Dossierreview

l’oeil invisible

Sous le régime autoritaire de la junte militaire en Argentine début 1982, un an avant le début de la transition démocratique, une jeune femme, surveillante d’un lycée de renom de Buenos Aires, remplit sa mission de sentinelle avec un rare zèle. Avec l’assentiment de son responsable, elle cherche notamment à prouver que certains étudiants se cachent pour fumer. Parallèlement aux tensions des manifestants la rue exprimant leur hostilité à la dictature en place, la surveillante, malgré sa détermination à débusquer le moindre écart de conduite des élèves, ressent un certain émoi pour un jeune étudiant. Métaphore d’un corps qui prend conscience de sa sexualité, non pas à travers les avances libidineuses de son hiérarchique, manipulateur, représentant d’une autorité en fin de vie, mais sous le charme d’un jeune garçon, incarnation d’un changement souhaité dans un pays soumis depuis trop longtemps à un pouvoir répressif.

La métaphore est des plus intéressantes, une jeune femme de 26 ans, qui a tout les attraits d’une vieille fille en devenir, vivant dans un appartement étroit avec sa mère et sa grand-mère, les hommes ayant disparus, se sentant irrésistiblement attirée par un élève, défie alors le pouvoir en place, celui du surveillant en chef. Tout commence par son idée de s’enfermer dans les toilettes des étudiants pendant de longues minutes afin de prendre en flagrant délit un étudiant qui aurait eu la témérité de fumer une cigarette. La surveillante finira par devenir la victime de son propre stratagème. Le coût de sa liberté sera élevé mais c’est à ce prix qu’elle pourra se délivrer de son propre enfermement mental.

Conditionnée depuis son entrée en fonction en qualité de surveillante à traquer la moindre velléité qui s’apparenterait à une action libre, non déterminée par l’autorité, une tenue non conforme, un pli de pantalon froissé, la couleur d’une chaussette, deux étudiant flirtant, la surveillante n’est plus capable elle-même de spontanéité. Le résultat est d’ailleurs probant, il n’y a pas de vie dans ce collège, pas le chahut habituel que l’on peut entendre dans cet environnement, la cour de récréation reste désespérément vide, les élève, à quelques exceptions, se déplacent toujours en rang, comme des soldats.

Le film prend son temps pour nous emmener avec notre jeune héroïne sur le chemin douloureux d’un individu s’affranchissement d’un système autoritaire. Le film est donc politique dans sa thématique, il aurait pu être mené comme un thriller, la rédemption d’un parfait produit d’une dictature, le sujet est alléchant. Le réalisateur n’a malheureusement pas su traduire son projet avec le panache nécessaire. Le filme souffre de longueurs, le spectateur ayant toujours un coup d’avance sur les prochaines minutes du film. Un sujet de cette nature aurait nécessité le talent chevronné d’un metteur de scène qui aurait su instaurer cette ambiance totalitaire, à la 1984 de Georges Orwell, ou alors d’un réalisateur qui aurait introduit intelligemment les ingrédients d’un thriller, à la Costa Gravas dans ses meilleurs moments. Le réalisateur déroule son scénario sans point de vue particulier, la mise en scène étant relativement absente. L’image est grise, les plans géométriques du collège répétitives, cela ne suffit pas restituer un monde sans libertés. En outre, le réalisateur ne s’est pas facilité la tâche en choisissant l’actrice qui interprète la surveillante, si elle est investie dans son rôle, elle manque totalement de charisme. La difficulté de son rôle était de faire évoluer un personnage présenté comme rigide, froid, antipathique vers une évolution positive avec laquelle le spectateur se serait identifié, se serait attaché. Pour autant, malgré son parcours vers plus d’humanité, le personnage reste désagréable, à la dernière demi-heure du film, elle reste encore prisonnière de cette image de la surveillante s’acharnant à espionner et à sanctionner. Il est difficile de l’accompagner tout au long du film, le réalisateur l’a souhaité si désagréable qu’il a finalement rendu tout identification impossible.

On ne peut penser avec regrets, à ce qu’aurait pu faire un réalisateur comme Stanley Kubrick avec un tel matériau, ou même un David Cronenberg, spécialiste de la métaphore des transformations des corps pour parler des sociétés contemporaines. Reste un film qui se regarde avec un intérêt mêlé d’ennui, sans passion, à l’instar de son collège dénué de vie, L’ŒIL INVISIBLE souffre d’anémie.

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