Les premiers les derniers

Un texte signé Sophie Schweitzer

Deux chasseurs de prime partent à la recherche d’un téléphone au contenu sensible et compromettant. En suivant le signal émis, ils atterrissent dans un bled paumé du nord de la France. Dans une atmosphère de fin du monde, à la manière d’un road movie, nous suivons la traque d’un jeune couple convaincu que la fin du monde est proche, croisons la route d’une espèce de milice locale des plus inquiétantes et découvrons la quête mystique d’un dénommé Jésus.

Quatrième long-métrage de Bouli Lanners, comédien et réalisateur belge, LES PREMIERS, LES DERNIERS embarque Albert Dupontel, Suzanne Clément, David Murgia et Aurore Broutin dans un road movie crépusculaire aux accents mystiques dont l’atmosphère n’est pas sans rappeler celle de la première saison de TRUE DETECTIVE avec deux héros borderlines qui cherchent leur chemin, et des victimes comme des bourreaux tentant de survivre à ce monde crasseux et immoral. Dans une lumière assez proche de l’excellent MANGE TES MORTS, TU NE DIRAS POINT, et toute l’ambiance lourde et presque white trash du nord de la France qu’on retrouve dans les premiers films de Bruno Dumont, LES PREMIERS LES DERNIERS oscille avec génie entre le polard, le road movie mystique et le film d’auteur.

Il faut l’avouer, la réalisation est superbe et on comprend mieux pourquoi les films de Bouli Lanners sont devenus les chouchous des festivals, que cela soit la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes ou la Berlinade. La lumière crépusculaire n’est pas dénuée de contraste et l’atmosphère lourde est teintée d’humanité et de mysticisme dans un monde dépeint comme aux portes de l’apocalypse, prêt à s’écrouler, vacillant sur ses fondations. On y retrouve la force du film d’auteur, avec des plans contemplatifs, des séquences qui n’ont pour but que d’éclairer un personnage sous un nouveau jour, et à la fois, des moments d’une violence à vous couper le souffle. Entre les plans sur le cerf qui nous rapprochent de ces instants de grâce de la saison 1 de HANNIBAL, et cette séquence dans laquelle le personnage, campé par Albert Dupontel, se retrouve face à la milice locale où la violence est sèche, rude et brutale, il y a tout un monde. Et pourtant, c’est l’entièreté du caractère même du film : entier, profond et complexe.

Le diable se cache dans les détails, et dans LES PREMIERS LES DERNIERS, les détails sont soignés, les rencontres sont tout sauf anecdotiques. Il y a du mystique partout jusque dans le titre, éminemment biblique. Évidemment, la présence d’un personnage christique nommé Jésus n’a rien de hasardeux. Pourtant, ce n’est pas du prêchi-prêcha de bas étage. Dans cette quête étrange de rédemption, il y a une force émouvante et saisissante, comme dans cette séquence assez folle d’enterrement sauvage pratiqué dans un champ. Nos héros changent sans qu’eux-mêmes ne puissent l’expliquer, et ce, avec une sorte de véracité, qui n’est présente que par le souci du détail.

Enfin, il faut parler de la musique, parce que la qualité du film vient aussi de la qualité de sa bande sonore digne de la série TRUE DETECTIVE. Un rock rugueux guide l’errance de nos personnages jusqu’au point de rupture. Il y a une vraie atmosphère, dans la lumière, dans les choix des cadrages, dans l’obscurité dans laquelle le spectateur est parfois plongé pour ensuite que la lumière se fasse, doucement, tout en clair-obscur, mais aussi par la musique oh combien soignée et terriblement bonne.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà

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