L’Infernale Poursuite

Un texte signé Sophie Schweitzer

Ken se livre au trafic de drogue afin de payer ses études. Malheureusement pour lui, sa petite amie Tina l’apprend. À la suite d’une violente dispute sur le sujet, la jeune femme tombe et meurt accidentellement. Dans la panique, Ken fait appel à ses amis trafiquants et lui injecte une dose d’héroïne pour faire croire à une overdose. Seulement le frère policier de Tina enquête sur une affaire de drogue, et après divers recoupements, il finit par comprendre que l’assassinat de sa soeur est lié aux trafiquants, qu’il se met à traquer. Ainsi il finit par percer à jour un complot impliquant des personnes importantes de la ville.

Ce pitch de départ hallucinant n’évoque pas le personnage emblématique du film et qui lui a donné son nom. En effet, Mister No Leg est un méchant cul-de-jatte. Il cache deux mitrailleuses dans sa chaise roulante. De plus, il est un karatéka et il use de son incroyable masse de muscles pour se projeter contre ses ennemis dans des scènes d’action aussi grotesques qu’impressionnantes. Personnage haut en couleur, même s’il demeure un méchant emblématique comme l’est le Requin dans James Bond, ce cul-de-jatte finit par être en fin de compte l’attraction principale du film.

Il est d’ailleurs intéressant de noter la phrase imprimée sur la jaquette et sur les affiches du film, en français : La police veut l’arrêter, la mafia veut le descendre, mais l’incroyable Mr. No Legs les attend de pied ferme. Amusant quand on sait qu’il n’a pas de pieds justement…

Sorti en 1970, pur film d’exploitation, one shot du réalisateur multipliant les genres, du thriller au film d’action, THE AMAZING MR. NO LEGS, de son titre original, est l’un de ces films à la fois incroyable par son jouissif aspect totalement bisseux et en même temps sa capacité à s’enfoncer si loin dans le kitch que ça en devient presque une figure de style.

Évidemment, L’INFERNALE POURSUITE, comme son nom l’indique, est un film bis qui privilégie les scènes d’action à l’intrigue. Cependant le métrage reste somme toute dans un cadre classique puisque l’enquête prend autant de place au final que les scènes d’action. En effet, la fameuse course-poursuite ne représente au bout du compte qu’une petite partie du film et ne se révèle pas aussi incroyable que ça. En réalité, la richesse du film se cache ailleurs, même si le découpage des scènes d’action, très lent, permet de véritablement étudier les cascades, ce qui peut être un plus en soi.
Ainsi, l’intrigue surfaite découlant d’un scénario à l’écriture grossière incarnée par des acteurs au jeu limité n’est certainement pas ce qui attire dans le film ni ce qui l’a rendu assez célèbre. Ce qui a fait le succès relatif de L’INFERNALE POURSUITE, essentiellement en drive-in et en VHS, ce sont les scènes d’action aussi stupéfiantes que drôles, le côté cliché de ses personnages notamment pour les deux policiers menant l’enquête, évidemment des répliques et des scènes aussi grotesque qu’invraisemblable chose et bien sûr la sous intrigue liée au cul-de-jatte qui donne lieu à des scènes violentes totalement gratuites et par conséquent assez jouissives.

Il n’est guère étonnant que le film soit essentiellement fait de scènes d’action puisque son réalisateur, Ricou Browning, est un cascadeur qui a commencé sa carrière en incarnant la créature du lac noir en 1954 pour les scènes sous-marines. Sa carrière s’est poursuivie essentiellement dans des productions aquatiques, avec par exemple la série Flipper le Dauphin. Seul et unique film réalisé de sa main, L’INFERNALE POURSUITE est avant tout un film de cascadeur, cela se sent dans le découpage des scènes d’action mais offre dans le même temps, par le choix de son acteur principal, un caractère inédit.

