Les larmes d’un héros

Un texte signé Claire Annovazzi

Hong Kong - 1983 - John Woo
Titres alternatifs : Heroes shed no tears
Interprètes : Eddy Ko, Lam Ching-Ying

Dans le triangle d’or, le trafic d’opium va bon train. Une bande de mercenaires est recrutée par le gouvernement thaïlandais pour ramener un baron de la drogue afin de le faire condamner. Chacun a accepté la tâche pour des raisons diverses: qui pour l’argent, qui pour l’action… Chan Chung, leur chef, agit pour son fils; il espère pouvoir l’emmener aux États-Unis avec l’argent qu’il gagnera.
L’enlèvement est un succès, mais les troupes du malfrat ne tardent pas à se lancer à leurs trousses. Leur situation évolue de mal en pis quand, choisissant d’aider une touriste française, ils se mettent à dos un officier vietnamien qui fera tout pour se venger.

Passionné de cinéma occidental et rêvant de bandits classieux, John Woo est forcé par les studios de tourner majoritairement des comédies typiquement hongkongaises pendant une dizaine d’années, avant que ne lui soit proposé LES LARMES D’UN HÉROS en 1983. Il en refusera pendant longtemps la paternité, comme un peintre met de côté les esquisses qui l’ont conduit à réaliser son chef d’oeuvre.

Car LES LARMES D’UN HÉROS est bien une esquisse de tout ce qui fera le cinéma de John Woo.
Le réalisateur hongkongais situe ses films dans des univers désespérés, dépeint les heures les plus sombres de l’hisoire, nous montre, enfin, ce que le monde nous offre de plus laid – les trafics en tous genres, les guerres, la corruption – pour en faire ressortir les pépites qui font que la vie mérite d’être vécue: l’amitié (UNE BALLE DANS LA TÊTE, 1990, LE SYNDICAT DU CRIME, 1986), ou l’amour, comme celui entre un père et son fils. C’est ce qu’il essaye de nous prouver dans LES LARMES D’UN HÉROS, au-delà de la violence parfois insupportable du film.

En effet, autre trait habituel chez John Woo, LES LARMES D’UN HÉROS ne nous cache rien. Il montre tout, y compris ce qu’on aimerait ne pas voir, comme la souffrance de Chan Hung sous la torture ou les amputations diverses. La violence est crue et brutale. Si certains des mercenaires du groupe ne semblent pas s’en offusquer, on voit bien que le héros regrette de devoir user de barbarie pour réaliser son rêve de bonheur avec son fils. En cela, il préfigure les héros de THE KILLER (1989) ou de À TOUTE ÉPREUVE (1992). La fin justifie les moyens, même s’il faut ensuite vivre avec ses remords.

On retrouve également toute l’imagerie chère au réalisateur.
D’abord, la femme n’a jamais une place prédominante: l’univers dépeint par John Woo est essentiellement masculin. Et si parfois une figure féminine apparaît, elle est le plus souvent un ressort de l’intrigue, comme la chanteuse mutilée de THE KILLER. C’est en général une femme forte, mais qui subit plus qu’elle n’agit. Ici, étonnament, les personnages féminins participent activement à la guerre. Elles ont l’arme au poing et n’hésitent pas à s’en servir, allant jusqu’à se sacrifier si besoin est. Le film nous gratifie même d’une scène érotique. Il faut savoir que LES LARMES D’UN HÉROS, bien que réalisé en 1983, n’est pas sorti sur les écrans hongkongais avant 1986, après le succès du SYNDICAT DU CRIME. La Golden Harvest a alors jugé opportun de capitaliser sur cette réussite et a ressorti le film de ses cartons, l’embellissant de cette scène sans intérêt et passablement soft pour une production des années 80. On comprendra pourquoi elle semble si décalée dans une oeuvre de John Woo.
Héritage du temps qu’il a passé avec Chang Cheh en tant qu’assistant, le réalisateur utilise souvent l’imagerie chevaleresque des films de la Shaw Brothers, comme il a pu le faire quand il a filmé LA DERNIÈRE CHEVALERIE (1979). Mais cela n’est pas limité à ses films en costume. Même dans ses polars, ses héros ont des valeurs désuètes de respect et de sacrifice, qui peuvent en outre leur valoir quelques ennuis, mais qu’ils refusent toujours d’abandonner. C’est ainsi que, dans LES LARMES D’UN HÉROS, un guerrier tribal rend hommage à la bravoure de Chan Chung en lui donnant un coup de main quand celui-ci se retrouve affaibli. L’honneur et le respect n’ont pas disparu, même dans les contrées reculées d’Asie du Sud.
Dernière imagerie que l’on ne manque pas de pouvoir observer dans toute la filmographie du réalisateur: le western léonien. À l’instar des cowboys mis en image par Sergio Leone, les héros de John Woo, après la lutte, sont sales, sanguinolants, vêtus de haillons. Et quand le combat final s’amorce, il commence par l’observation de son adversaire pendant de longues secondes, filmées en champ/contre-champ. La tension monte d’un cran, avant l’explosion de violence et de sang qui caractérise toujours la conclusion des films de John Woo.

Tournant important dans sa carrière, on peut voir LES LARMES D’UN HÉROS comme un galop d’essai pour UNE BALLE DANS LA TÊTE d’abord – son chef d’oeuvre et son film le plus personnel – puis pour WINDTALKERS (2002), le film américain qu’il tournera presque vingt ans plus tard.
En effet, si l’oeil est un thème important dans LES LARMES D’UN HÉROS – si ce n’est son évocation dans le titre même, l’oeil fait partie intégrante de l’intrigue, qu’il soit mutilé, fixé grand ouvert, fenêtre qui ouvre sur la mémoire ou moyen de communication –, John Woo préfèrera porter son attention sur un autre organe sensoriel dans WINDTALKERS: l’oreille.
On y retrouvera également les notions de sacrifice, d’honneur et d’amitié qu’il avait abordées dans LES LARMES D’UN HÉROS.

Film mineur mais témoignage flagrant des thèmes chers au réalisateur, LES LARMES D’UN HÉROS est une oeuvre à voir absolument, ne serait-ce que pour sa valeur “archéologique”.


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- Article rédigé par : Claire Annovazzi

- Ses films préférés : Une Balle dans la Tête, Fight Club, La Grande Bouffe, Evil Dead, Mon Voisin Totoro


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