LUFF 2013

Un texte signé Éric Peretti

- 2013

Du 16 au 20 octobre, pour la douzième fois, les forces vives œuvrant dans la pénombre quotidienne de leurs vies rangées à la promotion d’un courant artistique marginal connu sous l’appellation underground, ont investi la Cinémathèque suisse et divers autres lieux fort respectables pour offrir à la population un événement culturel majeur et protéiforme : Le Lausanne Underground Film & Music Festival.
Enchevêtrement artistique d’images, de sons, d’ateliers pratiques et de performances sauvages, le LUFF propose tant de découvertes durant son éphémère apparition automnale, que seuls ceux pourvus du don d’ubiquité peuvent prétendre en avoir fait le tour. Tentons un retour sur une partie de la branche cinématographique de la bête qui, entre compétition officielle et rétrospectives audacieuses, s’est révélée être de haute tenue.
C’est à l’unanimité que le jury a décerné le Grand Prix à l’épatant WORM, plan séquence bluffant de 90 minutes tourné avec une caméra GoPro braquée en permanence sur son acteur-réalisateur, Andrew Bowser. Si la lecture de ce bref résumé formel peut laisser croire que le film ne se résume qu’à un pur exercice de style formaté pour festivals branchés, il n’en est rien dans le fond et Bowser n’oublie jamais qu’il raconte une histoire et que son rôle n’est pas d’endormir l’audience mais bien de la captiver. Il choisit pour cela un canevas classique du film noir, un homme un peu perdu embarqué dans une situation qui le dépasse, et, grâce à son procédé de mise en scène, demande aux spectateurs de s’impliquer dans le récit puisque WORM se voit comme on lit un livre : il faut faire appel à notre imagination pour créer le contre-champ manquant. L’expérience est concluante et la fin du film, particulièrement réussie, vient en une phrase justifier le besoin de mouvement permanent qui anime son personnage principal. À voir absolument.
Peut être moins consensuel, mais fondamentalement génial, I AM A GHOST de H.P. Mendoza était sans conteste le meilleur film de la sélection à nos yeux. À l’instar de WORM, nous ne suivons qu’un seul personnage physique durant tout le métrage, la triste Emily qui répète inlassablement les mêmes gestes dans une demeure victorienne. À mesure que la caméra cadre sa morne existence en plans de plus en plus rapprochés, la voix d’un médium vient lui apprendre qu’elle est un fantôme qui n’est pas encore passé de « l’autre côté ». Devant se trouver elle-même, Emily va remonter le fil de sa mémoire jusqu’à découvrir l’horrible vérité l’ayant conduite à ce statut d’âme errante. Esthétiquement parfait, ça fait plaisir de voir un réalisateur qui prend le soin de composer ses plans à l’heure du numérique où l’on se contente trop souvent de filmer au kilomètre sans réellement penser la composition d’une séquence, et interprété avec justesse, I AM A GHOST est aussi et surtout un film de fantôme qui arrive à être graduellement terrifiant pour atteindre un paroxysme dans l’effroi lors d’un final en total accord avec l’enjeu du scénario.
Troisième film centré sur un unique personnage, THANATOMORPHOSE d’Éric Falardeau tient quant à lui la promesse de son titre et, malgré une bonne vingtaine de minutes en trop, une musique parfois trop envahissante et quelques séquences hallucinatoires trop arty, repose entièrement sur la performance de sa courageuse actrice, Kayden Rose, qui, aidée par les effets spéciaux incroyablement réalistes de David Scherrer et Rémy Couture, se décompose lentement et inexorablement. Poisseux et dérangeant, le film ne devrait pas laisser indifférent.
