L’Étrange Festival 2015

Un texte signé Mazel Quentin

XXIe édition, 21 ans, un bien bel âge, mais cette année, nous ne céderons pas à la tentation des blagues et autres calambours d’usage, nous nous y sommes déjà trop prêtés les années précédentes.
Si nous ne nous abandonnons pas au lyrisme, il faut tout de même reconnaître que cela fait plaisir de voir un festival de cette qualité perdurer avec une programmation éclectique et atypique qui pourrait réserver l’évènement à un public de niche. Eh bien non, pas seulement, et cela fait chaud au cœur de voir des spectateurs nombreux et fidèles toujours prêts à découvrir des étrangetés.
Mais, commençons les hostilités…
C’est le film Brand NEW-U du réalisateur anglais Simon Pummell qui ouvre cette édition 2015. Après plusieurs courts-métrages, il décide de passer au format long avec ce film de science-fiction très inspiré par l’univers de Philipe K Dick. Nous plongeant dans une version futuriste de la ville de Londres, cette dystopie à l’ambiance froide et au scénario alambiqué ne convainc pas autant que nous l’aurions espéré. Malgré de très beaux décors et quelques belles idées, l’histoire sur-expliquée, les acteurs peu convaincants et la mise en scène maniérée alourdissent un film qui cherche la complexité là où la simplicité et l’efficacité aurait été préférables.
Le court métrage GHOST CELL, du jeune réalisateur français Antoine Delacharlery, a quant à lui illuminé cette séance d’ouverture. Mettant en scène Paris sous des traits fantomatiques, c’est surtout le dispositif ingénieux du film qui marque les spectateurs. Captant la capitale grâce à une caméra Stereoscopic 3D, le film nous transcrit les lieux sous des textures retravaillées, conservant principalement les « fils de fer » bruts des perspectives. Un procédé qui fait parfois ressembler la ville à une « modélisation numérique ». Elle prend alors un aspect cotonneux, voire filandreux, un superbe court-métrage en noir et blanc qui révèle un réalisateur ingénieux dont on espère pouvoir suivre les futurs projets.
La compétition longs-métrages pour le Prix Nouveau Genre compte cette année pas moins de vingt-trois films ! Éclectique et variée, la sélection permet, encore une fois, de suivre des réalisateurs déjà connus, mais également de découvrir de jeunes cinéastes prometteurs. Cette 21e édition voit le long-métrage d’Alex Van Warmerdam, LA PEAU DE BAX, récompensé du Prix Nouveau Genre, délivré par Canal + Cinéma. Une comédie dramatique mettant en scène Schneider, un tueur à gages à qui l’on confie un contrat le jour de son anniversaire. Il doit exécuter le jour même l’écrivain Ramon Bax, mais tout ne se passera évidemment pas comme prévu. Passant avec brio de la comédie grâce à des situations loufoques et des personnages hauts en couleur à des moments de tension maîtrisés à la perfection, le film est une superbe réussite.
Enfin, c’est MOONWALKERS d’Antoine Bardou-Jacquet qui a remporté le prix du public de cette année 2015. Un prix bien mérité pour cette comédie hilarante et loufoque mettant en scène Ron Perlman en agent de la CIA ayant pour mission de contacter Stanley Kubrick afin de le convaincre de mettre en scène un faux alunissage d’Apollo 11 en cas d’échec de la mission spatiale. Associé à Rupert Grint et Robert Sheehan, c’est un trio d’acteurs magistral qui porte ce film à la réalisation léchée et référencée. Une superbe petite claque dont on reprendrait bien une part. Un premier film brillant pour un cinéaste talentueux dont on attend avec impatience les prochains travaux.
Lors de cette compétition, plusieurs films ont fait forte impression, profitons-en donc pour parler de quelques-uns d’entre eux. Pour commencer, c’est TAG du grand Sono Sion qui était programmé. Le film traite des relations hommes/femmes et plus précisément, des différents stéréotypes sexuels liés aux femmes japonaises, entre autres la manière dont elles sont érotisées dans les productions du pays du soleil levant. Par ce nouveau métrage, Sono Sion renoue avec le cinéma qu’il avait offert avec WHY DON’T YOU PLAY IN HELL, intelligent, critique, drôle et généreux. Complètement foutraque, mais porteur d’un réel propos, le film propose de superbes vues aériennes (Sono Sion a acheté un drone dont il semble très fier). Un très beau moment de cinéma où le réalisateur s’amuse à déjouer les attentes des spectateurs pour mieux les satisfaire, jouant sur les clichés et poncifs pour accentuer son propos.
On retiendra également le très amusant TURBO KID de François Simard, Anouk Whissell et Yoann-Karl Whissell. Cette comédie d’action gore se déroulant dans un univers post-apocalyptique met en scène un jeune garçon passionné par les bandes dessinées. Survivant difficilement à l’hiver nucléaire, il deviendra un héros malgré lui lorsque son amie Apple sera enlevée par le terrible Zeus. Une ode décomplexée aux années 70-80 qui dégage une énergie folle et particulièrement communicative.
