Les Voyages de Gulliver

Un texte signé Tom Flener

USA - 1939 - Dave Fleischer
Titres alternatifs : Gulliver's Travels
Interprètes : ...

Après s’être échoué sur une île peuplée par des gens de petite taille (les Lilliputiens), Gulliver doit gérer le conflit entre deux rois dont les enfants s’aiment.
Contrairement à ce que le titre promet, LES VOYAGES DE GULLIVER ne s’intéresse qu’aux aventures de Gulliver à Lilliput et, destiné surtout à un public d’enfants, évite la satire sociale de l’œuvre originale. En tant que réponse de la Paramount au BLANCHE-NEIGE de Disney, GULLIVER sera le deuxième long-métrage animé jamais sorti, et tout comme son prédécesseur de chez Disney, il deviendra un succès fulgurant. Si l’on veut évaluer l’œuvre des Fleischer, il faut impérativement le faire en comparaison avec BLANCHE-NEIGE, œuvre dont le succès assura l’existence même de GULLIVER.
Déjà en 1934, Max et Dave Fleischer voulaient produire un premier long-métrage, mais la Paramount s’y opposa… jusqu’au succès de BLANCHE-NEIGE en 1937. Juste avant le début des travaux sur GULLIVER, les Studio Fleischer déménagèrent de New York à Miami. Afin que le film puisse sortir pour Noël 1939, il fallut engager des animateurs, et bientôt les lieux devinrent trop petits pour l’équipe. Finalement, les désaccords entre les équipes de New York et de Miami commencèrent à se faire sentir, et la production dut se faire dans une ambiance peu favorable.
Pour gagner du temps, et pour compenser le manque d’expérience de certains animateurs, la méthode du rotoscoping fut utilisée afin de copier les mouvements de Gulliver depuis une pellicule prise à partir d’un acteur. Tandis que Gulliver sera rendu dans un style réaliste, les Lilliputiens seront dessinés dans le style des cartoons (figures rondes ou étirées, gros nez). Aspect repris (de manière consciente ou inconsciente) de BLANCHE-NEIGE, film dans lequel Blanche-Neige présente une allure réaliste, tandis que les nains restent des caricatures de cartoon. Seuls le prince et la princesse, à côté de Gulliver les deux personnages d’identification pour le public, ont figure humaine.
Cela fonctionne mieux dans l’œuvre de Disney (humains et nains, après tout, sont deux races différentes). Dans GULLIVER, voir les deux rois, figures de cartoon, côte à côte avec leurs enfants, personnages réalistes, crée un effet des plus déconcertants, et souligne surtout le fait que les frères Fleischer n’arrivaient pas à se distancer de l’esthétique des cartoons.
Cette difficulté à s’adapter au long-métrage animé ne se retrouve pas seulement au plan esthétique, mais se révèle aussi au niveau de l’intrigue. Contrairement au film de Disney, GULLIVER n’arrive pas à faire le saut du comique vers d’autres rives émotionnelles. Le tragique, bien qu’il y ait des opportunités, ne se fait jamais sentir. On peut opposer l’argument que GULLIVER est un film pour enfants, mais il ne faut pas oublier que BLANCHE-NEIGE s’aventure dans ce territoire sans problème, et qu’il est aimé par le grand public pour cette raison, aujourd’hui encore.
Dave Fleischer n’arrive pas non plus à se distancer du rythme propre aux courts-métrages. Trop souvent, GULLIVER n’arrive pas à convaincre en tant que long-métrage, et s’apparente plus volontiers à une chaîne de gags. Après tout, le but d’un long-métrage est de raconter une histoire, alors que celui d’un court animé est très souvent d’exploiter un gag. GULLIVER, de son côté, est trop long pour raconter son histoire de façon bien rythmée, et finit par nous livrer une collection de petits épisodes.
Techniquement, GULLIVER fonctionne très bien. Grâce au rotoscoping, le personnage de Gulliver reste le mieux réalisé, et le rendu des ombres lors de certaines scènes de nuit fonctionne à merveille. Il est néanmoins dommage que les Lilliputiens n’aient pas été animés avec la même technique. Le souci de vouloir offrir des personnages moins réalistes aux enfants (si c’est bien ce qui a été tenté ici) éloigne le métrage de son public adulte. Le rotoscoping sera par la suite utilisé par Dave Fleischer pour la série SUPERMAN, et fonctionnera beaucoup mieux lorsque tous les personnages seront rendus de façon plus ou moins réaliste.
Finalement, il est dommage que LES VOYAGES DE GULLIVER soit tombé dans l’oubli. Moins sophistiqué que BLANCHE-NEIGE dans ses efforts pour trouver un langage propre au long-métrage animé, le film des frères Fleischer est néanmoins une œuvre bien réalisée. Si ses défauts ne manquent pas de souligner la perfection du premier long-métrage de Disney, voir GULLIVER reste essentiel pour tout nostalgique de l’animation.


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- Article rédigé par : Tom Flener

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