Les possédées du diable

Un texte signé Philippe Chouvel

France - 1974 - Jess Franco
Titres alternatifs : Lorna l'exorciste, Caresses de chattes, Lorna the Exorcist
Interprètes : Pamela Stanford, Lina Romay, Guy Delorme, Jacqueline Laurent, Catherine Lafferière, Richard Bigotini, Howard Vernon

Patrick Mariel a tout pour être heureux : homme d’affaires fortuné, il s’apprête à partir en vacances à Saint-Tropez avec sa ravissante épouse, Marianne, et sa fille Linda qui va fêter son dix-huitième anniversaire dans quelques jours. Hélas pour lui, un lointain passé ressurgit subitement par un simple coup de téléphone. A l’autre bout du fil, une certaine Lorna Green vient lui rappeler une vieille promesse dont il doit s’acquitter à présent. Plus exactement dans trois jours, quand Linda aura dix-huit ans.
Patrick se souvient alors. Presque un an avant la naissance de sa fille, il était un pauvre type venu tenter sa chance dans un casino. C’est dans ce lieu qu’il rencontra Lorna pour la première fois. Grâce à elle, il gagna beaucoup d’argent de soir là, un joli pactole qui lui permit par la suite de monter une entreprise qui devînt florissante. Mais cette ascension sociale ne fut possible qu’à la suite d’un pacte passé avec Lorna. En échange, Patrick Mariel promettait de livrer sa fille à Lorna Green dès qu’elle aurait atteint sa majorité. Il avait accepté, ce délai paraissait si lointain. Il n’y croyait pas vraiment. Et voilà qu’à présent il doit retrouver cette femme diabolique dans un hôtel de la Grande Motte, sous la menace d’être destitué de sa fortune. Pas question de lui donner Linda, pourtant, et pas question non plus de perdre ses biens. Alors, que faire ?
En 1967, Jess Franco réalisait un thriller érotique intitulé NECRONOMICON (aka SUCCUBUS) réussi au point d’impressionner Fritz Lang. Le premier rôle féminin de ce film, interprété par Janine Reynaud, avait pour nom Lorna Green. Sept ans plus tard, le réalisateur espagnol redonne vie à Lorna Green, qui a cette fois les traits de Pamela Stanford, dans LES POSSEDEES DU DIABLE. Cela étant, cette nouvelle Lorna (et l’œuvre en elle-même) n’entretient pas la moindre similitude avec SUCCUBUS.
Nous sommes alors en 1974, et après de fructueuses et intéressantes collaborations avec les producteurs Karl-Heinz Mannchen (souvent associé à Adrian Hoven), Artur Brauner et Harry Alan Towers, Jess Franco tourne essentiellement pour Robert de Nesle, propriétaire du célèbre Comptoir Français du Film. Ces années avec de Nesle, entamées en 1971, resteront gravées par la rencontre avec la nouvelle muse du cinéaste (après la mort tragique de Soledad Miranda en 1970) : Lina Romay. Celle-ci apparaît d’abord dans des seconds rôles, avant de « crever » l’écran dans LA COMTESSE NOIRE. Femme enfant, elle sera aussi la fille devenant femme dans LES POSSEDEES DU DIABLE, que l’on pourrait considérer comme une allégorie et un détournement du mythe de Faust. Patrick Mariel ne vend pas son âme au Diable, mais sa fille, et dans un sens cela revient pratiquement au même. C’est un héros maudit, qui trahit son futur enfant (il n’est pas né au moment du pacte), et trahit en même temps sa femme. Au moment venu, celui du dix-huitième anniversaire de Linda, il cherchera alors à trahir le dernier membre du triumvirat féminin, Lorna, celle qui a permis à Patrick de faire fortune, et à Marianne d’être fécondée.
Le film possède les ingrédients d’une tragédie grecque (ce que confirme la dernière scène) et à travers son titre (contrairement aux autres, comme LORNA L’EXORCISTE) on peut se rendre compte que tous les protagonistes du drame sont manipulés. Marianne est manipulée par son mari (qui lui cache la vérité jusqu’à ce que cela devienne impossible) ; lui-même est manipulé par Lorna (qui le tient en son pouvoir à cause du pacte qu’ils ont scellé dans le passé) ; et enfin Lorna est évidemment manipulée par son maître (le Diable tire logiquement les ficelles).
LES POSSEDEES DU DIABLE reposent essentiellement sur un quatuor d’acteurs non seulement au diapason mais tous parfaits dans leur registre. La surprise vient de Guy Delorme, qui incarne Patrick Mariel. L’homme est connu du grand public pour avoir été l’éternel adversaire de Jean Marais dans les films de cape et d’épée, aussi pourra-t-on être surpris de le découvrir dans un film à forte teneur érotique. On reverra d’ailleurs Guy Delorme dans un autre long métrage de Jess Franco, LE CABARET DES FILLES PERVERSES, où il campe un agent secret.
Mais dans LES POSSEDEES DU DIABLE, Delorme a la chance d’être entouré d’actrices talentueuses et magnifiques, avec Lina Romay splendide du haut de ses vingt ans, Jacqueline Laurent qui avait tourné l’année précédente dans LE JOURNAL INTIME D’UNE NYMPHOMANE (et partira en Suède pour jouer notamment dans BEL-AMI), et enfin la remarquable Pamela Stanford, Monique Delaunay de son vrai nom, et qui tient ici, probablement, son plus beau rôle. Pamela Stanford est le parfait exemple de la comédienne accomplie, douée autant pour la comédie (LES EMMERDEUSES, CES SACREES ANGLAISES) que pour le drame (DEUX SOEURS VICIEUSES, LE CABARET DES FILLES PERVERSES) ; remarquable également dans l’érotisme, où elle s’est donnée durant ses quelques dix années de comédienne, essentiellement pour Jess Franco où la firme Eurociné.
Si le film baigne tour à tour dans l’onirisme, le psychédélisme et l’érotisme, c’est avant tout grâce à sa performance. Mais n’oublions pas non plus le réalisateur, qui abandonne longuement sa caméra dans l’entrecuisse de ses actrices. Les gestes sont lents, doux, sensuels… comme dans un rêve. Et le maquillage outrancier de Lorna ne fait qu’accentuer l’atmosphère irréelle qui baigne dans cette œuvre. Les scènes où Linda et Lorna s’aiment sont une ode au saphisme, Jess Franco ose tout, notamment ce passage de « l’allaitement », dans lequel Pamela Stanford donne le sein à Lina Romay, comme s’il s’agissait de son nouveau-né. Une scène qui fut censurée dans pratiquement toutes les versions existantes, comme celle de l’olisbos, où l’on voit la « mère » déflorer » sa fille par procuration, un geste qui annonce le futur passage de témoin entre les deux personnages.
A ambiance envoutante, musique entêtante… La bande originale, due à André Bénichou, possède ce côté obsédant, quasi hypnotique, propice à se graver irrémédiablement dans la mémoire. A noter également que la photographie fut confiée à Howard Vernon (crédité sous son vrai nom, Mario Lippert), qui apparaît aussi brièvement dans le film, et que le scénario fut écrit par Nicole Guettard, qui était à l’époque la compagne de Jess Franco. Elle collabora en plusieurs occasions avec le réalisateur, notamment pour LES MAITRESSES DU DOCTEUR JEKYLL et LE MIROIR OBSCENE.
Comme souvent avec le metteur en scène, LES POSSEDEES DU DIABLE s’apparentent à un voyage expérimental, un trip visuel et sensoriel que le spectateur n’est pas prêt d’oublier.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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