L’ultimatum des trois mercenaires

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Etats-Unis-R.F.A. - 1977 - Robert Aldrich
Titres alternatifs : Twilight's last gleaming
Interprètes : Burt lancaster, Roscoe Lee Brown, Charles Durning, Richard Widmark, Joseph Cotten

Etats-Unis, 1981. L’ex-général Lawrence Dell s’évade de la prison de haute sécurité où il purgeait une peine de trente ans pour meurtre. Avec l’aide de deux autres militaires qui se sont échappés avec lui, il prend le contrôle d’une base nucléaire ultra-secrète, le Silo 3, et menace de lancer des missiles sur l’U.R.S.S. Dell demande à être mis en relation avec le Président du pays, David Stevens et lui adresse un ultimatum : contre une forte somme d’argent, la possibilité de quitter les Etats-Unis à bord de l’Air Force One et la présence du Président dans l’avion, il ne mettra pas son plan à exécution ! L’homme de la Maison Blanche, avec l’accord de son état-major, est sur le point d’accepter lorsque Dell ajoute une condition sine qua non : le Président devra rendre public un document classé secret-défense qui révèle les véritables (et condamnables) raisons de l’engagement américain au Vietnam…

Le film est l’un des derniers de la carrière du grand Robert Aldrich dont la filmographie couvre un quart de siècle du cinéma américain : il débute au milieu des années cinquante et tourne son dernier long-métrage (le très amer DEUX FILLES AU TAPIS) en 1981. Robert Aldrich fait partie des quelques cinéastes (avec Samuel Fuller, Sam Peckinpah ou Richard Fleischer notamment) à avoir réussi la synthèse entre le Hollywood classique et ce qu’on nomme le Nouvel Hollywood grâce à un style et des thèmes récurrents et à une volonté de dynamiter la plupart des genres au sein desquels il a œuvré. Ses meilleurs films sont aussi marqués par une volonté de mettre à mal certains dysfonctionnements sociaux ou politiques de son pays, que ce soit le maccarthysme et la course à l’armement nucléaire (EN QUATRIEME VITESSE, 1955), le cynisme de Hollywood (LE GRAND COUTEAU, 1956 ; QU’EST-IL ARRIVE A BABY JANE, 1962) ou l’intervention au Vietnam (l’excellent western FUREUR APACHE, 1972, clairement influencé par ce conflit).

Le spectre de cette guerre effroyable plane évidemment sur L’ULTIMATUM DES TROIS MERCENAIRES puisque Robert Aldrich a totalement remanié le scénario de départ pour y ajouter les éléments narratifs ayant trait au dossier secret du Pentagone sur le Vietnam que le général renégat veut mettre en lumière ; le réalisateur a donc aussi modifié en profondeur le personnage de Lawrence Dell qui de simple mercenaire devient une sorte de lanceur d’alerte (plus ou moins) désintéressé. Ce dernier est interprété par le charismatique Burt Lancaster avec qui Robert Aldrich a alors déjà tourné trois films (dont l’inoubliable VERA CRUZ, 1954) et avec lequel il partage une même vision politique progressiste et un sentiment commun d’une dérive morale des institutions américaines datant du début des années soixante. Ce n’est certainement pas un hasard si l’acteur choisira d’aller tourner certains de ses plus grands rôles dans des films européens réalisés par des personnalités très marquées « à gauche » (LE GUEPARD de Luchino Visconti, 1963 ; 1900 de Bernardo Bertolucci, 1976).

