Les symptômes

Un texte signé Philippe Delvaux

UK - Belgique - 1974 - Joseph Larraz (José Ramon Larraz)
Titres alternatifs : Symptoms, The Blood Virgin
Interprètes : Angela Pleasence, Lorna Heilbron, Peter Vaughan

Helen invite Ann à passer quelques jours dans sa gigantesque résidence campagnarde. L’ambiance insouciante du début fait rapidement place à une atmosphère plus délétère, exprimée par les névroses d’Helen, de plus en plus marquée, mais qui, dans un premier temps, ne semblent pas inquiéter outre mesure Ann. Dans la propriété vit également Brady, l’homme à tout faire, que semble nier Helen. Alors que John, le compagnon d’Ann, presse celle-ci pour qu’elle lui revienne, Ann découvre qu’Helen entretenait une relation trouble avec une certaine Cora, qui semble avoir disparue.

Une pure pépite. Voilà notre sentiment à la sortie de projection de ce SYMPTOMS, film maudit et quasi-invisible de son réalisateur, l’espagnol Joseph Larraz. SYMPTOMS n’a en effet connu qu’une exploitation restreinte. Il semblerait qu’après sa présentation en compétition au festival de Cannes 1974, cette adaptation de Thomas Owen ait été par la suite bloquée suite à un litige en matière de droits. Il aurait cependant connu une exploitation française en juillet 1976. Il n’a que très rarement été projeté depuis lors. Il semble avoir connu une édition vidéo belge. En 2008, le British film institute le reprend dans sa liste des 75 films anglais considérés comme perdus. On est d’autant plus redevable au festival Offscreen d’avoir invalidé les craintes du BFI, d’avoir ensuite su dégotter une copie 35mm et d’avoir pu obtenir une autorisation de projection, que le résultat est superbe.

Loin des débordements coutumiers du cinéma de genre, Symptoms est une œuvre très maitrisée, aussi bien formellement que dans son interprétation : Helen fait parfaitement passer sa folie. En castant Angela Pleasence (fille de Donald Pleasence) et Lorna Heilbron, Larraz a eu le nez creux, les deux blondes aux yeux bleus, l’une aux cheveux longs et défaits, l’autre qui les porte courts, semblent deux facettes d’une même personne, la folie et la part apaisée. La propriété est l’espace mental d’une âme en déréliction, le lac et le grenier sont les zones troubles de la conscience. Sans avoir l’air d’y toucher, le scénario nourrit symboliquement le film. Le développement, pourtant assez lent, ne lasse jamais. C’est même cette langueur qui lui donne son parfum vénéneux. Elle est portée par les décors cinégéniques, gothique dirons-nous, de cette vaste demeure campagnarde anglaise, chargée de bibelots, d’antiquités, développant son jardin d’hiver, son vaste salon articulé autour d’un accueillant feu ouvert, ses pièces laissées vides depuis trop longtemps, ses chambres trop froides, son grenier interminable… Et autour de la demeure, l’antre de Brady (Peter Vaughan), l’homme trouble, et puis le jardin, et le bois qui nous mènent invariablement au lac mystérieux – superbement filmé.

La copie anglaise visionnée, relativement bien conservée et titrée The Blood Virgin, porte mention d’un classement X du British board of classification. On sait la censure britannique très pointilleuse et prompte à manier les ciseaux. Pourtant ici, on se demande ce qui a pu motiver un tel classement : certes pas l’érotisme, les nus sont quasi absents, même si on comprend bien qu’Helen est lesbienne. Peut-être la violence, le film montrant au final trois meurtres à l’arme blanche, mais sans s’éloigner cependant des standards de l’époque.

SYMPTOMS est une production belgo-britannique. Les sources belges ramènent probablement au fait que le réalisateur a vécu un certains temps en Belgique. Et SYMPTOMS adapte le célèbre auteur belge de fantastique Thomas Owen. Pour l’anecdote, deux ans plus tôt, l’autre écrivain monstre sacré du fantastique belge, Jean Ray, était adapté et programmé lui aussi en compétition à Cannes ; nous parlons bien évidemment ici de MALPERTUIS. Dans les deux cas, une grande maison anxiogène, des personnages névrosés. SYMPTOMS évacue cependant la dimension fantastique.

Joseph Larraz, anglicisation de José Ramon Larraz, est un réalisateur espagnol, qui a débuté dans la bande dessinée et le roman photo dans les années ’60. Installé un temps à Bruxelles, il y rencontre fortuitement à la Cinémathèque royale de Belgique (actuelle Cinematek) Josef von Sternberg. Lui montrant ses dessins et romans photo, il s’entend répondre que ceux-ci sont pareils aux storyboards et qu’un cinéphile comme lui devrait se lancer dans la réalisation. Attiré par l’horreur, il quitte alors la Belgique pour rejoindre l’une des Mecque d’alors de ce genre, la Grande Bretagne, encore auréolée de la gloire des productions de la Hammer et de ses épigones. Au milieu des années ’70, il tourne coup sur coup quelques très bons films : VAMPYRES, SCREAM AND DIE et ce SYMPTOMS qui nous occupe ici, tous montrés à lé rétrospective Offscreen 2013. Les sources de financement se tarissant, il regagne l’Espagne où il continue sa carrière, sans cependant réitérer, semble-t-il, le même succès.

Certains de ses films sortiront cependant en salle en France : L’ENFER DE L’ÉROTISME/DÉVIATIONS SEXUELLES (son premier long, WHIRLPOOL, 1970), CRIE ET MEURS (SCREAM AND DIE, 1974), VAMPYRES (1974), L’INFIRMIÈRE A LE FEU AUX FESSES (EL PERISCOPIO, une sexy comédie avec Laura Gemser). Le dernier film dont nous avons connaissance qui serait sorti en salle en France est LES ÉLÈVES DE MADAME OLGA (1981, sorti en 1985). Plusieurs de ces titres n’auront connu qu’une diffusion en province. En Belgique sortira en outre Les affamées du mâle (The coming of sin/La visita del vicio, également projeté à Offscreen 2013).

L’anecdote est-elle vraie ? Il semblerait que lors de sa projection de presse française au cinéma Élysées-Point-Show, LES SYMPTOMES n’ait attiré… qu’un seul spectateur.

Joseph Larraz fait partie de ces artisans qui ont parfois trouvé le chemin des écrans, mais que la postérité a un peu oubliés. Hormis parmi les plus farfouilleurs, il n’aura jusqu’à présent pas obtenu la reconnaissance des amateurs de ciné de genre. Un tort que le festival Offscreen a bien fait de réparer, les films sélectionnés par le festival méritant sans conteste une franche redécouverte.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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