review

Love

Un jeune homme est réveillé par la sonnerie de son téléphone. Sur le répondeur, une voix de femme lui apprend qu’elle recherche sa fille, Electra, et qu’elle craint qu’il ne lui soit arrivé malheur. Cette annonce replonge le jeune homme dans ses souvenirs, Electra étant l’amour de sa vie, qu’il a perdu définitivement en mettant enceinte la jeune femme dormant à ses côtés.

Gaspar Noé est un auteur atypique, dont la filmographie ne peut pas laisser indifférente, tant elle marque le spectateur, le provoque, le met dans l’inconfort. Réalisateur de nombreux courts métrages, il avait tétanisé les spectateurs d’IRREVERSIBLE, histoire déjà déstructurée, nantie d’une longue et traumatisante séquence de viol. ENTER THE VOID, trip psychédélique, n’était pas en reste pour ce qui était de surprendre ou de fasciner, voir d’agacer, les œuvres de Gaspar Noé ne faisant jamais l’unanimité. Il revient avec LOVE, œuvre nantie d’une réputation sulfureuse, du fait des séquences pornographiques qui émaillent la pellicule. Cela a provoqué un tollé en France, entre les associations intégristes voulant interdire le film aux mineurs, et les cinéphiles lançant des pétitions pour permettre un moins de seize ans moins dérangeant pour sa distribution, les deux camps profitant du manque de définition juridique de la pornographie. En Belgique, où le film sortira quelques semaines après la France, la classification n’est pas encore connue, mais personne ne semble s’inquiéter, LOVE étant prévu dans plusieurs salles, peu importe qu’il soit interdit aux mineurs ou pas. Toute cette activité fait évidemment de la publicité à l’oeuvre (bonne comme mauvaise), mais il convient de se pencher sur LOVE, car ce qui importe après tout, c’est le film et ce qu’il raconte.

Les premières images révèlent un couple, enlacé, la femme masturbant son compagnon, ce dernier caressant le sexe de la superbe jeune femme. La séquence est belle, totalement artistique, et des plus excitante. LOVE est rempli de séquences de sexe, non-simulées, mais aucune n’est complaisante. Pas de gros plan façon films pornographique et, si le réalisateur n’a aucun problème pour ce qui est de montrer les corps en action, il le fait d’une manière bien différente aux œuvres classées X. Certaines séquences seront superbes, d’une grande beauté, et d’autres plus brutales, sauvages, quand le couple fait l’amour de manière auto-destructrice, baisant pour ne pas cogner. C’est ainsi une ambiance sulfureuse, excitante, moite, qui traverse LOVE, et qui peut difficilement laisser un spectateur indifférent. Le couple d’acteurs (la très belle Aomi Muyock et Karl Glusman) est prodigieux, portant le film sur leurs épaules, et parvenant magnifiquement bien à faire ressentir les sentiments de leurs personnages, entre amour fou, désespoir et rage folle. Klara Kristin, élément perturbateur du couple, est elle aussi excellente et d’une très grande beauté, tous s’investissant corps et âme dans ce film et participant grandement à sa qualité.
Gaspar Noé déstructure son récit, construit entre différents flash-back et allers-retours dans le présent, soignant sa réalisation, entre séquences léchées, moments granuleux (la scène de la boite de nuit, presque illisible) ou ternes, alors que les protagonistes évoluent parfois dans des endroits assez glauques, et que la réalisation veut faire accentuer leurs sentiments. LOVE n’est pas un film de demi-mesure, tout est exacerbé, que ce soit l’amour ou la passion, la jalousie, la tristesse, tout s’écoulant de l’écran pour saisir le spectateur. En cela, la 3D ajouté au film est exploitée de manière très intelligente, permettant par moments d’inclure le spectateur dans son film, alors que la profondeur de champs est superbement utilisée et laisse ses protagonistes évoluer dans des couloirs sans fin, les piégeant autant dans le cadre qu’ils sont coincés par leurs sentiments. Gaspar Noé fait même un pied-de-nez provocateur à ses spectateurs en leur éjaculant dessus, lâchant ainsi sa rage.
LOVE est donc une histoire d’amour aussi belle que triste, qui rappellera des souvenirs à toute personne ayant vécu un jour un amour fusionnel et destructeur. Mais c’est aussi plus que cela. LOVE est tout autant une romance pornographique qu’une plongée dans la psyché de son auteur grâce à une œuvre égocentrique fascinante. Ce côté peut agacer mais, si on l’accepte, le film révèle, non pas du narcissisme, mais un auteur ouvrant son âme à son public. En effet, Murphy, le héros du film, est étudiant en cinéma, qui rêve faire des films fait de sperme et de sang, qui se voit faire une romance pornographique, car ce qu’il y a de plus beau, c’est l’amour, et juste en dessous, le sexe. Murphy, alter-ego fictif de Gaspar Noé, est donc là pour marteler ses envies au spectateur, pour hurler sa démarche, tout en se perdant dans les méandres de ses erreurs, entre drogues, coucheries et errances. De plus, quand Murphy rencontre un policier, après avoir battu un amant de sa compagne, il semble en danger, l’homme des forces de l’ordre étant peu sensible à ses arguments. Cela ne l’empêche pas, plus tard, de se vanter auprès d’Electra que le flic était d’accord avec lui et lui a donné son numéro de téléphone. Alors, quand nous voyons le flic et Murphy boire une bière ensemble, et le premier conseiller au second une boite échangiste, le spectateur s’interroge. Est-il encore dans la réalité, ou n’est-ce qu’un paysage fantasmagorique que Gaspar Noé dresse pour son spectateur, dévoilant ses doutes, ses fantasmes, ses erreurs, s’ouvrant complètement à lui.
La question reste sans réponse mais, quand on ajoute à cela le prénom du fils de Murphy, le petit Gaspar, la lumière se fait, et Gaspar Noé nous fait comprendre que les erreurs du Gaspar-réalisateur ont donné naissance à Gaspar-l’homme et, en cela, le plan final de LOVE, où le premier s’excuse d’être complètement perdu au second, se révèle tétanisant, touchant comme une flèche en plein cœur.
LOVE peut ainsi agacer, choquer, déranger mais, pour celui qui accepte de se laisser porter, il se révèle être tout autant une très belle et très excitante histoire d’amour (très triste aussi, et donc très réelle) tout autant qu’un message du réalisateur pour son public, des plus touchant par sa sincérité.

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