L’Étrange Festival 2014

Un texte signé Mazel Quentin

- 2014

L’Étrange Festival fête ses vingt ans cette année, un bien bel âge. Si cette nouvelle donne un léger coup de vieux à certains spectateurs, le festival lui n’a pas pris une seule ride. Il a grandi, pris de l’assurance, de la maturité et par son caractère atypique a su trouver ses marques et faire jouer ses nombreux atouts pour nous faire frémir, rire et parfois même pleurer.

En vingt ans, L’Étrange Festival s’est imposé comme l’un des festivals les plus perspicaces du paysage français. Il est, à ce titre, devenu l’un des symboles d’une génération de cinéphiles.

Trêve de lyrisme et passons aux choses sérieuses : le cinéma.

C’est le film THE VOICES de Marjane Satrapi, qui a ouvert cette édition 2014. Auteur reconnu de bandes dessinées, elle avait co-réalisé PERSEPOLIS il y a quelques années. Son nouveau film raconte l’histoire de Jerry Hickfang, manutentionnaire dans une usine de sanitaire, sujet à des troubles du comportement et à des hallucinations auditives et visuelles. Ce jeune homme, non moins sympathique, confie son amour pour une collègue de travail à ses animaux de compagnie doués de parole. Premier film de genre pour Marjane Satrapi, mais aussi première expérience aux États-Unis, le film est une superbe réussite. Bien écrite et regorgeant de bonnes idées de mise en scène, la nouvelle réalisation de l’auteur français est une bouffée d’air frais dans un genre, la comédie fantastique, commençant pourtant à s’essouffler.
On notera aussi le superbe court-métrage d’animation SMART MONKEY projeté avant le film de Marjane Satrapi lors de l’ouverture. Amusant, décalé et graphiquement superbe, ce film signé Nicolas Pawlowski et Winshluss, est un vrai régale.

La compétition longs-métrages pour le Prix Nouveau Genre, ne comporte pas moins de vingt-quatre films. Riche et variée, elle permet de découvrir les nouvelles œuvres de réalisateurs connus, mais aussi des films que nous n’attendions pas. Cette année c’est le métrage de Marjane Satrapi THE VOICES, dont nous venons de parler, qui remporte le Prix Nouveau Genre, délivré par Canal + Cinéma, et le Prix du Public. Une très belle réussite donc, pour ce nouveau film de la réalisatrice française.

Dans cette compétition, le film WHITE GOD de Kornél Mundruczó, qui a remporté cette année 2014 à Cannes le Prix Un Certain Regard, a ravi plus d’un spectateur avec un excellent scénario et une réalisation particulièrement efficace. Une excellente découverte du festival, mettant en scène l’histoire d’un chien abandonné par ses maîtres qui conduira une révolte canine.
THESE FINAL HOURS, un film australien, a lui aussi retenu l’attention. Le métrage signé Zak Hilditch raconte l’histoire de James lors des dernières heures de la Terre. Ce premier film arrive à transmettre aux spectateurs un spectre d’émotions variées avec brio. Une belle surprise.
Le dernier film de Nacho Vigalondo, OPEN WINDOWS, astucieux dans la forme et le fond est également une belle réussite. Le casting composé d’Elijah Wood, Sasha Grey et Neil Maskell est excellent et renforce un scénario sur les nouvelles technologies de l’information d’une rare intelligence. Le réalisateur espagnol confirme son talent avec ce superbe long-métrage.
L’Angleterre était aussi bien représentée, grâce au film HYENA de Gerard Johnson. Un polar efficace sur fond de trafic de drogue dans la veine des PUSHER de Nicolas Winding Refn. Comme NORTHWEST l’an passé, le métrage réussit à ne pas coller à ses références pour accoucher d’une œuvre personnelle et percutante.
Nous noterons également dans cette sélection le dernier bijou de Fabrice Du Welz, ALLELUIA. Un film dont le talent d’écriture et de mise en scène est particulièrement saisissant. Sans cesse déstabilisé, le spectateur suit l’histoire d’un couple d’escrocs entre plaisir, malaise, joie et embarras. L’une des grandes œuvres du réalisateur qui est soutenu dans sa tâche par deux acteurs époustouflants Lola Dueñas et Laurent Lucas.
Le film américain IT FOLLOWS, est un autre petit plaisir de la compétition. Très influencé par les années 80 et les slashers de l’époque, le second long-métrage de David Robert Mitchell suit un groupe de jeunes, comme on en a tant vu, tourmenté par une créature inconnue. Un film mystérieux et enthousiasmant, réalisé avec brio, une réjouissance dont il serait difficile de passer à côté.
Enfin, c’est le dernier métrage de Sono Sion TOKYO TRIBE qui clôture ce tour d’horizon de la compétition 2014. Un film explosif, dont l’énergie ne peut être que communicative. Alternant des scènes de combat de rue et de « rap battle », cette comédie musicale d’action adaptée du manga éponyme est une remarquable œuvre décérébrée et assumée comme telle. Un autre film très réussi, dont on retiendra surtout les décors incroyables.

