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Lost Soul : The Doomed Journey of Richard Stanley’s Island of Dr. Moreau

Échecs financiers, désaccords artistiques, l’histoire du cinéma a connu nombre de productions ayant très mal finies : des studios coulés suite à un gouffre financier comme Carolco à cause de L’ÎLE AUX PIRATES de Renny Harlin, des tournages aux budgets explosés comme PLAYTIME qui ruina Jacques Tati, ou LES AMANTS DU PONT-NEUF qui marqua Leos Carax et tua une partie du courage des producteurs français, jusqu’aux projets en cours de gestation comme le mythique DUNE d’Alejandro Jodorowsky, arrêté après deux ans de préparation. LOST SOUL : THE DOOMED JOURNEY OF RICHARD STANLEY’S ISLAND OF DR. MOREAU nous parle d’un cas d’école : L’ÎLE DU DOCTEUR MOREAU vu par Richard Stanley, troisième projet d’adaptation du roman de H. G. Wells.

LOST SOUL fut présenté aux Hallucinations collectives 2015, festival où Richard Stanley était l’invité l’honneur en 2012 pour l’avant-première de THE THEATRE BIZARRE, et pour les très bons HARDWARE et LE SOUFFLE DU DÉMON, ses premiers longs-métrages. Avec ses deux films, Richard Stanley débutait une carrière de réalisateur très prometteuse. Une troisième adaptation du roman de H.G. Wells était présentée comme son projet-phare, les nombreux dessins préparatoires montraient une direction artistique intéressante comme relecture du livre avec, et ce n’est pas étonnant de la part de Richard, une vision divine pour le personnage du docteur Moreau.

Un des moments décisifs du projet fut la rencontre entre Richard Stanley et Marlon Brando, pressenti pour jouer le docteur Moreau mais ne voulant pas du jeune réalisateur. Alors que ce dernier faisait appel à la magie pour garder sa place, son arrivée chez Marlon est on ne peut plus proche du personnage du roman. Dans l’antre de sa demeure hautement sécurisée et savamment surveillée par ses dobermans, Marlon apparaît comme Moreau, un seigneur mégalomane et puissant sur son territoire habité par des bêtes. Le rendez-vous se passe bien, et Marlon accepte de faire le film, à condition que Richard réalise.

C’est alors que le projet prend de l’ampleur, heureusement et malheureusement. Après avoir appris que Bruce Willis souhaitait faire autre chose que des films d’action, Richard le contacte pour le rôle de Montgomery. Son divorce le rendant indisponible, le rôle revient à Val Kilmer, starifié suite au succès de BATMAN FOREVER où il jouait le rôle-titre. Alors que le film restait modeste, le budget gonfle au point de devenir une grosse production hollywoodienne. Les préparations continuent, le tournage commence, et là, c’est le drame. De nombreux gros problèmes, comme la météo désastreuse, surviennent. Au bout de quelques jours, Richard Stanley, plus adapté à l’ésotérisme et la magie qu’aux grosses productions qui coûtent des millions, est à jamais éjecté du projet. On appelle au secours John Frankenheimer, des dizaines d’années de carrière au compteur et faiseur réputé.

Incontrôlable et croulant sous de lourds problèmes familiaux, Marlon Brando amène encore plus la folie sur le tournage avec des exigences surréalistes. Une guerre d’égos avec un Val Kilmer qualifiera celui qui est le plus insupportable : Brando ne sortira pas de sa caravane tant que Kilmer sera dehors, qui lui ne retournera pas dans sa caravane tant que Brando sera dans la sienne. Qui dit mieux ? Cette démence gangrène toute l’équipe qui ne sait plus quoi faire. S’en suit le naufrage artistique raconté en détails dans le documentaire. Ce tournage catastrophique illustre bien la question de l’utilité d’un budget trop élevé, et l’absurdité de prendre des risques avec de trop gros moyens. Autour de la personnalité légendaire de Marlon Brando, le projet a perdu pied et est devenu un gouffre fort coûteux. Entre un John Frankenheimer appelé à la rescousse, un acteur principal indomptable et une équipe qui perd la raison devant l’aberrante entreprise, le film prend l’allure d’une des expériences du docteur Moreau : celle d’un monstre pas fini.

À la fin de LOST SOUL, on regrette que Richard Stanley n’ait pas pu faire son film, et qu’il n’ait pas pu continuer sa carrière comme il l’entendait. On peut également ironiquement regretter l’absence de Val Kilmer dans le documentaire. On ne sait pas s’il a été sollicité, mais si cela est le cas, on comprend aisément qu’il n’est pas souhaité revenir sur cette expérience.

L’une des grandes qualités des intervenants est l’humour qu’ils ont pris avec le recul. Sans aucun discours de colère, alors que l’on ne doute aucunement du moment désagréable qu’ils ont passé, ils parlent avec légèreté et franchise de cet accident industriel. Certains disent même ne pas regretter d’avoir participé au « pire film jamais tourné ».

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