Les vierges de la pleine lune

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Italie - 1973 - Luigi Batzella (Paolo Solvay)
Titres alternatifs : Il plenilunio delle vergini, Les vierges maudites de Dracula
Interprètes : Rosalba Neri, Mark Damon, Esmeralda Barros, Xiro Papas

Au début des années soixante-dix, le fantastique gothique italien a quasiment disparu des écrans, remplacé depuis plusieurs années par le giallo, le polar social ou la sexy-comédie. Quelques rares et peu convaincantes résurgences du genre auront néanmoins lieu à l’époque sous la houlette des « pères » de l’âge d’or de l’épouvante gothique : Mario Bava (BARON BLOOD, 1972), Riccardo Freda (TRAGIC CEREMONY, 1972) ou Antonio Margheriti (LES DIABLESSES, 1973). En Angleterre, la célèbre Hammer vit ses derniers jours après avoir insufflé à certaines de ses productions des années 1970-71 (VAMPIRE LOVERS de Roy Ward Baker, 1970) une dose supplémentaire d’érotisme et de sang, la censure étant plus permissive et ayant d’autres chats à fouetter à l’époque avec des œuvres autrement plus subversives (LES DIABLES de Ken Russell, 1971, pour ne citer que lui…). En cette période charnière du début des années soixante-dix où les cinéastes italiens semblent avoir le monopole du « film à scandale » (LE DERNIER TANGO A PARIS de Bernardo Bertolucci, 1972 ; LA GRANDE BOUFFE de Marco Ferreri, 1973 ; PORTIER DE NUIT de Liliana Cavani, 1973), certains de leurs compatriotes œuvrent dans l’ombre plus discrète d’un cinéma d’exploitation devenu un peu plus respectable du fait de la plus grande tolérance en matière de sexe et de violence moralement acceptables. Parmi les petits artisans souvent opportunistes de ce courant, on peut citer comme « modèle » le réalisateur Renato Polselli (L’ORGIE DES VAMPIRES, 1964 ; AU-DELA DU DESIR, 1972) ou un de ses disciples en « sexploitation », Luigi Batzella (alias Paolo Solvay). Ce dernier n’aura aucunement marqué de son empreinte le cinéma bis transalpin, la plupart des bandes qu’il a réalisées (une bonne dizaine entre 1970 et 1980) étant soit indigentes (le western LE COLT ETAIT SON DIEU, 1972) soit moralement douteuses (le « nazisploitation » LA BESTIA IN CALORE, 1977). On peut néanmoins sauver son diptyque vampirico-érotique : LES VIERGES DE LA PLEINE LUNE et LES NUITS PERVERSES DE NUDA (1974).

Karl Schiller est un aristocrate féru d’archéologie qui pense être parvenu à localiser le légendaire Anneau des Nibelungen, source de pouvoir et d’immortalité, celui-ci se trouverait en Transylvanie ( !), dans le château du défunt Comte Dracula (!!). Si Karl s’intéresse à l’Anneau dans un but purement historique, ce n’est pas le cas de son frère jumeau Franz, un aventurier, qui dérobe à Karl une amulette protectrice et part seul dans les Carpates à la recherche de l’objet magique. Il se rend dans l’ancienne demeure du comte-vampire, y est accueilli par une étrange et belle comtesse qui ne tarde pas à l’envoûter ; celle-ci est une goule qui s’apprête à sacrifier cinq jeunes filles vierges afin de renouveler sa toute-puissance et sa jeunesse éternelle. Karl parviendra-t-il à sauver l’imprudent et à mettre fin aux agissements criminels de la Comtesse Dracula ?

