Les sorcières du bord du lac

Un texte signé Philippe Delvaux

Italie - 1970 - Tonino Cervi
Titres alternatifs : Le regine, Les sorcières, Dolcemente atroce, Il delitto del diavolo, Queens of Evil
Interprètes : Ray Lovelock, Haydée Politoff, Silvia Monti, Ida Galli (Ewelyn Stewart), Gianni Santuccio

David, jeune motard hippie libre de toute attache, tombe au creux d’un bois sur une maison habitée par trois superbes créatures, Liv, Samantha et Bibiana sous le charme desquelles il tombe bien vite. Charme particulièrement puissant puisqu’il n’arrive plus à repartir, tandis qu’autour de lui, le comportement de ses trois hôtesses devient de plus en plus étrange.

Tonino Cervi n’est pas vraiment un des grands réalisateurs italiens qu’affectionne le public. Il a surtout œuvré comme producteur dès les années ’50. Et s’il s’est tourné vers la réalisation, c’est sans cependant avoir, dans l’esprit collectif, laissé une œuvre vraiment marquante. Dans nos contrées, son nom survit encore car les amateurs de westerns italiens le rattachent à la réalisation de 5 DE LA GÂCHETTE, film mineur mais correct réédité dans les années 2000 en dvd et souvent exploité depuis sur la chaine tv Action. Mais le reste de sa filmographie est devenue fort peu visible. Sans doute est-ce dû au fait qu’il ne s’accroche pas à un genre porteur. On lui doit ainsi deux relectures de Molière, ce qui – on en conviendra – s’éloigne passablement du western ou des autres genres traités sur Sueurs Froides.

On est donc curieux de voir resurgir en 2018, par la grâce d’une édition dvd due à Montparnasse, LES SORCIÈRES DU BORD DU LAC (dont le visuel démarque la très belle affiche d’exploitation française d’époque) que personne n’attendait vraiment. Curieux aussi car le film relève d’une tradition d’un fantastique qui connut une déclinaison spécifiquement italienne relancée dans les sixties et dont on se demande comment elle sera ici accommodée par Cervi. Curieux enfin car ces sorcières tournées en 1970 s’inscrivent dans l’iconographie hippie… qu’on redécouvre donc près d’un demi-siècle plus tard avec un regard forcément différent de celui du spectateur d’alors.

Verdict ?

Il va nous falloir passablement déchanter. LES SORCIÈRES DU BORD DU LAC n’ont guère de magie à dispenser : le scénario le dispute à la mise en scène en termes de paresse et le tout n’est guère rehaussé par la photographie. L’étroitesse du budget se perçoit au nombre restreint de décors : une maison de campagne, cependant bien travaillée dans un aménagement résolument design – une marque de fabrique du cinéma italien ça, les intérieurs design ! -, un intérieur de château et un bord de lac boisé (pratique les espaces naturels, ça coute moins cher). La progression dramatique est lymphatique, mail épaulée par des personnages bien trop minces pour faire exister le semblant d’histoire. Les rares possibilités ne sont pas, ou mal, ou trop basiquement exploitées (le lac, le hibou ou encore les portraits du château auraient ainsi gagné à s’incruster mieux à l’intrigue).

Le peu de budget, la production l’a consacré aux perruques et tenues des trois sorcières et sans doute à leur cachet. Car voilà l’atout principal : l’entêtante beauté de Haydée Politoff, Silvia Monti et Ewelyn Stewart qui auront hanté nombre de productions de l’époque et sans doute aussi les rêveries nocturnes de leurs spectateurs. La production a donc engagé non pas une, non pas deux, mais bien trois beautés pour attirer le chaland. Et pour faire bonne mesure – entendez pour rameuter aussi la gent féminine -, elle jette dans les rets de nos sorcières le bellâtre Ray Lovelock, qu’on croise alors déjà chez Monicelli, Latuada ou Lizzani mais qui à l’époque attend encore la gloire que les poliziotesci comme BRIGADE VOLANTE lui donneront bientôt.

Haydée Politoff est alors à l’apogée de sa carrière, naviguant au sommet de la distribution chez Rohmer (LA COLLECTIONNEUSE), Carmé (LES JEUNES LOUPS), Campanile (SCACCO ALLA REGINA, qu’on connait mieux de nos jours sous son titre dvd de THE SLAVE) ou dans quelques sexploitations typiques de l’époque… On rattachera (très) vaguement LES SORCIÈRES DU BORD DU LAC plutôt à ces derniers.

La carrière de Silvia Monti aura été encore plus courte (entre 1969 et 1974 seulement) mais émaillée de quelques titres marquant : LE CERVEAU, JOURNÉE POUR UN BÉLIER, MILANO: IL CLAN DEI CALABRESI, et évidemment LE VENIN DE LA PEUR.

Quant à Evelyn Stewart, on ne vous fera pas l’insulte de détailler sa filmo, dont la majeure partie correspond en effet à l’angle de Sueurs Froides : naviguant entre péplums, westerns, giallos… c’en est presque difficile de trouver des productions d’époque d’où elle aurait été absente. Bizarrement, dans LES SORCIÈRES, elle est orthographiée comme « Ewelyn Stewart ».

En dépit de ces atouts carnés, LES SORCIÈRES DU BORD DU LAC rechigne à dénuder son casting (ou en tous cas, à nous le montrer), les enlacements et les corps sont trop chastement éludés par la caméra. Nous sommes en 1970, la période est au basculement et d’autres métrages ont alors déjà mieux joué la carte du sexy (un an plus tard, Gantillon nous livrera par exemple MORGANE ET SES NYMPHES) qui est le seul gros atout dont aurait pu se prévaloir nos sorcières. Dommage, même s’il nous reste les extravagantes tenues, perruques et maquillage de ces beaux oiseaux.

Mais l’amateur de bis cherche toujours la petite séquence qui s’en vient mettre un peu de sel dans un plat trop fade. Ici, on évoquera donc, outre la rêverie psychédélique, un meurtre final qui offre un contraste aussi violent que marqué « Z ». Un moment de plaisir coupable.

En France, LES SORCIÈRES AU BORD DU LAC est sorti en salles le 26 juillet 1972.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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