Un texte signé Alexandre Lecouffe

Belgique- France - 1971 - Harry Kümel
Titres alternatifs : Daughters of darkness, Le rouge aux lèvres
Interprètes : Delphine Seyrig, John Karlen, Danielle Ouimet, Andrea Rau

Comtesse BathoryOffscreen 2018retrospective

Les lèvres rouges (1971)

Ayant œuvré essentiellement pour la télévision flamande, le réalisateur belge Harry Kümel est peu connu en France, d’autant plus qu’il n’est l’auteur que d’une petite poignée de films pour le cinéma et que la plupart sont restés inédits chez nous ! Ne nous restent que LES LEVRES ROUGES et l’excellent et baroque MALPERTUIS (1974) d’après le roman fantastique du Belge Jean Ray pour évaluer son talent de cinéaste. Le film qui nous intéresse développe le thème plutôt à la mode à l’époque de la femme-vampire, thème que l’on retrouve au cœur d’œuvres aussi variées que différentes dans son approche: LA VAMPIRE NUE (Jean Rollin, 1970), VAMPYROS LESBOS (Jess Franco, 1970) ou VAMPIRE LOVERS (Roy Ward Baker, 1971).

La présence au générique du film de Harry Kümel d’une des égéries de la Nouvelle Vague, Delphine Seyrig, peut paraître surprenante dans une œuvre revendiquant son appartenance au genre fantastique et traitant de vampirisme et de saphisme…Il faut préciser que l’actrice française était alors connue pour ses rôles dans des films d’auteurs, notamment ceux de son compagnon d’alors, Alain Resnais (L’ANNEE DERNIERE A MARIENBAD, 1961). C’est d’ailleurs ce dernier, très épris de culture populaire, qui a poussé Delphine Seyrig à accepter le rôle principal et plutôt sulfureux d’une Comtesse vampire…

les lèvres rouges 01

Stephan et Valérie, un jeune couple en lune de miel, font escale en Belgique avant de rejoindre l’Angleterre. Dans l’hôtel d’ Ostende où ils séjournent, ils font la connaissance des deux seuls autres clients des lieux : la très belle Comtesse Bathory et sa séduisante secrétaire Ilona. Fait étrange : le maître d’hôtel est persuadé de reconnaître la Comtesse qu’il aurait vue il y a quarante ans mais qui n’aurait pas vieilli depuis ! En balade à Bruges, Stephan et Valérie tombent par hasard sur un attroupement : le cadavre exsangue d’une jeune fille vient d’être découvert et le couple apprend alors qu’il s’agit de la troisième victime d’un « tueur-vampire ». La mystérieuse Comtesse qui semble progressivement envoûter Stephan aurait-elle un lien avec ces sinistres meurtres ? C’est ce que semble penser un détective bien décidé à ne plus lâcher la jeune femme d’une semelle…

LES LEVRES ROUGES s’ouvre sur une séquence nous permettant d’entrer directement dans l’intimité du couple Stephan/Valérie par le biais d’une scène d’amour plutôt explicite avant de les suivre dans le grand hôtel désert de style 1900 où ils ont décidé de passer quelques nuits. Ce prologue à la fois réaliste et banal est interrompu de façon abrupte par « l’entrée en scène » de la Comtesse, filmée comme une apparition quasi-fantastique, voilée et vêtue de noir. Le patronyme de cette dernière (Elisabeth Bathory) fait bien sûr référence à la « Comtesse sanglante », figure à la fois historique et mythologique du vampirisme féminin. Cette entrée dans le fantastique se fait également par les évidentes références au court roman de Sheridan Le Fanu, « Carmilla », dont l’héroïne éponyme est assez proche du personnage interprété par Delphine Seyrig et dont le thème principal (le vampirisme saphique) parcourt LES LEVRES ROUGES.

les lèvres rouges 02

Mais plus qu’à une relecture de l’œuvre matricielle de l’écrivain irlandais (qui puise elle-même sa source dans le personnage de Bathory et fut adaptée de nombreuses fois au cinéma), le réalisateur Harry Kümel s’intéresse à la création d’une ambiance onirique où l’étrange et le surréel prévalent sur toute considération d’ordre narratif et logique. L’espace diégétique du film est à ce titre emblématique avec cette succession de lieux déserts (l’immense hôtel bien sûr mais aussi ses alentours : plage, gare…où les protagonistes ne croisent jamais âme qui vive) propices à évoquer un microcosme issu d’un rêve…La dimension anachronique du film, qui se déroule au début des années 70 mais qui a pour décor principal un Hôtel « Art Nouveau » et comme héroïne une Comtesse-femme fatale calquée sur le modèle des actrices des années 20-30, accentue ce sentiment que LES LEVRES ROUGES peut se lire comme une sorte de rêverie filmée…

Petit à petit, le couple Stephan/Valérie se laissera séduire puis capturer par l’atmosphère à la fois mystérieuse et érotique que la Comtesse et sa maîtresse déploient autour d’eux. Progressivement, ils seront intégrés dans l’espace-temps irréel de l’aristocrate-vampire, espace dans lequel Stephan révèlera ses penchants sadiques et Valérie son attirance pour le saphisme. Le cinéphile déviant guettera (en vain !) une scène (ou même un plan !) lui dévoilant les charmes naturels de Delphine Seyrig et devra se contenter d’une séquence de baiser entre elle et l’actrice québécoise Danielle Ouimet (Valérie) qui s’était fait connaître peu avant dans des comédies érotiques à succès (TENDRE ET SENSUELLE VALERIE de Denis Héroux, 1969).

Le même cinéphile déviant regrettera un peu la quasi-absence de sang dans ce long-métrage qui préfère jouer plus subtilement sur la symbolique du rouge, couleur dominante du film que l’on retrouve dans les très réussis fondus au rouge ponctuant certaines scènes-clés. L’utilisation esthétique de la couleur, les poses souvent hiératiques des protagonistes, la vision sublimée de la Femme et la dimension onirique et intemporelle du récit font de LES LEVRES ROUGES une œuvre sous influence picturale (on pense au peintre symboliste Fernand Khnopff ou au surréaliste sentimental Paul Delvaux, tous deux Belges) et en tout cas fort éloignée des stéréotypes du film de vampires. Délaissant les effets et l’imagerie traditionnellement rattachés au genre, LES LEVRES ROUGES parvient à passionner en faisant du mystère et de la mélancolie les deux sentiments saillants de sa narration et de son dispositif visuel. Un film précieux.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe


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