Cette édition 2015 fut également l’occasion de découvrir le nouveau film du réalisateur canadien Guy Maddin, accompagné par l’un de ses étudiants Evan Johnson, LA CHAMBRE INTERDITE. Avec ses « micro-récits » emboîtés les uns dans les autres à l’image des poupées russes, le film nous transporte dans un univers onirique, troublant et passionnant. Appuyé par un casting cinq étoiles avec notamment Charlotte Rampling, Géraldine Chaplin, Udo Kier, Mathieu Amalric et Jacques Nolot, le film explore les différents projets avortés ou disparus de l’histoire du cinéma. Grâce à une esthétique travaillée et une narration improbable, Guy Maddin nous plonge dans un univers parallèle hypnotique. Un film simplement splendide.
C’est après dix ans d’absence qu’Anders Thomas Jensen (LES BOUCHERS VERTS) nous revient enfin avec un nouveau film, MEN & CHICKEN. Nous retrouvons des visages que nous connaissons bien, Nikolaj Lie Kaas, Nicolas Bro et surtout Mads Mikkelsen grimé en obsédé sexuel légèrement retardé, de même que l’humour noir et dérangeant du réalisateur, avec cette histoire de famille très étrange, où deux frères tentent de découvrir qui est véritablement leur père.
Fut également projeté cette année le superbe documentaire de Michael Madsen, THE VISIT, UNE RENCONTRE EXTRATERRESTRE. Un film passionnant qui, partant du thème de l’ufologie, interroge la nature profonde de l’homme avec finesse et sagacité. Un film très pertinent où le réalisateur propose une simulation de la première rencontre de l’homme avec une intelligence extraterrestre.
Takashi Miike, cinéaste habitué du festival, fut également de la partie avec son YAKUZA APOCALYPSE : THE GREAT WAR OF THE UNDERWORLD. Moins pertinent que ses dernières productions, le film reste néanmoins un moment de plaisir complètement improbable dont il serait bête de se priver.
Enfin, était également sélectionné le très étrange NI LE CIEL NI LA TERRE de Clément Cogitore. Un film dans la plus pure tradition fantastique, où la dimension surnaturelle s’introduit insidieusement dans un cadre réaliste pour faire vaciller un monde jusque-là terre à terre. Le contexte de la guerre en Afghanistan dans lequel s’insère le film renforce le sentiment d’isolement et de trouble qui sied parfaitement à ce conte fantastique. Une belle découverte.
Cette année a aussi été l’occasion de découvrir le dernier film d’Hideo Nakata, GHOST THEATRE. Ce film âpre, à l’intrigue plate et sans rebondissement, les décors et lumières disgracieux, le tout accompagné par un casting jouant sans conviction est, on le déplore, une énorme déception. Un retour très faible à l’horreur donc pour le réalisateur japonais qui accouche d’un remake à l’intérêt très relatif de son premier film, LE SPECTRE DE L’ACTRICE.
Hors de la compétition, l’Étrange Festival avait également prévu cette année un focus sur les films d’exploitation turcs. Au programme, TARKAN CONTRE LES VIKINGS, HASSAN, L’ORPHELIN DE LA JUNGLE (TARZAN A ISTANBUL) et SEYTAN, un remake turque de L’EXORCISTE, et, afin de se coucher moins bête, un magnifique documentaire REMAKE, REMIX, RIP-OFF, dédié à ce cinéma si peu connu.
Dans la section Nouveaux talents, on retrouve plusieurs œuvres très intéressantes, dont le fameux et très attendu, AAAAAAAAH ! (huit « A », pas un de plus) de Steve Oram. Une œuvre complètement borderline et surexcitée, où les acteurs ne s’expriment que par onomatopées, imitant parfois le bruit des singes. Ce film est le digne successeur de John Water, punk et trash où tout est permis, qui parvient à tenir et exploiter une idée très simple (ou très bête, c’est au choix) sur le format d’un long métrage. Tournée avec un budget dérisoire, voire anecdotique, l’œuvre de Steve Oram déborde d’inventivité et d’idées saugrenues. Connu pour son rôle dans TOURISTES de Ben Wheatley qu’il avait également co-scénarisé, Steeve Oram confirme son talent pour le cinéma.
L’INCIDENT fait également partie des jolies découvertes de cette sélection. Le film raconte l’histoire de personnes emprisonnées dans des réalités, closes sur elles-mêmes, comme un escalier sans fin. Des idées narratives et graphiques ingénieuses qui souffriront malheureusement d’un final bavard et quelque peu tiré par les cheveux. Il reste toutefois une tentative intéressante d’un jeune réalisateur mexicain.
La catégorie Mondovision fut l’occasion de très belles découvertes. Le dernier film de Shane Carruth, UPSTREAM COLOR, était par exemple très attendu. Une superbe expérience en salle pour ce film sensible et sensitif d’une rare douceur. LOVE AND PEACE, second film programmé de cette édition, du réalisateur Sono Sion, (le monsieur en a tourné sept cette année), est un drame étonnant qui confirme, s’il était nécessaire, un talent phénoménal.
