L’orgie des vampires

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Italie - 1961-4 - Renato Polselli
Titres alternatifs : Il mostro dell'opera
Interprètes : Marco Mariani, Giuseppe Addobbati, Barbara Howard

Une jeune femme est poursuivie par un homme à l’allure et au rire inquiétants à travers les couloirs puis la crypte d’un étrange château ; elle est ensuite prisonnière d’un mur de glace et menacée par l’individu armé d’une fourche ! La victime est à présent dans une forêt, elle s’allonge au bord d’une rivière ; son agresseur la mord violemment au cou…Tout ceci n’était qu’un mauvais rêve, celui de Giulia, une ballerine qui fait partie d’une troupe de danseurs-comédiens ; Sandro, le directeur et metteur en scène, fait louer pour leurs répétitions un magnifique théâtre à l’abandon. Malgré les mises en garde du concierge qui affirme que le lieu est maudit, la troupe s’installe et commence à travailler. Rapidement, les nouveaux locataires se sentent épiés et Giulia disparaît subitement, attirée par une étrange silhouette qui l’entraîne dans un lieu mystérieux qui lui est cependant familier…

Le réalisateur Renato Polselli (décédé en 2006) est un étrange et assez obscur petit artisan du cinéma « bis » transalpin qui a débuté dans les années 50 avec une série de mélodrames puis avec ce qui est généralement considéré comme le premier « vrai » film de vampires italien, L’AMANTE DEL VAMPIRO (1960). Avec ce très beau long métrage teinté d’érotisme et de bizarre, Renato Polselli va ouvrir la voie à un sous-genre du film gothique que l’on pourrait appeler « des jolies filles dans l’antre du monstre » et dont plusieurs titres vont faire les beaux jours des salles de quartier : DES FILLES POUR UN VAMPIRE (Piero Regnoli, 1960), LE MONSTRE AUX FILLES (Paolo Heusch, 1961) ou VIERGES POUR LE BOURREAU (Massimo Pupillo, 1965). Quant au réalisateur de L’ORGIE DES VAMPIRES, il prendra le pseudonyme de Ralph Brown pour signer des bandes de plus en plus déviantes, expérimentales, fauchées et marquées par un érotisme de plus en plus franc : le « pseudo-giallo » DELIRIUM (1972) ou l’excentrique THE REINCARNATION OF ISABEL (1973) sont deux « incontournables » de ce disciple de Jess Franco.

L’ORGIE DES VAMPIRES eut un contexte de production assez particulier puisqu’il fut commandé par un mécène/producteur-amateur, le comte Anselmetti, au réalisateur Renato Polselli. Ayant adoré son L’AMANTE DEL VAMPIRO, l’aristocrate forcément décadent voulut donc produire une bande de la même veine avec un budget que l’on suppose très faible puisque le film, tourné en 1961, ne sortira qu’en 1964. Le scénario est dû en grande partie au prolifique et souvent talentueux Ernesto Gastaldi à qui l’on doit notamment L’EFFROYABLE SECRET DU DOCTEUR HICHCOCK de Riccardo Freda, 1962 ; LA SORCIERE SANGLANTE d’Antonio Margheriti, 1964 et un nombre pléthorique de giallos dont l’excellent TORSO de Sergio Martino, 1973 ; Gastaldi a puisé certains éléments narratifs dans deux grands classiques de la littérature fantastique : « Dracula » de Bram Stoker et « Le fantôme de l’Opéra » de Gaston Leroux. Le personnage éponyme (celui du titre original italien, « le monstre de l’opéra ») concentre en effet les principaux traits physiques et intellectuels du comte Dracula et du malheureux Erik : il est comme eux, à la fois effrayant et irrésistiblement attirant, doué d’un pouvoir hypnotique, marqué par une malédiction et terriblement romantique. Sa première apparition a lieu lors de l’étonnante et virtuose séquence d’ouverture qui nous le montre poursuivant la belle Giulia ; filmé en contre-plongée, en cadrage oblique puis en ombre sur un mur, occupant l’espace horizontal puis vertical, le vampire se révèle dans cette forme d’ubiquité menaçante. La recherche visuelle et la poésie onirique qui émergent de cette séquence sont malheureusement assez vite diluées dans la suite du métrage, à l’instar des références littéraires que nous avons citées. La tonalité générale du film se révèlera en effet assez légère, à l’image des petites tenues arborées par les danseuses de la troupe ; de même, entre deux découvertes ou disparitions mystérieuses, le ton restera plutôt leste et guilleret entre jeunes garçons et jeunes filles ! Quant aux différents interludes chorégraphiques qui interviennent de façon assez inattendue (voir la scène plutôt ratée mais intéressante de la « danse forcée »), ils annihilent tout sentiment d’inquiétude et transforment presque L’ORGIE DES VAMPIRES en parodie musicale. Les apparitions de l’ersatz du comte Dracula vont également dans ce sens puisque ce dernier utilise une gestuelle qui semble chorégraphiée et grimace de façon si excessive qu’il en devient risible et ce en dépit de ses magnifiques fausses canines ! Alors que l’on découvre la véritable identité et les origines de la malédiction de ce « vampire d’opérette », on regrettera la pauvreté graphique du récit en flash-back qui portait en lui de nombreuses possibilités gothiques et romantiques, de même que l’on regrettera l’absence de traitement des thèmes simplement évoqués de la réincarnation et de l’amour fou qui auraient pu nourrir le film. Ce dernier parvient néanmoins à séduire malgré son aspect volontairement kitsch et plus particulièrement dans sa dernière partie qui voit l’imaginaire du réalisateur prendre le dessus sur toute forme de construction narrative logique. Nous y verrons l’héroïne harcelée par un groupe de femmes-vampires enchaînées et à moitié dénudées, des danses frénétiques ordonnées par le vampire, de timides étreintes saphiques, des meurtres à coups de fourche, beaucoup de nuisettes transparentes et de brume inexpliquée…

L’ORGIE DES VAMPIRES est une sorte de grande farandole filmique dans laquelle il est possible, pour peu que l’on accepte d’y entrer, de trouver quelques petits éclats de poésie, quelques trouvailles visuelles et plusieurs scènes aussi réussies que délirantes. Le film étonne finalement par la très grande liberté de ton qu’il emploie à l’intérieur d’un sous-genre à priori très codifié et ouvertement commercial et par l’approche baroque et déchaînée qu’il confère à son sujet ; ceci expliquerait peut être sa diffusion tardive en salles : trois années après son tournage en Italie et seulement en 1969 en France ! L’ORGIE DES VAMPIRES est une petite œuvre très rare à réserver cependant aux amateurs de curiosités.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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