Un texte signé Alexandre Lecouffe

Italie - 1958 - Mario Bonnard
Titres alternatifs : Afrodite Dea dell'Amore
Interprètes : Isabelle Corey, Antonio de Teffé, Irène Tunc

retrospective

L’esclave de l’Orient

La carrière de Mario Bonnard a couvert tout un pan de l’histoire du cinéma italien, de l’époque du muet à la fin des années 50 ; spécialisé dans les comédies, les mélodrames ou les films en costumes, beaucoup de ses oeuvres n’ont pas été commercialisées hors de l’Italie et celles qu’il a pu tourner ailleurs que dans son pays sont tombées dans l’oubli (qui se souvient de HAINE, AMOUR ET TRAHISON de 1954 avec la débutante Brigitte Bardot ?). Il est cependant celui qui a « lancé » la carrière de Sergio Leone, assistant-réalisateur sur ses derniers films et co-réalisateur de LES DERNIERS JOURS DE POMPEI (1959) que Mario Bonnard, malade, n’a pu terminer. L’année précédente, Sergio Leone co-signait également avec lui son premier scénario, celui de L’ESCLAVE DE L’ORIENT.
En l’an 67 de notre ère, l’empereur Néron qui vient de conquérir la cité grecque de Corinthe laisse celle-ci à la charge de son sbire Antigon et lui confie une tâche glorieuse : le percement d’un immense canal. Ce dernier devant passer par le temple d’Aphrodite, il est décidé, pour apaiser le peuple, d’en construire un nouveau ; c’est le sculpteur Demetrios qui est choisi et qui devra travailler sur une statue de la Déesse. Antigon décide de taxer ses concitoyens pour le financement de l’œuvre ce qui provoque la révolte de ces derniers ; lors d’une émeute, la chrétienne Lerna est arrêtée et vendue à un marchand d’esclaves. Elle fera la connaissance de la mystérieuse Dalia, vendue elle aussi, mais qui va tenter avec succès de séduire son maître puis de charmer Antigon. Pendant ce temps, Demetrios qui a rencontré Lerna, en tombe amoureux et la choisit comme modèle pour sa statue. Ce choix va attiser la colère de la perfide Dalia qui pensait avoir séduit Demetrios et devenir sa muse pour la création de son œuvre.
Le titre original du film (« Aphrodite, déesse de l’amour ») donne une importance centrale à la divinité grecque de la beauté et le scénario traite plus globalement des thèmes de la séduction, de la rivalité amoureuse et de la dichotomie entre Art et Pouvoir (le dilemme de Demetrios qui ne vit que pour son art mais qui prend conscience de la tyrannie exercée par ses « employeurs » à l’encontre des Chrétiens). L’ESCLAVE DE L’ORIENT semble s’inspirer du roman Aphrodite de Pierre Louÿs dans lequel le sculpteur Demetrios, créateur d’une statue d’Aphrodite, tombe sous le charme et l’emprise vénéneux d’une courtisane qui ressemble au personnage de Dalia dans le film. La comparaison s’arrête ici puisque le Demetrios de Mario Bonnard et Sergio Leone choisira la vertueuse chrétienne Lerna avant de se muer en défenseur des opprimés. Le scénario, assez manichéen, oppose donc des esclaves chrétiens luttant pour leur liberté et des Romains assoiffés de pouvoir et de luxure ; cette relative simplicité narrative est cependant étoffée par une caractérisation assez fouillée des personnages, notamment celui de Dalia dont l’ambition, la combativité et le machiavélisme rappellent une figure de tragédie grecque. Par ailleurs, les scènes sont très dialoguées, le style volontairement théâtral et cet aspect un peu « intellectuel » (réflexion sur les enjeux du Pouvoir, de l’Art, de la séduction…) se développe au détriment des scènes d’action, peu nombreuses et vite expédiées (le massacre rapide de quelques chrétiens au début du film). Quant au sous-texte « érotique », il se résume finalement aux scènes de danses lascives effectuées par Dalia qui restent très sages (surtout si on les compare avec la danse érotique de Debra Paget dans LE TOMBEAU HINDOU de Fritz Lang, 1959). Bien filmé, L’ESCLAVE DE L’ORIENT reste un « péplum » de bonne facture (bonne gestion du cadre et de l’espace, costumes et décors réalistes et soignés…) auquel il manque cependant le lyrisme d’un Ricardo Freda. L’interprétation est honnête, il est à noter que les deux rôles féminins principaux sont tenus par des actrices françaises assez crédibles (Irène Tunc et Isabelle Corey) mais manquant d’une vraie sensualité. Demetrios est joué par Anthony Steffen (Antonio de Teffé à l’époque), futur abonné aux westerns italiens ; la scène où il est attaché et flagellé rappelle naturellement le martyr d’un Saint et préfigure les scènes violentes des films dans lesquels son corps sera meurtri (DJANGO IL BASTARDO de Sergio Garrone, 1969).


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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