LES VIERGES DE LA PLEINE LUNE ne cherche aucunement, et ce dès son titre programmatique, à dissimuler ce pour quoi il a été conçu, c’est-à-dire comme une bande exploitant sans scrupules le corollaire du film de vampires : l’érotisme et l’hémoglobine. Le long-métrage est d’ailleurs produit par Ralph Zucker qui fut quelques années auparavant à l’initiative du « décadent » VIERGES POUR LE BOURREAU (Massimo Pupillo, 1965) qui flirtait déjà ouvertement avec une forme certaine de racolage. Le film de Luigi Batzella n’est donc pas avare question nudité que ce soit lors de la scène d’amour assez explicite entre Franz (le peu charismatique Mark Damon, vu dans LES TROIS VISAGES DE LA PEUR de Mario Bava, 1963) et la sensuelle comtesse (splendide Rosalba Neri dont on peut aussi admirer les charmes naturels dans LADY FRANKENSTEIN de Mel Welles, 1971) ou lors d’une brève et attendue scène saphique entre cette dernière et sa dame de compagnie. Les rituels sataniques qui occupent une partie du dernier tiers du métrage seront aussi l’occasion de dévêtir et de filmer sans précipitation les cinq jeunes vierges plutôt accortes que la comtesse entend sacrifier. En comparaison, les scènes sanglantes sont très discrètes, assez éloignées de l’audace graphique à la limite du « gore » que l’on pouvait trouver dans les œuvres contemporaines de la Hammer. Le rapprochement avec les films de vampires de la firme britannique paraît cependant assez évident, LES VIERGES DE LA PLEINE LUNE y puisant fortement son inspiration à la fois thématique et esthétique. Bien que tourné dans le fameux château Balsorano qui servit de cadre à de nombreux gothiques italiens (LA CRYPTE DU VAMPIRE de Camillo Mastrocinque, 1962 mais aussi et encore VIERGES POUR LE BOURREAU), le film semble hermétique à l’influence du cinéma fantastique « latin » où prédominaient le noir et blanc, l’importance des tourments et des affects des personnages, le maniérisme et le symbolisme. On trouve en revanche dans LES VIERGES DE LA PLEINE LUNE une évidente parenté avec COMTESSE DRACULA (Peter Sasdy, 1971), évocation hammerienne des méfaits de la comtesse Bathory. Le film italien fait de son héroïne interprétée par Rosalba Neri un épigone de la sanglante Erzsébet et ce n’est pas un hasard si la meilleure séquence du long-métrage nous la présente nue dans une baignoire en plomb, en extase pendant que sa servante déverse lentement le sang virginal sur son visage et son corps ; dans un lent mouvement qui semble filmé au ralenti, la sculpturale actrice couverte de liquide rouge se redresse, nimbée d’une vapeur atmosphérique.

Malheureusement, les scènes ou même les plans vraiment iconiques ne sont pas légion et le film a souvent tendance à se montrer d’une assez grande platitude en ce qui concerne la mise en scène que l’on peut qualifier de fonctionnelle voire de télévisuelle par moments. Le cadre baroque de Balsorano est par exemple très peu mis en valeur, la gestion de cet espace pourtant déterminant étant réduite à quelques plans fixes sans amplitude, sans profondeur de champ. D’autres défauts estampillés « début des années 70 » émaillent également le long-métrage qui fourmille de zooms souvent inutiles et de séquences en caméra (mal) portée qui lui confèrent une apparence parfois un peu « cheap » ou anachronique (les plans « psychédéliques » ou en « fish-eye »). Il faut en revanche saluer le bon travail du chef-opérateur Aristide Massaccesi (futur Joe D’Amato, pape du bis « craspec ») qui donne au visuel du film une tonalité « ouatée » du plus bel effet. On passera rapidement sur l’aspect parfois incohérent et un peu fourre-tout du scénario (l’Anneau des Nibelungen, des vampires, une néo-Bathory, des rituels sataniques, deux Mark Damon…cela fait un peu trop en 80 minutes !) pour en fin de compte conseiller cette petite bande non dénuée de qualités et en tout cas toujours plaisante aux nostalgiques d’un cinoche artisanal à jamais disparu…


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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