Hors de la compétition, beaucoup de belles surprises étaient programmées. En premier lieu, le chef-d’œuvre testamentaire d’Alexeï Guerman, IL EST DIFFICILE D’ÊTRE UN DIEU. Adapté du roman des frères Strougatski, le résultat est monumental ; une fresque splendide d’un monde chaotique. Le film questionne, par l’intermédiaire de son personnage principal, la notion de cours de l’histoire. Probablement le 2001 L’ODYSSÉE DE L’ESPACE du XXIe siècle.
THE DISTANCE, est également une incroyable découverte. Ce métrage espagnol tourné en Sibérie, suit le qualificatif « no reason », formalisé par Quentin Dupieux, en transportant le spectateur dans un monde loufoque et improbable dans lequel plusieurs langues différentes apparaissent et se mêlent les unes aux autres. Drôle et poétique, THE DISTANCE est une autre belle surprise de cette édition.
Le nouveau film signé par le plus grand des provocateurs de notre époque, Uwe Boll, était aussi programmé, RAMPAGE : YOU END NOW. Moins nihiliste que le premier volet et plus ouvertement anticapitaliste, le film est l’occasion de retrouver la hargne folle de ce réalisateur trop souvent méprisé. Poursuivant la même optique que le premier opus, RAMPAGE 2 suit son personnage principal prendre, cette fois-ci, une station de télévision en otage. Explosif et sans complexe.
Enfin, nous avons retrouvé hors de cette compétition un réalisateur que beaucoup attendait depuis longtemps : Jang Joon-Hwan, père du brillant SAVE THE GREEN PLANET. Son nouveau travail est intitulé HWA YI : A MONSTER BOY. Kidnappé lorsqu’il était jeune puis élevé par ses ravisseurs, le jeune Hwayi évolue dans le milieu criminel à la recherche de son passé. Un thriller passionnant, superbement écrit dont la folie et la maîtrise ne peuvent que rendre enthousiaste les plus grincheux des cinéphiles.

Nous pouvons aussi souligner la présence, cette année encore, de plusieurs documentaires. On retrouve ainsi deux longs-métrages dédiés à la Cannon, THE GO-GO BOYS et ELECTRIC BOOGALOO. Deux films évoluant en parallèle qui permettent de bien comprendre l’époque dans laquelle cette société de production mythique a, entre autres, produit des films comme DELTA FORCE, LIFE FORCE, ou encore MASSACRE A LA TRONÇONNEUSE 2.
Puis un documentaire en hommage à l’acteur philippin Weng Weng, connu pour son rôle d’agent secret nain dans L’INVINCIBLE KID DU KUNG FU, qui est un reportage passionnant sur l’acteur et sur le cinéma philippin en général.
Enfin, un superbe documentaire sur le tournage de L’ÎLE DU DOCTEUR MOREAU était également projeté sous le titre LOST SOUL. Le métrage, au titre évocateur, explique les différents problèmes et difficultés survenus lors du tournage, ainsi que le projet en lui-même porté par Richard Stanley, réalisateur originel du film. Détaillant aussi l’arrivée de John Frankenheimer sur le film, LOST SOUL regorge d’anecdotes de tournage passionnantes et illustre parfaitement le naufrage de ce film qui démarrait pourtant si bien.
Cette vingtième édition met à l’honneur trois messieurs aux talents et à l’inventivité exceptionnels.

Pour commencer, c’est le réalisateur japonais Sono Sion, qui s’est vu offert une Carte Blanche. Légende de L’Étrange Festival, il est probablement celui qui a vu le plus de ses films projetés lors des vingt dernières éditions. Nous pourrions ainsi citer, COMME DANS UN RÊVE, REQUIEM POUR NORIKO, STRANGE CIRCUS, SUICIDE CLUB, ou encore, COLD FISH, GUILTY OF ROMANCE, WHY DON’T YOU PLAY IN HELL? qui a remporté le Prix Du Public en 2013, BAD FILM, et nous en oublions probablement.
Presque un habitué de la maison, il est l’un des réalisateurs emblématiques du festival, c’est donc en toute logique que cette année lui soit donné la possibilité d’organiser lui-même une partie de la programmation. On retrouve dans sa sélection, des œuvres inattendues comme BABE 2, LE COCHON DANS LA VILLE de George Miller et des classiques comme FRENCH CONNECTION de William Friedkin, ou ADIEU L’AMI de Jean Herman.