Ted Vollrath, l’incroyable acteur qui incarne le cul-de-jatte méchant, n’est pas vraiment un acteur. C’est un vétéran, il a perdu ses jambes dans un conflit militaire, il est également ceinture noire de karaté. On comprend donc à quel point l’acteur a inspiré le réalisateur pour le personnage central du film. Mister No Leg est le seul et unique personnage qu’il ait joué, le seul et unique film dans lequel il a figuré. Un one shot réussi où sa gueule charismatique brille à travers ce personnage premier degré cynique et vieux jeu, dont la violence gratuite et les répliques prononcées sur un ton tranchant en font le bijou de cette production.

Le personnage de Mister No Legs apparaît finalement assez peu. On l’aperçoit au début du film, après un bon quart d’heure de métrage. Il joue alors les nettoyeurs à la fin d’une scène sur les docks avant d’apparaître plus tard en tant qu’homme de main d’un baron de la drogue local. Ses méthodes expéditives, puisqu’il a tendance à tuer tout le monde, gênent le délicat baron en question qui décide de liquider son lieutenant. Cette intrigue se révèle être un second axe du film car les deux policiers, les héros en théorie, manquent de charisme (ou de réalisme) font finalement piètre figure face à la rugueuse complexité du cul-de-jatte qui, par conséquent, prend de l’ampleur plus le film avance.

La finesse n’est pas de mise dans ce film, et pourtant, ce n’est pas totalement un nanar. Il s’agit plutôt d’un film d’exploitation, avec son caractère jouissif. On assiste par exemple à une bagarre ente deux filles dans un bar qui semble complètement gratuite. Elle donne lieu à un vrai méli-mélo où se croisent les flics et les dealers, les indics et un barman aimant frapper ses clients à coup de bouteille en verre. Cette exubérance donne lieu à une scène tout à fait expansive comme on les aime, et ce sans filles aux seins nus. En effet, le film reste viril, axé sur les batailles d’égo des personnages masculins. Côté sexe, on se contentera d’une tentative ratée, quand le prétendu héros, le frère flic de la jeune femme tuée du début, est hébergé par une « amie ». La chambre de la demoiselle est d’un kitch redoutable. Son sol recouvert d’une épaisse peau de bête, ses murs arborant miroirs et rideaux de velours, donnent à l’endroit l’atmosphère d’une garçonnière assez incroyable. Le plus drôle est que le héros ne parvient pourtant pas à se détendre, remettant quelque peu en question sa virilité. Autant dire que le film n’est pas très axé sur le sexe.

L’INFERNALE POURSUITE ne se refuse rien, y compris une bagarre absurde où le héros fait une démonstration de sa technique de karaté face à des ninjas sortis de nulle part payés pour descendre Mister No Legs. La manière assez impressionnante de Ted Vollrath de propulser son corps en avant pour blesser ses ennemis reste dantesque en dépit du grotesque amené par les ralentis où l’on voit les signes que se font entre eux les cascadeurs. Durant tout le film, le ridicule croise le kitch, le tout assumé avec une bonne dose d’humour. Le côté ridicule du métrage n’était sans doute pas recherché pourtant il s’encre parfaitement dans la tradition du film d’exploitation. L’aspect 100 % viril du film est assumé jusqu’au bout, avec bonne humeur. Et là, où le film s’avère plutôt osé, c’est que l’un des deux flics connaît des problèmes de panne sexuelle. Cet aspect, qui est sans doute assez rarement abordé dans ce genre de production, démontre le caractère exceptionnel de ce film.

Évidemment, comme souvent avec ce genre de production, il est préférable de privilégier la version française. Le doublage donne une dimension supplémentaire au film, surtout pour les répliques frôlant le ridicule absolu et qui sont déclamées avec un ton souvent monocorde ou faussement enflammé. Le doublage particulier donne un côté nanar à ces films d’exploitation, souvent oubliés mais néanmoins toujours appréciés par certain publique puisque L’INFERNALE POURSUITE est passé à l’Étrange Festival puis plus récemment aux séances Bis de la cinémathèque.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà

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