Les héroïnes du mal

Un texte signé Philippe Delvaux

France - 1979 - Walerian Borowczyk
Titres alternatifs : Immoral women, Tre donne immorali ?, tres mujeres inmorales
Interprètes : Marina Pierro, Gaëlle Legrand, Pascale Christophe, François Guétary, Jean-Claude Dreyfus, Jean Martinelli, Pierre Benedetti, Philippe Desboeuf, Noël Simsolo, Roger Lefrere, Gérard Falconetti, Hassane Fall, France Rumilly, Yves Gourvil, Lisbeth Arno

LES HÉROÏNES DU MAL est constitué de trois sketchs. Le premier retrace la période romaine de la courte vie du peintre Raphaël dans la Rome du 16e siècle. Il se lie d’amour à une boulangère, surnommée La Fornarina, dont le coeur balance, au gré de ses intérêts, entre son célèbre Pygmalion et un banquier lubrique. Le second nous propulse dans la bourgeoisie du début du 20e siècle quand une jeune adolescente, un peu trop attachée à son lapin de compagnie, se venge de la décision de ses parents de la séparer de son animal. Enfin, le dernier voit une riche bourgeoise enlevée pour l’obtention d’une rançon et n’espérer son salut que de son chien.

Les œuvres ramassées, Borowczyk en est coutumier. Avant de passer aux longs métrages, le bonhomme avait déjà derrière lui une première carrière dans le court, essentiellement d’animation. Et même quand il se redéfinit triplement (dans le long, le « live » et l’érotisme), il constelle encore cette seconde partie de carrière de formes brèves : LES HÉROÏNES DU MAL bien sûr mais aussi LES CONTES IMMORAUX, sa participation à COLLECTIONS PRIVÉES, et enfin les quatre épisodes tournés pour la SÉRIE ROSE.

Quand après LE THÉÂTRE DE M ET MME KABAL, Borowczyk délaisse l’animation, c’est pour se plonger assez rapidement dans le genre érotique alors en pleine explosion, genre qu’il ne quittera presque plus et dont il incarnera un pan plus « intellectuel », à l’instar des films réalisés par le « pape » du nouveau roman, Alain Robbe-Grillet.

Si ce dernier est donc à la fois directement romancier et cinéaste, Borowczyk tire quant à lui régulièrement son inspiration d’écrivains : on lui doit par exemple une adaptation de l’Art d’aimer (Ovide). Mais son nom restera indubitablement attaché à l’œuvre d’André Pieyre de Mandiargues qu’il transposera régulièrement : CÉRÉMONIES D’AMOUR, LA MARGE (prix Goncourt en 1967), un sketch des CONTES IMMORAUX (La marée) et un autre dans ces héroïnes qui nous occupent ici. Quoi de plus logique : André Pieyre de Mandiargues était féru d’érotisme et collectionnait les objets anciens en relation avec les plaisirs sexuels. En 1973, Borowczyk consacre d’ailleurs à cette collection un court métrage : UNE COLLECTION PARTICULIÈRE.

Pour l’anecdote, nos deux compères tournent autour du succès d’Emmanuelle : le premier rôle de Sylvia Krystel dans LA MARGE fit aussitôt retitrer ce dernier par son distributeur allemand en EMMANUELLE ’77. Borowcyk tournera aussi en 1979 un des segments de COLLECTIONS PRIVÉES, dont un autre est à la fois signé Just Jaeckin – réalisateur d’EMMANUELLE – et joué par Laura Gemser (les « Black Emanuelle »). Enfin, Borowczyk en fin de carrière tournera encore EMMANUELLE 5. André Pieyre de Mandiargues, quant à lui, a préfacé l’édition originale du roman Emmanuelle, paru chez Jean-Jacques Pauvert.

Au casting des HÉROÏNES DU MAL, on retrouve Marina Piero, une habituée de Borowczyk, mais qui n’a pas tourné grand-chose en dehors de l’œuvre de notre érotomane. Les premiers rôles des deux autres sketchs n’ont pas brillé par la suite, même si on a vu Gaëlle Legrand, qui débutait alors sa carrière, dans quelques succès français des années ’80.

On s’amuse de la différence de perception entre pays via le titre : si la France ose accoler au mal le terme « héroïnes », les pays anglo-saxons pointent d’un doigt accusateur les IMMORAL WOMEN. L’Italie prend une voie médiane plus détournée : TRE DONNE IMMORALI ? semble référer au titre anglo-saxon avant qu’un malicieux point d’interrogation n’en prenne le contre-pied.

Quant au film lui-même, on retrouve la photographie cotonneuse du réalisateur, assez proche de celle de David Hamilton. Le premier sketch est le plus long. C’est aussi lui qui donne une des affiches d’exploitation, laquelle reproduit les célèbres « Trois grâces », auquel le film fait écho de manière détournée puisque ici les héroïnes sont celles du « mal ». D’autres affiches évoqueront le second segment dans la célèbre séquence voyant Marceline approcher le lapin de son sexe. On retrouve le fantasme de la bestialité déjà au cœur de LA BÊTE. L’ensemble se suit sans déplaisir, mais sans non plus passionner. Le cinéma de Borowczyk est toujours intéressant, mais n’a jamais vraiment produit de chefs d’œuvre résistants à l’usure du temps. A ce titre, le troisième segment nous semble assez faible, tant dans son interprétation que dans ses intentions ou sa mise en scène.

LES HEROINES DU MAL est à conseiller aux amateurs de Borowcyk ou aux érotomanes désireux de sortir des sentiers battus du micro budget à la française mais laissera sans doute indifférent une bonne partie du public contemporain.

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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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