Les Trois Couronnes du Matelot

Un texte signé Michael Abbate

France - 1983 - Raoul Ruiz
Titres alternatifs : Three Crowns of the Sailor
Interprètes : Jean-Bernard Guillard, Philippe Deplanche, Jean Badin, Nadège Clair, Lisa Lyon, Claude Derepp

Influencé par le roman “Die Nacht von Lissabon” (une nuit à Lisbonne) d’Erich Maria Remarque et produit pour la télévision, LES 3 COURONNES DU MATELOT est une pure fiction, au sens étymologique du terme. Un film d’art et d’essai, il figure comme l’un des plus bels exemples de films présentés aux étudiants en cinéma, sur le thème de l’au-delà.
Raul Ruiz (L’ILE AU TRESOIR (1985), MEMOIRES DES APPARENCES (1986)) est probablement le réalisateur chilien le plus prolifique résidant en France. En effet, à son palmarès plus d’une centaine de métrages sont à énumérer. Il a tourné pour le cinéma ainsi que pour la télévision. Ce réalisateur présente ici un film brillant dans sa mise en scène, mais aussi dans l’intrigue développée. À l’instar d’un François Truffaut et de sa CHAMBRE VERTE (1978), Ruiz traite de la mort et du culte de l’au-delà qui occupent une place à part dans la vie. Avec LES 3 COURONNES DU MATELOT, il réalise une fiction prenante, esthétique, sans jamais par ailleurs prendre ces thèmes au tragique.
Dans la nuit du 25 juillet 1958, un jeune étudiant rebelle (Philippe Deplanche) tue son patron antiquaire et lui vole les quelques pièces qu’il possède, c’est-à-dire 3 couronnes danoises. Juste avant de mourir, l’antiquaire lui ordonne de quitter le pays. Lorsque l’étudiant sort de la boutique sous une épaisse brume, un matelot lui apparaît. Informé on ne sait comment du meurtre, ce matelot lui propose une place à bord d’un bateau en partance prochaine. Contre ce sauvetage inespéré, le marin (Jean-Bernard Guillard) lui réclame trois couronnes danoises. Puis il propose à l’étudiant de bien vouloir écouter l’histoire de sa vie. Les deux hommes s’attablent alors dans une sorte de café dansant et, après avoir interrogé son cadet sur sa croyance en l’au-delà, le matelot commence son récit.
Dès l’introduction, le spectateur est captivé par la mise en scène. Sans doute rappelle-t-elle celle des grands cinéastes français auxquels Raoul Ruiz tente de rendre hommage avec ce film. LES 3 COURONNES DU MATELOT est aussi le premier film de Ruiz qui a parcouru les festivals internationaux. Le métrage fût d’ailleurs présenté à Cannes.
On se demande si les histoires que conte le matelot sont basées sur des faits réels. En effet, celui-ci parcourt, à travers des mots et des personnages, son périple en mer. Il y retrace une période de plus de vingt ans. De pays en pays, il rencontre des personnages, plus charismatiques les uns que les autres, et à chaque fois, ceux-ci lui proposent de bien vouloir écouter leurs histoires. Certains lui demandent même en échange une monnaie ou un service, marché que le matelot propose à son tour au jeune étudiant après l’incident. Le spectateur est alors embarqué dans une aventure chaotique et surréaliste. Dans ce jeu de faux-semblants, les personnages sont anonymes, interchangeables et surtout dénués de toute crédibilité.
L’une des nombreuses conquêtes du matelot n’aurait-elle pas raison en indiquant que « l’art est une solitude » ? Solitude donc les matelots connaissent bien la signification. L’homme n’aurait-il pas basculé à son tour dans la folie ? Il est vrai qu’à son embarquement, l’un des marins lui avait même indiqué que ce voyage risquerait de le tourmenter. Serait-il lui aussi une victime de la liberté ? C’est tout du moins ce qu’évoque un enfant qui lui avait porté secours. Plusieurs approches sont abordées tout au long du métrage. Le réalisateur réussi avec brio à analyser les dernières heures d’un homme victime du trouble de la mort qui le force de conter son histoire à son tour.
Le film finit à l’aube, les deux hommes marchent. Le réalisateur colorise son film, puis lui ôte sa teinte pour mieux démontrer la chute scénaristique. Le jeune étudiant reviendra même sur l’une des phrases citées par le marin : « Il doit toujours y avoir une personne vivante à bord d’un bateau ».
Le film est captivant. C’est une très belle découverte. LES 3 COURONNES DU MATELOT est peut-être un peu long, mais la mise en scène est fort réussie. Beaucoup d’allusions, comme celle à Truffaut et même à Renoir, sont visibles. Il n’y a qu’à analyser la réalisation parsemée de gros plans tous plus beaux les uns que les autres, rendant au film une émotion exemplaire. C’est une œuvre séduisante dans toutes les possibilités qu’elle offre sur les tourments de l’homme en pleine solitude.
L’homme face à la mort. L’homme déjà mort. Intemporel et énigmatique, le métrage de Raoul Ruiz est d’une richesse exemplaire et complété d’une distribution remarquable. Tout simplement magique.


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- Article rédigé par : Michael Abbate

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