Fut aussi programmé dans cette section le dernier film de György Pálfi FREE FALL, une comédie décalée à l’humour noir cinglant et mis en scène avec la minutie que l’on connaît du réalisateur de TAXIDERMIE. Enfin, il a été possible de découvrir le très étonnant et polémique CHERNOZEM de Judd Brucke. Une œuvre expérimentale fascinante qui risque, on le regrette, de bientôt devenir invisible.
N’oublions surtout pas la sélection passionnante de documentaires, notamment un film dédié au travail de l’artiste H.R.Giger, DARK STAR : H.R.GIGER’S WORLD, présentant l’homme et son travail avec tendresse et complétude. Le très remarqué JODOROWSKY’S DUNE était également de la partie. Attendu avec fébrilité, le film n’avait eu droit qu’à quelques projections au festival de Cannes, il y a deux ans. Plusieurs documentaires sur la musique furent projetés comme INDUSTRIAL SOUNDTRACK FOR THE URBAN DECAY, dédié à la musique industrielle, THE DEATH & RESURRECTION SHOW à propos du groupe Killing Joke et B-MOVIE : LUST & SOUND IN WEST-BERLIN présenté par le musicien et acteur Mark Reeder et qui retrace l’histoire de la contre-culture berlinoise. De très belles choses donc pour cette sélection de documentaires qui ne cesse chaque année de croître (et ça fait plaisir).
Dans la section les pépites de l’Étrange figurent de très beaux films oubliés par l’histoire du cinéma, disparus des mémoires ou dont les copies restent rares. Ainsi, il a été possible de découvrir un chef-d’œuvre du cinéma soviétique, L’AIGUILLE, de Rachid Nougmanov. Une œuvre poétique et pleine de vie qui a rassemblé une salle comble et enthousiaste. Le très étonnant REVES SANGLANTS de Roger Christian, film qui avait malheureusement disparu depuis son passage au Festival d’Avoriaz en 1983. BAD BOY BUBBY, l’œuvre culte du réalisateur australien Rolf de Heer, était aussi de la partie. De purs moments de plaisir en somme, permettant de voir ou revoir ces films dans les conditions optimales d’une salle de cinéma.
Enfin, le festival a offert une superbe Carte blanche à celui qui est devenu l’un des chouchous de l’Étrange, Ben Wheatley. L’occasion pour le réalisateur de montrer une partie des films fétiches qui ont influencé son travail. Furent ainsi projetés LES COPAINS D’EDDIE COYLE de Peter Yates, LA CASTAGNE de George Roy Hill, UN CHATEAU EN ENFER de Sydney Pollack, MARKETA LAZAROVA de Frantisek Vlácil, l’une des principales inspirations de Wheatley pour son film, A FIELD IN ENGLAND. Enfin et surtout, ce qui fut l’un des évènements majeurs de cette édition, la projection de LA FORTERESSE NOIRE de Michael Mann. Une salle comble pour une œuvre culte qu’il était impossible de manquer.
Benoît Delépine était le second invité à proposer une Carte Blanche. L’an passé, il avait présenté son dernier et très beau film, NEAR DEATH EXPERIENCE avec Michael Houellebecq. Cette année, il a sélectionné pour le festival les œuvres qu’il a aimées et qu’il « voulait revoir ». Nous avons ainsi pu l’accompagner dans ses projections de NORWAY OF LIFE de Jens Lien, MY JOY de Sergei Loznitsa, la comédie française complètement improbable TRANQUILOU de Gérald Touillon, le tout premier long-métrage réalisé par Tim Burton, PEE-WEE BIG ADVENTURE et enfin, HEAVY GIRLS d’Alex Ranisch.
Enfin, ce fut le grand Guy Maddin qui programma lors de cette édition sept films dans le cadre de la troisième et dernière Carte Blanche. Fidèle à son inclinaison pour le noir et blanc, le réalisateur canadien programma THE PENALTY de Wallace Worsley, mais également GLEN OR GLENDA d’Edward D. Wood Jr, une œuvre culte fascinante à découvrir en salle. Dans un autre registre furent également programmés SENSUELA de Teuvo Tulio, THE DEVIL’S CLEAVAGE de George Kuchar et APPORTEZ-MOI LA TETE D’ALFREDO GARCIA de Sam Peckinpah.
Enfin, et nous nous arrêterons là, cette édition accueillait une fois de plus Serge Bromberg, malheureusement seulement présent en vidéo cette année, avec sa séance Retour de Flamme, pour découvrir une copie restaurée de L’INHUMAINE, le chef d’œuvre de Marcel L’Herbier. Une copie qui rend honneur aux superbes décors art déco du film.
Une très belle édition qui s’achève donc. Nous n’avons malheureusement pas pu nous étendre sur toutes les projections et tous les évènements. La programmation dense et foisonnante nous a, cette année encore, contraints à faire des choix. Une chose est sûre, nous quittons cette 21e édition les yeux rouges, mais pleins d’étoiles.
Merci encore à l’équipe de l’Étrange Festival pour son accueil, un remerciement particulier à Xavier Fayet, encore bravo au festival et à l’année prochaine.


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- Article rédigé par : Mazel Quentin

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