L’espion qui venait du surgelé

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Chef-opérateur émérite et excellent spécialiste des trucages visuels dans les années cinquante (LES VAMPIRES de Riccardo Freda, 1956), Mario Bava passe à la réalisation en 1960 en signant un des plus grands films du cinéma (fantastique) italien : LE MASQUE DU DEMON. Malgré le succès public et les louanges de la critique envers ce premier essai, la carrière de Mario Bava ne connaîtra plus vraiment une telle unanimité au cours des années soixante pendant lesquelles il aligne pourtant plusieurs chefs d’œuvre baroques : LE CORPS ET LE FOUET (1963), LES TROIS VISAGES DE LA PEUR (idem), SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN (1964) ou OPERATION PEUR (1966). C’est en cette même année que le réalisateur accepte une commande dans un registre très éloigné du sien puisqu’il s’agit d’une grosse comédie parodique : une suite au film américain DOCTOR GOLDFOOT AND THE BIKINI MACHINE de Norman Taurog, sorti l’année précédente et qui fut un beau succès en Italie. Derrière ce projet ouvertement commercial se trouve la firme A.I.P. de James H. Nicholson qui a produit les films de Roger Corman inspirés d’Edgar Poe et qui s’est spécialisée dans les bandes pour « drive-ins » (s-f. de série Z, « beach-movies »…). Co-produit par l’Italie en la personne de Fulvio Lucisano, L’ESPION QUI VENAIT DU SURGELE reprend donc le personnage désopilant du Docteur Goldfoot ce qui permit la rencontre de deux grands artistes du cinéma fantastique, l’acteur Vincent Price (LE MASQUE DE LA MORT ROUGE de Roger Corman, 1964) et le réalisateur de HERCULE CONTRE LES VAMPIRES (1961) pour un résultat que nous qualifierons de décevant.

Avec l’appui de la Chine communiste, le docteur Goldfoot ambitionne de devenir le maître du Monde et pour cela, il a mis au point une machine permettant de cloner des femmes ; ces « robots » en bikini sont envoyés partout dans le monde pour séduire de hauts dignitaires et… leur exploser au visage après avoir été embrassés ! Par ailleurs, le savant-fou a pris la place d’un officier de l’OTAN qui se trouve être son sosie et planifie le sabotage une importante conférence de l’organisation. Les services de contre-espionnage dépêchent alors un de leurs agents, Bill Dexter, pour contrer Goldfoot mais aussi, par erreur, deux apprentis-espions et véritables catastrophes ambulantes, Franco et Ciccio…

Tout comme DOCTOR GOLDFOOT AND THE BIKINI MACHINE sorti en 1965, ce DOCTOR GOLDFOOT AND THE GIRL BOMBS (titre américain) se veut une franche parodie des films d’espionnage qui étaient alors très à la mode avec les débuts de la franchise James Bond et l’énorme succès de GOLDFINGER (Guy Hamilton, 1964) auquel notre antihéros emprunte bien sûr beaucoup…Mais à la différence du premier opus qui donnait la vedette à l’immense Vincent Price, aussi à l’aise dans la comédie farcesque que dans la tragédie macabre (le superbe LA TOMBE DE LIGEIA de Roger Corman, 1964), le film de Mario Bava impose la présence d’un duo comique italien, Franco (Franchi) et Ciccio (Ingrassia) dont le registre assez limité est celui des grimaces à tout-va et des gags ou bons mots pachydermiques. Précisons que le long-métrage est en fait double puisqu’il existe une version italienne dans laquelle Franco et Ciccio sont nettement plus présents et une version américaine qui offre davantage de scènes à Vincent Price. Dans les deux cas malheureusement, le film est un ratage ; la faute à un scénario défaillant et à une absence flagrante de rythme, ce qui ne pardonne pas dans le cadre de la comédie burlesque…Si L’ESPION QUI VENAIT DU SURGELE fait illusion lors des séquences d’exposition présentant les différents protagonistes tous potentiellement drôles (le duo d’apprentis espions-gaffeurs, Bill Dexter et son obsession des femmes), loufoques (Goldfoot et son absurde machine) ou risibles (les généraux décrits comme des débiles légers), il s’essouffle dès la fin du premier quart d’heure et la première explosion d’une « bikini-girl ». Le duo comique, entre quiproquos attendus, gags éculés et concours de grimaces ne parvient jamais à faire ne serait-ce que sourire, le pauvre Vincent Price cabotine avec talent mais est desservi par des dialogues faiblards et un manque de dynamisme complet dans la mise en scène de ses méfaits, la dimension parodique du film ne fonctionne donc pas du tout. Mario Bava a pourtant certainement essayé de doter le récit d’éléments satiriques en faisant des dirigeants politiques et militaires internationaux des personnages ridicules ; on décèle bien l’ironie dans sa description des antagonismes entre membres de l’OTAN et dirigeants communistes mais le trait est bien trop superficiel pour insuffler de la vitalité au film.

On peut néanmoins reconnaître que dans sa dernière partie, L’ESPION QUI VENAIT DU SURGELE sort, et le spectateur aussi, de sa léthargie lorsque les chassés-croisés impliquant l’ensemble des protagonistes se transforme en une belle course-poursuite dans un Luna Park avant une fuite à bord d’une montgolfière. Ces séquences, qui ont recours à la technique du montage accéléré, à une gestuelle et des mimiques à la Mack Sennett ainsi qu’à des cartons explicatifs s’avèrent les plus réussies du film. L’autre petit lot de consolation sera, pour le cinéphile érotomane, la vision répétée de ribambelles de filles en bikini bien mises en valeur par les cadrages affutés de Mario Bava et surtout la présence de la toute jeune Laura Antonelli, en petite tenue durant une bonne partie du métrage. Celle qui deviendra un sex-symbol dans les années soixante-dix (MALICIA de Salvatore Samperi, 1973 ; L’INNOCENT de Luchino Visconti, 1976) ira déclinant avec les années et se retrouvera défigurée à la suite d’une réaction à des opérations de chirurgie esthétique, peu après avoir tourné dans MALICIA 2000 (Salvatore Samperi, 1992), remake de la sexy-comédie où elle rayonnait.

Absence de rythme, succession de sketches et de gags sans grande imagination, comédiens cabotinant chacun de leur côté (Franco et Ciccio et Vincent Price ne sont vraiment réunis que dans une longue séquence avec travestissement en nonne que l’on passera sous silence…), le film de Mario Bava ne retiendra l’attention que pour sa rareté et la curiosité que représente son double montage. On n’en tiendra pas rigueur au réalisateur de LA BAIE SANGLANTE (1971) d’autant moins qu’il parviendra, en reprenant certaines caractéristiques de ce film (un criminel défiant le Monde, une tonalité comique, des courses-poursuites, des filles sexy…) à réaliser une petite merveille avec son opus suivant, le psyché-pop DANGER DIABOLIK (1968).


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

- Ses films préférés :

Share via
Copy link