alors certes, les vertus du combat pour gagner la lumière sont loin d’être inconnues des bibles à l’usage des scénaristes, mais Schlesinger décide le plus souvent de s’en jouer au travers de ses différents choix de scenarii ou d’adaptations, n’étant lui même que rarement en charge de l ‘écriture.

Pour LES ENVOUTÉS et sa première incursion dans le fantastique John Schlesinger prend appui sur un scénario de Mark Frost, à qui l’on devra quelques années plus tard ceux de TWIN PEAKS, série et long métrage. Le thème principal que le réalisateur décide de développer et de décliner est celui de la croyance et des superstitions, en ce qu’elles peuvent ou non nous concerner, dans tous les cas nous environner et finir par influencer notre existence. À ce propos, il vaut d’ailleurs mieux retenir le titre original : THE BELIEVERS, bien plus explicite par rapport aux orientations que Schlesinger donnera à son film.
Pour Cal Jamison, esprit scientifique et rationnel, les croyances n’ont rien à faire dans son univers, quand bien même celui-ci se voit fortement chamboulé par la perte de sa femme en ouverture du métrage. Tout au plus peuvent-elles être considérées comme des symptômes qui lui permettent de mettre en lumière d’autres maux.
Elles vont cependant s’immiscer peu à peu dans sa vie, suite à son récent déménagement à New York avec son fils. Ville qu’il ne connaissait qu’au travers de sa période de vie étudiante, à peine évoquée certes, mais que l’on devine avoir été studieuse et insouciante.
C’est au travers de son fils que la superstition va commencer par coloniser sa sphère intime, avec une amulette que l’enfant, désorienté par la perte de sa mère, ramassera dans Central Park au pied d’un autel sacrificiel improvisé. Amulette que le petit Chris va se mettre à porter et conserver de manière obsessionnelle. Au travers de son travail que les croyances vont, au fil de son enquête centrée sur des meurtres rituels d’enfants, se mettre à progressivement étouffer son quotidien.
Cal découvrira un New York inconnu jusqu’alors pour lui, où les croyances ont essaimé de manière souterraine en contaminant toutes les couches de la société, jusqu’à un membre de la police, d’origine Latino-Américaine, témoin de faits terrifiants et qui se croit fermement envouté et condamné. Un bon exemple de bouffées psychotiques, en apparence et en premier lieu, pour le psychiatre…
C’est amené à se renseigner sur le culte ancestral de la Santeria qu’il va découvrir peu à peu que celui-ci a pénétré au cœur même de sa maison, via sa bonne qui s’est mis en tête de protéger Chris, de plus en plus perturbé et hystérique, de prétendues tentatives maléfiques de s’approprier son esprit. Cela entraînera un violent rejet de la part de Cal qui a mis dans le même sac magie blanche (Santeria) et magie noire (Brugeria, sorcellerie), culte et superstition malsaine.
Mais si la bonne est animée de motivations louables, comme les petites gens qui généralement pratiquent la Santeria ou y croient, il en va tout autrement pour une frange aisée et influente de la population pour qui l’avidité, qu’elle soit de richesses ou de pouvoir, se révèlera être le moteur de débordements autrement plus inquiétants. Amené à côtoyer un groupe de notables au gré de son enquête, Cal prendra conscience que ces derniers appartiennent en fait à une secte entièrement soumise à un gourou Africain des plus froids et inquiétants. Un véritable manipulateur bien plus potentiellement malfaisant, avec son groupe de fidèles, que les rites en apparence abscons d’un culte exotique.
Sans trop dévoiler la totalité de la trame du film, on en vient à se demander si ce n’est pas son refus de croire et son rejet qui conduiront Cal, interprété par un Martin Sheen au jeu sobre et distancié (comme à son habitude), à une certaine méprise. Est-ce à force de scepticisme, de croire son intimité envahie et contaminée par les croyances auxquelles le confronte son enquête, cette Santeria qu’il a pris en grippe, qu’il ne se rendra que tardivement compte qu’il est happé par quelque chose de bien plus terrible ?…

Toute l’habileté des ENVOUTÉS est de nous laisser la plupart du temps le choix entre partager ou non le scepticisme de Cal. De choisir ou non une interprétation univoque des faits qui se déroulent sous nos yeux. Proprement surnaturels ou à interpréter plutôt sous un angle psychologique ? Les différents partis pris de Schlesinger nous poussent à nous questionner en ce sens durant la majeure partie de son métrage.
D’aucuns ont avancé une comparaison entre LES ENVOUTÉS et ROSMARY’S BABY et on est du coup largement tenté d’y adhérer.
L’horreur graphique en est quasiment bannie. Aucun plan par exemple ne s’attarde sur un des cadavres d’enfants – Nous ne sommes pas là dans un film de tueur en série mystique. Le fantastique et le surnaturel à proprement parler n’entrent clairement en jeu que bien après que la deuxième moitié du film a débuté. Et encore, sous forme de quelques plans savamment disséminés. Comme lorsque Schlesinger, à la suite de l’autopsie du flic qui se disait envouté et qui a fini par se suicider, nous laisse entrevoir dans un plan relativement fugace le contenu d’une bassine où des serpents nagent au milieu de ses intestins – Le policier ne se plaignait-il pas de serpents lui dévorant les entrailles avant de mettre fin à ses jours ?… Bien avant cela, on pouvait encore se demander si sa foi tenace dans la Brugeria qu’il redoutait tant n’avait pas provoqué des manifestations somatiques, ou s’il avait effectivement été victime des maléfices lancés par le gourou. Et encore sent-on un brin de scepticisme persistant dans le regard du psychiatre quand il observe ladite bassine… Cette latitude qui nous est le plus souvent accordée se révèle en définitive l’atout majeur de ce film, ayant déjà au demeurant une réalisation parfaitement maitrisée, de très bons acteurs et une cohérence artistique appréciable.
À la toute fin (et sans aucunement spoiler), Schlesinger se paye au passage le luxe de nous susurrer que les croyances dévoyées et les superstitions sont des plaies dont on ne se débarrasse jamais tout à fait, en définitive. Clin d’oeil un rien désespérant qui résonne étrangement ces derniers temps…


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- Article rédigé par : Patrick Barras

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