L’Homme Tatoué

Un texte signé Jérôme Pottier

USA - 1969 - Jack Smight
Titres alternatifs : The Illustrated Man
Interprètes : Rod Steiger, Robert Drivas, Claire Bloom

A la fin des années 60, le chevronné réalisateur Jack Smight (avec plus d’une cinquantaine de films à son compte) contacte le légendaire auteur de science-fiction Ray Bradbury (FARHENEIT 451, CHRONIQUES MARTIENNES) pour lui racheter les droits, en vue d’une adaptation cinéma, de THE ILLUSTRATED MAN. Celui-ci accepte à la seule condition que le rôle de l’homme illustré soit tenu soit par Paul Newman, soit par Burt Lancaster ou Rod Steiger. Ce dernier sera donc l’interprète principal de ce film hors normes, réalisé en 1969, qui nous conte un bien étrange récit.

Willie, un jeune et bel éphèbe, boy-scout de surcroît, parcourt les routes américaines à la recherche de travail. Il rencontre, lors d’une de ses haltes en pleine nature, un étrange personnage nommé Carl. Celui-ci est recouvert d’illustrations sur tout le corps et transporte un chien vivant dans un sac en toile de jute. Il va lui raconter son histoire…
Voilà un bien étrange film que L’HOMME TATOUE, car c’est ainsi que le distributeur français de l’époque (qui ne l’avait sans doute pas visionné puisque, dès le début, le personnage de Carl hurle qu’il est illustré et non tatoué !) traduisit le titre. On pense avoir affaire, tout d’abord, à un long métrage ambigu et pernicieux tel que savait en produire le cinéma étasunien de l’époque.
En effet, dès le début Willie, adonis androgyne, est filmé intégralement nu lorsqu’il se baigne, alors qu’à l’autre bout de la rivière s’élance un Carl aussi peu vêtu. Les deux hommes se rencontrent et s’assoient pour se restaurer ensemble et discuter. Carl est cyclothymique mais cela ne semble pas faire fuir Willie qui reste pour écouter ses dires les plus délirants. Willie est fasciné par cet homme qui dit rechercher celle qui l’a illustré pour la tuer. Chaque dessin raconte une histoire, qu’elle soit passée, présente ou future, et la seule partie vierge du corps de Carl (située dans son dos) vous dévoile votre propre mort. Willie reste et cela malgré les accès de fureur de Carl. Il est hypnotisé par les illustrations et il plonge dans l’une d’elle, puis une autre, chacune lui contant une aventure.
Et c’est là que le film perd en intensité, car ces histoires ne sont rien d’autres que de la bonne vieille SF à papa. Le tout est filmé dans des décors bien kitsch avec les frusques qui vont avec (ah, Rod Steiger en « moule burnes » façon Captain Kirk). Exit l’ambivalence de la première demie heure, et cela même si le final ménagera son lot de surprises !
On imagine bien que le travail d’Howard B. Kreitsek, qui signe là son premier script, ne fut pas simple tant il est difficile d’adapter un recueil de nouvelles pour en faire un long métrage homogène. Il choisit d’adapter le prologue et d’y ajouter trois nouvelles du grand Ray Bradbury : THE VELDT (LA BROUSSE), THE LONG RAIN (LA PLUIE) et THE LAST NIGHT OF THE WORLD (LA DERNIERE NUIT). Le choix d’utiliser les illustrations comme lien entre les sketchs est même plutôt ingénieux de la part de ce scénariste débutant, également producteur du film. Ainsi, on lui pardonne ses maladresses car l’interprétation sauve les meubles.
Le casting est de toute première classe. Rod Steiger est stupéfiant, à la fois attachant et effrayant, lui qui devait endurer 20 heures de maquillage pour devenir l’homme illustré. Il sera sublime deux ans plus tard dans le meilleur western de Sergio Leone : IL ETAIT UNE FOIS LA REVOLUTION. Claire Bloom est superbe en tant qu’illustratrice. Celle qui six ans plus tôt tétanisait le monde entier dans le film le plus effrayant de l’histoire du cinéma, LA MAISON DU DIABLE de Robert Wise, livre ici une composition mystérieuse. Robert Drivas, transfuge de la télé signe, dans le rôle de Willie, sa première incursion pour le cinématographe ; il y reviendra, en 1976, pour le petit bijou de série B paranoïaque signé Larry Cohen, GOLD TOLD ME TO (DEMON/MEURTRES SOUS CONTROLE).
Cette distribution hors pair est dirigée par le vieux briscard Jack Smight. Ce dernier réalisa peu de films pour le cinéma mais fut un téléaste émérite. On lui doit, entre autre, l’excellent FRANKENSTEIN THE TRUE STORY (1973). Ce téléfilm de trois heures est l’adaptation la plus fidèle aux écrits de Mary Shelley, on y retrouve James Mason, Leonard Whiting et l’agent très spécial David Mc Callum. Il signe, avec THE ILLUSTRATED MAN, une œuvre bancale mais attachante. Bien qu’il se sacrifie parfois à quelques tics de réalisation typiques de l’époque (ah, les filtres de couleur sur l’objectif !), il livre un travail de grande classe, utilisant à merveille le cinémascope lors de quelques plans larges de toute beauté. A l’image de son personnage principal, ce film se doit d’être vu comme une curiosité… une curiosité comme on n’oserait plus en réaliser aujourd’hui.


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- Article rédigé par : Jérôme Pottier

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