indie-eye

Les pinces de la mort

Il est plus aisé de débusquer la grouse en crapahutant dans une lande Écossaise désertique que de trouver des renseignements précis, abondants et variés sur les activités des frères Carteret en déambulant sur la toile (puisque LES PINCES DE LA MORT s’affiche comme une de leurs productions). C’est que les bestiaux semblent avoir la modestie et l’indépendance chevillées au corps et, de fait, des mœurs plutôt discrètes.

Néanmoins, en traînant sur la rubrique Indie eye on peut déjà avoir un aperçu de leurs précédents agissements, ici : http://www.sueursfroides.fr/critique/7-courts-metrages-de-thierry-carteret-848 et là : http://www.sueursfroides.fr/critique/le-mycologue-1541.

Dans une tranquille station balnéaire de Normandie, Jean et Jacques, deux amis en vacances, vont devoir faire face à une invasion d’étrilles (des crabes quoi…) mutantes. C’est Jacques, cruellement pincé aux testiboules lors d’une baignade, qui propagera le mal au sein de l’espèce humaine…

Dès les premières images des PINCES DE LA MORT on est immanquablement frappé par l’idée que : tiens, voilà une bande d’amis qui s’ennuient. Ils ont un vieux caméscope DV (mais pas de pied pour le fixer). V’la-t-y pas qu’ils décident de tourner un bon petit film d’horreur pour déconner. Que ceux qui n’ont pas tenté de le faire, ou que pour le moins l’idée de se lancer dans l’aventure n’a jamais effleuré, leur jettent le premier parpaing.

En étant un brin plus retors, on peut voir dans l’entreprise une tentative conceptuelle de réaliser le navet ultime, le « Nanar étalon » à conserver pieusement au pavillon de Breteuil aux côtés des poids et mesures de référence.

On se rend vite à l’évidence que le film constitue une magistrale claque dans la gueule de la grammaire cinématographique. Le scénario ne semble pas du tout être passé par le stade du découpage technique, ou alors il en a subi un à l’avenant et à la tronçonneuse. Le panoramique latéral à répétition remplace quasi systématiquement le champ/contrechamp. Et pour ce qui est des erreurs de raccords, en faire un relevé complet constituerait un très bon exercice pour un étudiant en cinéma besogneux. Question technique, au rayon photo et son, contrejours, grainage et tonitruances règnent en maîtres. Toutes les plaies qui caractérisent généralement le cinéma amateur semblent donc ici convoquées.

En ce qui concerne les dialogues et le jeu des acteurs, qui a, entre 1988 et 1992, été victime d’attaques de couch-potatisme aiguës doublées d’insomnies récurrentes se verra submergé par une douce vague de souvenirs de la calamiteuse (mais cultissime) série VOISIN-VOISINE… les scènes où Jean et d’autres protagonistes parlent seuls, commentant leurs actions en live, sont particulièrement savoureuses. Pour le coup le pseudo choisi par le réalisateur (Eric Romero) devrait aussi nous rappeler un autre Eric réputé pour l’atonalité feinte de ses acteurs et ses fausses improvisations savamment dialoguées…

C’est que des références, LES PINCES DE LAMORT en possède bel et bien. À commencer par les plus évidentes, comme LES DENTS DE LA MER pour la scène d’ouverture ; et L’EXORCISTE pour celle qui conclue le métrage (65 minutes, tout de même). Et il y a bien évidemment l’impressionnante palanquée de films de monstres envahissants aux surprenantes velléités mutagènes qui parsèment l’histoire du cinéma fantastique ou horrifique. Alors pourquoi pas, de manière un peu plus subtile, une bonne rasade d’Eric Rohmer et de nouvelle vague ? Histoire peut être d’enrichir et de corser quelque peu un ton parodique déjà fortement affirmé. PAULINE (ou deux nigauds) À LA PLAGE VS L’attaque des étrilles mutantes, en quelque sorte.

Pauvres étrilles d’ailleurs, qui ont bien du mal à former à l’écran une vague menaçante du fait (entre autres) de la quasi absence d’effets spéciaux, hormis ceux proposés par n’importe quel honnête logiciel de montage vidéo. Mais il est aussi évident que le budget du film semble se réduire à la somme nécessaire à l’achat d’une bouteille de blanc que Jean et Jacques éclusent lors d’une scène de dîner. Qu’ils soient vivants ou bien bouillis pour les besoins de la réalisation (ça n’écoute rien ces engeances !), les malheureux necora puber possèdent la même expressivité et le même « naturel » que le reste du casting. À ce titre, il est à noter l’apparition ponctuelle et réjouissante d’un chat qui n’a strictement rien à secouer de la présence de la caméra et de ce qui se déroule devant son objectif. Quoi de plus irritant d’ailleurs que de voir son territoire envahi par une équipe de tournage ?!!?

Toujours est il qu’on se surprend, à la longue, à se prendre d’affection pour certains personnages. En premier lieu pour Jean, un héros tout… Ed-Woodien, dirons-nous pour résumer (derrière lequel on peut reconnaître Xavier Carteret, acteur récurrent dans les œuvres de son frère Thierry, dont le nom d’acteur – Roberto Fungi – permet de laisser poindre l’attrait obsessionnel et pervers de l’individu pour la mycologie – Voir l’article d’Indie eye à propos du court LE MYCOLOGUE). Mais c’est le personnage du médico-scentifique qui vient au secours de Jean qui provoquera sans doute chez le spectateur le plus vif enthousiasme. Semblant tout droit échappé de GROLAND, sa prestation pétrie de comique involontaire dans ce rôle des plus stéréotypés du cinéma de genre est un pur bonheur.

Le fin mot de l’histoire, c’est peut être bien Jean et le pseudo-scientifique qui sont en charge de nous le livrer quand ils affirment qu’ »on est pas dans un navet », « pas dans un nanar ». Est-ce à dire qu’il faudrait envisager LES PINCES DE LA MORT comme quelque chose de plus cérébral, raisonné et planifié ?… À voir. La question reste posée et pour le moment seuls les auteurs pourraient y répondre.

En définitive, la vision de la chose se révèle quand même moins pénible qu’une soirée où un « ami » (est il destiné à le rester ?…) vous oblige à regarder l’intégralité des vidéos de ses dernières vacances, non dérushées et non montées. Quand bien même on peut se dire que LES PINCES auraient peut être mérité un format plus court, tout bon amateur de nanars qui se respecte devrait de toute façon trembler à l’idée de passer à côté d’une telle perle.

Au fait, pour les âmes sensibles et les pieds tendres, toutes les étrilles bouillies pour les besoins du film ont été ensuite mangées par l’équipe. La morale est sauve.

Share via
Copy link