Un cran en-dessous mais assez intéressant dans sa tentative d’aborder l’influence des images violentes sur le comportement social, FOUND souffre cependant d’une photographie quelconque et d’une direction d’acteur un peu faible. Pas totalement abouti quant au développement de son propos, le film de Scott Schirmer comporte néanmoins quelques scènes très fortes et se conclut sur une image aussi tétanisante qu’inattendue, amenant son lot de questions sur les réelles intentions du réalisateur. De son côté, PIG DEATH MACHINE signe le retour de l’un des chantres du cinéma de la transgression, Jon Moritsugu. Le film, qui montre comment le quotient intellectuel de deux femmes s’accroît considérablement après l’ingestion de viande de porc avariée, ravira autant les admirateurs du cinéaste que ses détracteurs car ce qui fait sa force peut aussi être perçu comme un signe de faiblesse. Volontairement déstructuré, saturé de sonorités stridentes à la limite du supportable, et cadré sans réel soin, PIG DEATH MACHINE semble, en 2013, d’un anachronisme effarant, faisant de sa vision plus une épreuve d’endurance qu’une promenade de santé.
Attardons-nous à présent sur deux rétrospectives fondamentales qui, en proposant des films inédits, ont amené un éclairage nouveau sur la carrière d’artistes oubliés ou méconnus.
Figure importante du cinéma underground nippon au début des années 70, le malheureux Katsu Kanai a progressivement vu son nom s’effacer des livres d’histoire consacrés au cinéma japonais, finissant par ne devenir, dans le meilleur des cas, qu’une incertaine note en bas de page. La (re)découverte de sa trilogie de La Voie Lactée Souriante confirme que sa réputation n’est nullement usurpée. Avec ses films déroutants, tour à tour, il brosse le portrait d’un pays à la recherche de son identité, alors que l’influence occidentale directement héritée de l’occupation américaine post-guerre a laissé des séquelles inaltérables (THE DESERTED ARCHIPELAGO, 1969), et qui renie la part de ses origines communes avec la Corée (GOOD-BYE, 1971), avant de s’intéresser à ses contemporains et de rêver de dérober au Dieu Chronos une portion de Temps (THE KINGDOM, 1973). Invité par le festival pour présenter lui-même ses films, Katsu Kanai a pu faire découvrir son œuvre à une nouvelle génération de cinéphiles et il est fort à parier que son nom ne restera plus longtemps un mystère pour les historiens du cinéma.
Acteur à l’aura culte, Pierre Clémenti était aussi à l’honneur avec une rétrospective qui, plutôt que de diffuser les sempiternels classiques dans lesquels il a joué, nous a permit de découvrir un cinéaste brillant et torturé. Présentés par Balthazar Clémenti, fils de Pierre et militant actif pour la préservation et la diffusion de l’œuvre de son père, NEW OLD (1978) et VISA DE CENSURE X (1967-75) frappent par leur intemporelle modernité. Ces collages autobiographiques, véritable maelstrom visuel composé autant d’images de tournages, de films de famille, que de séquences abstraites chorégraphiées par Clémenti, bombardés de sonorités tantôt rock tantôt psychédéliques, placent leur auteur directement entre Stan Brakhage et Kenneth Anger. Le moment fort de cette programmation fut sans conteste la diffusion de LA SECONDE FEMME (1967-78), montage muet inédit de 48 min sur lequel les musiciens Samon Takahashi et Vincent Epplay ont réalisé une performance musicale live, qui a d’ailleurs été enregistrée pour une éventuelle édition dvd, transportant cette séance vers les sommets d’un certain bonheur cinéphile.
Avec cette parfaite douzième édition, Le LUFF vient d’achever son premier tour de quadrant sur l’horloge apocalyptique du Undergound. Remis dans les starting-blocks, le festival est à présent prêt à redémarrer un nouveau cycle dont on se doute bien qu’il ne se contentera pas de reproduire à l’identique les formules acquises, mais continuera à prendre des risques, frôlant sans cesse l’accident culturel, pour ne jamais rentrer dans la tendance, tout en restant dans la bonne direction.

Merci à toute l’équipe de LUFF pour ce festival.


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- Article rédigé par : Éric Peretti

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