L’ULTIMATUM DES TROIS MERCENAIRES se place d’emblée sous le signe du désenchantement, à l’image de son titre original extrait de l’hymne américain et signifiant « la dernière lueur du crépuscule ». Œuvre de politique-fiction puisque l’intrigue se situe en 1981, soit quatre ans après le temps de la réalisation, l’opus de Robert Aldrich, en dépit de sa structure calquée sur le modèle du film d’action et d’espionnage est avant tout un véritable pamphlet qui dénonce la mainmise des groupes militaro-industriels sur le pouvoir politique, le mensonge d’Etat au plus haut niveau et qui constate la défaite du système démocratique américain. Le long-métrage traite également en filigrane des heures les plus sombres du pays et des scandales qui ont entaché son histoire récente ; il évoque en effet la stratégie de la terreur nucléaire, l’assassinat du Président Kennedy, le bourbier vietnamien ou l’affaire du Watergate, encore brûlante à l’époque du tournage. Le film, qui débute par de brèves séquences très rythmées montrant la brutale mais millimétrée prise d’assaut du Silo 3 par Dell et ses mercenaires, va ensuite inscrire son dispositif dans la lignée des « thrillers » politiques et ouvertement polémiques d’Alan J. Pakula : A CAUSE D’UN ASSASSINAT (1974, inspiré des meurtres des Kennedy) ou LES HOMMES DU PRESIDENT (1976, sur la révélation par deux journalistes du scandale du Watergate).

Cependant, L’ULTIMATUM DES TROIS MERCENAIRES ne construit pas son développement sur le mode du « thriller » haletant et basé sur le suspense comme le sont les deux films précités : ici, tout semble écrit à l’avance et l’action individuelle est condamnée à échouer, à être broyée par la machine qu’elle a essayée d’enrayer. De fait, le réalisateur va faire alterner de longues séquences situées autour du Bureau ovale, siège de toutes les discussions stratégiques à mener pour contrer l’action de Dell et des séquences plus brèves et de plus en plus éparses au cours desquelles ce dernier apparaît de plus en plus isolé et donc de moins en moins menaçant pour le pouvoir. L’utilisation très intensive de la technique du « split-screen » (écran divisé) va également permettre d’illustrer cette idée que Dell n’a rapidement plus qu’une influence réduite : présent dans la moitié du cadre au début du film (l’autre étant occupée par son interlocuteur militaire ou civil), il n’est plus qu’une « vignette » lorsque l’écran se divise en trois puis quatre mini-cadres illustrant chacun un lieu différent (l’intérieur / l’extérieur du Silo/ le bureau présidentiel/ le QG de l’Armée). Ce recours au « split-screen » qui se systématise au fur et à mesure que l’intrigue progresse vers son dénouement prévisible, permet aussi à Robert Aldrich de figurer une société qui s’est transformée en un immense réseau de surveillance et de contrôle et qui se base sur la multiplication et la saturation des images pour consolider son pouvoir. Mais, à l’instar des nombreux plans où le cadre se divise en deux, trois puis quatre segments, c’est de fracture entre l’appareil politico-militaire et la société civile dont il est question au cœur du film ;tout simplisme est cependant évité puisque le « héros solitaire » est un personnage ambigu voire fanatique par certains aspects et que le Président est dépeint comme un être intègre, d’un grand sens moral mais au pouvoir décisionnel finalement limité…

L’ULTIMATUM DES TROIS MERCENAIRES fut un cinglant échec critique et public qui détruisit moralement son réalisateur qui le considérait comme son œuvre la plus personnelle et pour laquelle il avait décliné l’offre (financièrement juteuse !) qui lui avait été faite de réaliser UN PONT TROP LOIN, film de guerre à très gros budget que mettra en scène Richard Attenborough. Malgré des défauts visuels qui lui donnent par moments une facture un peu télévisuelle (beaucoup de plans fixes, montage plan-plan, longs dialogues en champ/contre champ, décors étriqués, musique de série pourtant signée Jerry Goldsmith…), L’ULTIMATUM DES TROIS MERCENAIRES n’en demeure pas moins un film passionnant et courageux sur le « contre-rêve » américain ;longtemps coupé et remonté pour essayer de le vendre comme un banal divertissement d’action, il est à découvrir dans sa version intégrale de 2h20.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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