Un texte signé Alexandre Lecouffe

Italie-Autriche - 1971 - Roberto Bianchi Montero
Titres alternatifs : L'occhio del ragno
Interprètes : Antonio Sabato, Van Johnson, Klaus Kinski, Lucretia Love

retrospective

L’oeil de l’araignée

Vétéran peu connu de la série B italienne, Roberto Bianchi Montero débute sa carrière dans les années 40 avec quelques films d’aventures puis une bande horrifique avec le grand Boris Karloff (ISLAND MONSTER, 1954) avant de se tourner vers un cinéma dit « d’exploitation », alignant alors dans les années 60 divers « mondo » et « nudies » plutôt obscurs (AFRICA SEXY, 1963). Si le registre de la « sexploitation » occupe une bonne partie de sa filmographie (à 70 ans passés, on lui doit le péplum polisson LES FOLLES NUITS DE CALIGULA, 1977), Roberto Bianchi Montero apportera néanmoins sa modeste contribution aux genres alors à la mode du western (POKER D’AS POUR DJANGO, 1967) ou du giallo (LA PEUR AU VENTRE, 1972) signant ses pellicules sous divers pseudonymes (Robert B. White…) ; il ne faut pas le confondre avec un autre petit artisan versé lui aussi dans la « sexploitation », Andrea Bianchi (NUE POUR L’ASSASSIN, 1975 avec Edwige Fenech). Contrairement à ce que son titre énigmatique et entomologique pourrait laisser croire, L’ŒIL DE L’ARAIGNEE n’est pas un giallo mais un classique film noir dans lequel on retrouve quelques figures du cinéma bis européen comme Antonio Sabato (LE TUEUR A L’ORCHIDEE de Umberto Lenzi, 1972) et l’immense Klaus Kinski (EL CHUNCHO de Damiano Damiani, 1966).

Durant un transfert, le gangster Paul Valéry (!) est libéré par un groupe d’hommes inconnus ; il rencontre bientôt le commanditaire de son évasion, le professeur Krüger. Ce dernier était le « cerveau » du casse de la bijouterie auquel Valéry avait participé et après lequel ses complices l’avaient abandonné. Krüger, qui veut rester dans l’ombre, propose au truand de retrouver les traîtres qui les ont doublés tous les deux et de récupérer le butin qu’ils partageraient équitablement. Après une petite opération chirurgicale du visage effectuée par le Docteur Krüger, Valéry se rend incognito à Marseille en compagnie de Gloria, la séduisante maîtresse du médecin-gangster et établit un contact avec l’un de ses ex-complices.

L’ŒIL DE L’ARAIGNEE est réalisé à une période (le tout début des années 70) où le cinéma de genre italien s’épanouit artistiquement entre recherche formelle (les premiers « giallos » de Dario Argento, Lucio Fulci ou Sergio Martino) et critique sociale (les « poliziotteschi » de Sergio Sollima ou Fernando di Leo). Ces deux courants principaux firent naître quelques oeuvres majeures (LE VENIN DE LA PEUR de Lucio Fulci en 1971 pour le premier, MILAN CALIBRE 9 de Fernando di Leo en 1972 pour le second…) dont le point commun pourrait être la figuration de la violence (stylisée dans le « giallo », frontale dans le « poliziotteschi »). Dans ce contexte, le métrage de Roberto Montero peut paraître un peu anachronique avec son récit et ses protagonistes qui semblent issus d’un film noir américain des années 50, sa mise en scène fonctionnelle et son absence de toute fulgurance graphique. Classique histoire de vengeance dans le milieu des malfrats, L’ŒIL DE L’ARAIGNEE déroule une galerie de personnages archétypaux (le médecin véreux, sa maîtresse « femme fatale », le héros voué à l’échec, les tueurs sans âme…), réminiscences de ceux peuplant le matriciel QUAND LA VILLE DORT (John Huston, 1951) mais un peu trop désincarnés pour susciter empathie ou détestation. Le film souffre en effet d’une interprétation un peu limitée (même Klaus Kinski, le traître ultime fait dans la sobriété et semble peu concerné) et d’une structure narrative trop linéaire et prévisible pour maintenir l’intérêt du spectateur. Ainsi, la séquence (bien filmée au demeurant) où notre (anti)héros tombe dans un premier guet-apens qui se termine en fusillade autour d’un phare est amenée sans aucun suspense, sans que l’on sache si cette dédramatisation est volontaire ou non. Il en est de même avec le jeu de séduction ultra convenu opéré par Gloria (Lucretia Love, vue dans le gentiment érotique ZENABEL de Ruggero Deodato, 1969) ou le double jeu mené par le Docteur Krüger. Si l’on peut à certains moments ressentir une possible influence des thèmes et du style de Jean-Pierre Melville (LE DEUXIEME SOUFFLE, 1966) notamment à travers la vision pessimiste des rapports humains qui régit le film ou de sa volonté non-spectaculaire de retranscrire des actions violentes, nous sommes à mille lieues d’égaler les opus du cinéaste français. Il faudra donc se contenter des quelques ressorts habiles d’un scénario somme toute solide (la possibilité du héros d’infiltrer le camp adverse sans être reconnu donne lieu à un certain suspense), d’un final au rythme bien soutenu (enlèvement de Gloria, règlement de comptes mortel et course poursuite nocturne entre Valéry et le traître joué par Kinski) et d’un épilogue d’un profond pessimisme. La conclusion du film est en parfaite adéquation avec le reste du métrage qui nous aura décrit un microcosme (tous les personnages sont des gangsters, policiers ou simples citoyens n’existent pas ici) submergé par le désenchantement et progressant inéluctablement vers sa propre destruction. A ce titre, L’OEIL DE L’ARAIGNEE réussit, sur un mode mineur, à faire la synthèse entre les thèmes du film noir classique et l’esprit plus crépusculaire du “néo-noir”.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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