L’ïle du Dr Moreau

Un texte signé Frédéric Pizzoferrato

USA - 1932 - Erle C. Kenton
Titres alternatifs : Island of lost souls
Interprètes : Charles Laughton, Richard Arlen, Leila Hyams, Bela Lugosi, Kathleen Burke

Classique de H.G. Wells, le roman « L’île du Dr Moreau » fut adapté une première fois en 1921 par Urban Gad. Cette version muette produite en Allemagne fut suivie par celle qui nous occupe aujourd’hui, réalisée par Erle C. Kenton. Bien plus tard, l’œuvre fut encore transposée à l’écran par Gerardo De Leon (sous le titre TERROR IS A MAN ou CREATURES FROM BLOOD ISLAND). Don Taylor et John Frankenheimer livrèrent également leurs versions, toute deux forts décevantes, respectivement en 1977 et 1996.
Produit par la Paramount, studio alors peu familier de l’épouvante, L’ILE DU DR MOREAU traitait d’un thème à l’époque brulant mais aujourd’hui toujours d’actualité, à savoir les dérives possibles de la science. Un sujet jugé « contre nature » par la toute puissante censure britannique qui interdit carrément le métrage jusqu’en 1958 !
L’intrigue suit un certain Edward Parker, seul survivant d’un naufrage, recueilli par un capitaine de marine alcoolique. Suite à une querelle, celui-ci finit par abandonner Parker sur l’île d’un savant, le Dr Moreau. L’ile ne figure sur aucune carte et les navires n’y passent qu’une fois par an, aussi Parker est il forcé d’accepter l’hospitalité du médecin. Loin de sa fiancée, le naufragé fait la connaissance de la belle mais étrange Lota, une fille très féline et mystérieuse. Peu à peu, le Parker comprend la véritable nature de Lota et de tous les indigènes de l’île, lesquels sont en réalité des animaux transformés en êtres humains par le Dr Moreau. Mais celui-ci pourra t’il rester maître de ses créations ?
Même si il est de notoriété publique que H.G. Wells détestait ce film, Erle C. Kenton propose une intéressante variation sur des thèmes classiques du cinéma fantastique et pose la question « la science peut-elle tout se permettre ? ». Le cinéaste offre une réflexion plutôt pertinente et quasiment philosophique sur le sujet en adoptant d’ailleurs un rythme lent qui ne s’accélère que durant la célèbre scène finale de révolte. Les ajouts de cette version cinéma, particulièrement, la présence de la femme panthère, constituent de belles initiatives et seront d’ailleurs par les versions cinématographiques ultérieures, associant irrévocablement l’intrigue à ce sous-texte teinté d’érotisme bestial pourtant absent du roman originel. L’ILE DU DR MOREAU aborde ainsi, presque frontalement, le thème de la zoophilie, sujet évidemment éminemment tabou et rarement abordé à l’écran. L’arrivée de la fiancée du héros sur l’île, lors du dernier tiers du film, s’avère assez peu crédible mais permet toutefois la mise en place d’un intéressant triangle amoureux qui confère un intérêt supplémentaire à l’intrigue mais tient également lieu de garant moral en remettant en quelque sorte le héros dans le « droit chemin ».
Au niveau de l’interprétation, notons surtout la très belle performance de Charles Laughton, dans le rôle du Dr Moreau, qui compose un mémorable savant fou dont la normalité apparente renforce le côté inquiétant. Au lieu de jouer tout en charge comme la plupart des acteurs de cette époque (à l’image de Colin Clive dans FRANKENSTEIN par exemple), Laughton a l’intelligence de proposer une interprétation nuancée, son personnage n’étant clairement pas fou – dans le sens habituellement admis du terme en tout cas – mais simplement un être dénué de tout sens moral et capable de tout pour faire triompher ses idées.
Kathleen Burke dans le rôle, non crédité, de Lota la femme panthère, se révèle pour sa part à la fois féline, sexy et menaçante tandis que Richard Arlen se montre convaincant dans son rôle de naufragé allant de surprise en surprise. Les mutants maquillés, menés par un très efficace Bela Lugosi, gardent un certain potentiel angoissant et la séquence finale au cours de laquelle ils se révoltent contre leur créateur en l’emmenant dans la « House of Pain » mérite de figurer dans toute bonne anthologie du fantastique à l’écran.
L’ILE DU DR MOREAU n’est pas parfait – l’absence d’une bande originale appropriée se fait souvent cruellement sentir, le film, tourné au tout début du parlant, n’ayant pas de musique – mais il garde une force étonnante pour une œuvre datant des années 30. Bref, un classique à redécouvrir.


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- Article rédigé par : Frédéric Pizzoferrato

- Ses films préférés : Edward aux Mains d’Argent, Rocky Horror Picture Show, Le Seigneur des Anneaux, Evil Dead, The Killer


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