retrospective

L’étrange vice de Madame Wardh

Sous genre très populaire en Italie au cours du début des années ’60 et jusqu’au milieu des années ’70, le giallo, cette variante du thriller à suspense mâtiné d’une bonne dose d’érotisme et d’épouvante, reste invariablement attaché à des cinéastes comme Mario Bava et surtout Dario Argento. Pourtant, il serait dommage de négliger les œuvres de metteurs en scène tels que Umberto Lenzi, Lucio Fulci ou Sergio Martino qui livrèrent, eux aussi, d’intéressantes variations sur les thèmes chers aux «policiers » italiens. Sergio Martino, après quelques essais dans le domaine du pseudo documentaire choquant de type « mondo » (L’AMERIQUE NUE ET VIOLENTE) et le western (ARIZONA SE DECHAINE), réalisa ainsi cinq intéressants gialli sur une période de deux ans, de cet ETRANGE VICE DE MADAME WARDH en 1971 à TORSO en 1973 en passant par LA QUEUE DU SCORPION, TOUTES LES COULEURS DU VICE et IL TUO VIZIO E UNA STANZA CHIUSA E SOLO IO NE HO LA CHIAVE.

Réalisé juste après le triomphe de L’OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL de Dario Argento, L’ETRANGE VICE DE MADAME WARDH opère en quelque sorte la jonction entre le giallo des sixties, généralement axé sur des machinations visant à s’emparer d’un héritage, et son homologue des seventies. Ce-dernier s’avère plus porté sur les dimensions sexuelles et violentes des intrigues, lesquelles incluent presque toujours un mystérieux sadique vêtu de noir agressant sauvagement des demoiselles dénudées. Les références psychanalytiques sont également de rigueur, tant par l’exploration du passé des personnages principaux et de leurs traumatismes enfouis que par l’utilisation des perversions sexuelles comme moteur déclencheur des événements, sans oublier, dans le cas qui nous occupe, une citation freudienne placée lors du générique.

L’intrigue de L’ETRANGE VICE DE MADAME WARDH se déroule à Vienne, où nous découvrons le diplomate Neil et sa très belle épouse, Julie Wardh (incarnée par Edwige Fenech, reine du giallo ensuite reconvertie dans la comédie érotique via les interminables saga de « La prof », « la toubib », etc. ) vaquant à leurs occupations mondaines tandis que la ville vit dans la terreur. Un maniaque vêtu de noir assassine en effet des jeunes femmes et l’enquête policière piétine. Neil étant rarement présent, Julie fantasme sur sa précédente relation, teintée de sadomasochisme, en compagnie de Jean, lequel continue de poursuivre son ancienne compagne de ses assiduités, lui envoyant régulièrement des bouquets de roses assortis de messages lourds de sous-entendus. Lors d’une soirée animée, Julie rencontre George, le très séduisant cousin de son amie Carol, lequel devient rapidement son nouvel amant. Peu après, un maître chanteur demande à Julie une forte somme d’argent en échange de son silence. Persuadée qu’il s’agit d’un nouveau tour de Jean, Carol se propose de se rendre au rendez-vous à la place de son amie et tombe sous les coups de rasoir du meurtrier terrorisant Vienne. Julie fuit vers l’Espagne en compagnie de George mais cela suffira t’il à la sauver du tueur qui semble l’avoir choisie pour prochaine cible ?

Doté d’un scénario solide, L’ETRANGE VICE DE MADAME WARDH reprend à son compte les ficelles éprouvées du roman policier classique et s’apparente à un classique « whodunit », l’élimination progressive des suspects resserrant l’étau autour du coupable. Sergio Martino s’inspire également de deux modèles cinématographiques évidents, à savoir LES DIABOLIQUES d’Henri-Georges Clouzot et L’INCONNU DU NORD EXPRESS d’Alfred Hitchcock. Des références toutefois bien digérées et agrémentées des éléments indispensables à tous les bons gialli, à savoir quelques séquences sanglantes et une bonne dose de nudité gratuite et d’érotisme trouble. Le métrage culmine d’ailleurs lors d’une scène angoissante, située dans un parc viennois désert, au cours de laquelle une belle demoiselle en détresse tente d’échapper au rasoir du dangereux maniaque. Les séquences oniriques et fantasmatiques d’Edwige Fenech sont également excellemment mises en scène par Sergio Martino, lequel s’appuie sur le jeu adéquat d’Ivan Rassimov (surtout connu pour son rôle dans LE DERNIER MONDE CANNIBALE), sur une musique très sensuelle et sur une photographie classieuse.

Si les révélations du derniers tiers s’emballent de manière quelque peu excessive et perdent pratiquement toute vraisemblance (une caractéristique de la plupart des gialli, y compris les plus réputés), le scénario bien charpenté du métrage permet au spectateur de ne jamais s’ennuyer d’autant que les interprètes, tous très convaincants, crédibilisent cette intrigue riche en twists inattendus.

Servi par une mise en scène efficace, L’ETRANGE VICE DE MADAME WARDH comprend tous les ingrédients nécessaires à un bon giallo (suspense, érotisme, meurtres sanglants, belle musique et photographie soignée) pour aboutir à une œuvre prenante s’inscrivant parmi les plus belles réussites du genre.

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