Jacques Audiard est le second héros de ce panthéon, à qui le festival a confié la responsabilité de choisir des œuvres à projeter. Ce cinéaste français touche-à-tout, a commencé sa carrière comme assistant monteur pour Roman Polanski sur LE LOCATAIRE. Avec son ami Jérôme Boivin, ils écrivent deux œuvres percutantes et d’une intelligence rare, BAXTER et CONFESSIONS D’UN BARJO. Deux films comme on aimerait en voir tous les jours. La carrière du fils de Michel Audiard prend alors le chemin de la notoriété quand il réalise REGARDE LES HOMMES TOMBER en 1994. La suite de sa carrière est couronnée du succès qu’on lui connaît, entre autres avec des films comme DE BATTRE MON CŒUR S’EST ARRETÉ, ou encore DE ROUILLE ET D’OS. Il propose une sélection de métrages hétéroclite et passionnante avec MONDO CANE, CONTINENTAL CIRCUS, CHERCHEUSE D’OR DE 1933 et l’extravagant LES TUEURS DE LA LUNE DE MIEL.

C’est enfin à l’immense cinéaste américain, Godfrey Reggio, à qui L’Étrange Festival offre une Carte Blanche. Connu dans le monde entier, cet ancien séminariste avait remis le cinéma non verbal au-devant de la scène avec sa trilogie QATSI dans les années 80. De manière assez attendue, sa sélection fait une belle place aux œuvres expérimentales en provenance d’Union Soviétique. On retrouve par exemple LES SAISONS, NOTRE SIECLE ou encore LES HABITANTS tous trois réalisés par le metteur en scène arménien Artavazd Pelechian.
D’autres œuvres plus « classiques » ont aussi été sélectionnées par Godfrey Reggio, comme le film magistral de Jerry Schatzberg, L’ÉPOUVANTAIL ou LOS OLVIDADOS, l’un des premiers grands succès de Luis Buñuel. Une sélection audacieuse et exigeante.
Probablement l’un des plus grands réalisateurs de notre époque Godfrey Reggio présentait également son nouveau long-métrage, après 11 ans d’absence, VISITORS. Le film fut l’un des temps forts incontestables de cette édition. Une œuvre poétique, qui s’assimile plus à une expérience « spectatorielle » qu’à un « simple » film.
Ces trois ténors du cinéma, très différents les uns des autres, résument très bien l’ambition du festival. Réunir un ensemble d’œuvres hétéroclites et variées afin de faire découvrir des films sans a priori.

20ans, 20films, nous propose de replonger sur un ton nostalgique dans les œuvres les plus excentriques et les plus surprenantes présentées par le passé. Une superbe sélection a ainsi été concoctée et l’on y retrouve TOTO QUI VÉCU DEUX FOIS, de Daniele Ciprì et Franco Maresco, SINGAPORE SLING de Nikos Nikolaïdis, MOON de Duncan Jones, TETSUO de Shinya Tsukamoto, DOWN TERRACE de Ben Wheatley, DEAD OR ALIVE de Takashi Miike, SEUL CONTRE TOUS de Gaspar Noé et beaucoup d’autres œuvres toutes aussi enthousiasmantes. Une magnifique initiative qui permet de voir ou revoir des classiques du festival dans d’admirables conditions.

Mentionnons cette année encore, la très belle séance de Retour de Flamme, animée comme toujours par Serge Bromberg. Elle a régalé ses spectateurs avec un cochon qui danse, une mouche acrobate, plusieurs courts-métrages de Robert Florey, une autruche mécanique et bien d’autres superbes étrangetés. Une compilation d’œuvres rares, uniques et excentriques, présentées par un fin connaisseur du 7e art, un vrai plaisir.

Comme chaque année le programme est foisonnant et nous n’avons malheureusement pas pu faire le tour complet de cette édition. Cohérence et étonnement, voilà probablement les deux adjectifs qui qualifient le mieux l’ensemble de ce programme comportant plus de quatre-vingts entrées.

Il faut maintenant conclure. Le manque de sommeil a rendu nos yeux rouges et les repas que nous avons manqués nous ont fait maigrir, mais nous sortons encore une fois réjouis de cette nouvelle édition, des rêves plein la tête. S’il n’y avait pas assez de bougies pour que l’ensemble des spectateurs puisse souffler l’anniversaire de ce fabuleux festival, croyez bien que tous nos vœux de bonheur lui étaient dédiés.

Merci encore à l’équipe de L’Étrange Festival pour son accueil, un remerciement particulier à Xavier Fayet, encore bravo au festival, bon anniversaire et à l’année prochaine.

Retrouvez nos chroniques de l’Etrange Festival 2014


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- Article rédigé par : Mazel Quentin

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