Lune noire

Un texte signé Angélique Boloré

Lune Noire est le premier roman de son auteur, l’américain Kenneth Calhoun. Il a été édité par Actes Sud en 2015 pour la France. Le titre original, Black Moon, est sorti chez Hogarth en 2014 aux Etats-Unis. Ma foi, pour un premier roman, nous voilà bien servis. Il s’avère diablement prometteur sur les qualités de conteur de Calhoun.
L’auteur nous propose un récit étrange et enthousiasmant. Une pandémie ravage le théâtre de l’action, l’ouest américain, la Californie principalement mais aussi le désert, des banlieues dortoirs, de méchantes bourgades sans âmes. Ces paysages grandioses et typiques voient déferler un effroyable fléau qui se pare de surprenants oripeaux. La formidable vague dévastatrice qui frappe l’humanité a un nom, elle s’appelle l’insomnie. Les hommes, les femmes, les vieillards, les enfants, tous ne peuvent plus dormir, pas une seule minute au fur et à mesure que les heures, les jours, les semaines passent. Nul repos, nulle échappatoire, l’humanité vit une veille permanente. Et l’insomnie est porteuse d’incroyables et terribles conséquences ; leur incapacité à dormir transforme les hommes en de mortels pourvoyeurs de folie.
Le lecteur suit l’action à travers plusieurs personnages et leur histoire personnelle dans ce monde en pleine déliquescence. La société n’est plus, l’individu n’est plus non plus. Les gens commencent par s’absenter du travail pour finir par errer, épuisés, hagards, en quête d’un repos qui se refuse constamment alors qu’autour d’eux le monde devient fou, tout comme leurs propres pensées. Parmi les personnages que le lecteur suit avec avidité se trouve Lila, une jeune adolescente, immunisée naturellement et qui survit dans une banlieue américaine pavillonnaire typique totalement ravagée. Elle est le témoin, avec sa jeunesse et sa candeur, de choses qu’une adolescente ne devrait jamais voir. Alors que le monde s’écroule autour de lui, grâce à des expédients médicamenteux, Chase maintient l’insomnie loin de lui le plus longtemps possible. Ses pérégrinations à travers l’Etat trouveront en même temps la fin de sa quête personnelle et de son stock. Avec ce personnage, au lieu de rester un témoin extérieur, le lecteur entre dans la tête des insomniaques et c’est particulièrement éprouvant. Travaillant avec des collèges dans un centre de recherche universitaire sur le sommeil, un autre personnage, Felicia, trouvera un moyen artificiel de ne pas succomber au fléau. Elle ne sera ainsi pas fauchée comme tant d’autres. Néanmoins, cela ne voudra pas dire pour elle qu’elle est tirée d’affaire. Et le personnage principal, Biggs, lui aussi un dormeur naturellement immunisé connaîtra un autre destin encore, il vivra dans l’enfer collectif, au fil des pages, un enfer personnel.
Lune Noire se révèle un récit dans lequel l’écriture tient un rôle à part entière. En effet, aux côtés de l’action, imbriqués dans l’action, aux origines de l’action, des hallucinations folles parsèment constamment le récit. Parfois, le lecteur peut se sentir perdu et avoir l’impression de ne pas comprendre complètement tout ce qu’il lit. Néanmoins, ces passages délirants donnent une dimension onirique à l’histoire qui sied parfaitement aux situations. Quand la rêverie est douce, le lecteur est reposé. Quand des cauchemars éveillés tournent à l’obsession hallucinée, la folie n’est pas loin et elle n’est pas belle à voir pour le lecteur éprouvé.
La formidable intensité du récit réside également dans la puissance d’évocation de ses situations. A travers l’écriture, l’auteur donne corps à l’insomnie et le cauchemar éveillé qu’elle représente. Mais il utilise également avec brio les codes du thème de la fin du monde et en particulier celui du zombie. Le monde s’effondre, les survivants s’agitent et se démènent dans un monde extrêmement dangereux, mais dangereux d’une manière surprenante. Les malheureux survivants de ce monde à la dérive sont les dormeurs. Il n’y a pas à dire, c’est différent et diablement original, quand le seul salut réside dans le fait de pouvoir dormir, c’est-à-dire permettre à son cerveau de ne pas tourner à plein régime, seul et sans issue. Être capable de s’abandonner à l’inconscience devient une tare mortelle, mais pas pour des raisons de vulnérabilité au moment du sommeil. Dans Lune Noire, la locution « L’homme est un loup pour l’homme » trouve une illustration tout à fait convaincante et particulièrement horrible, surprenante et inédite. Si le récit parlait de zombies, il serait agréable et intéressant. Parce qu’il s’agit d’une épidémie d’insomnie, les situations prennent une toute autre ampleur, la catastrophe en devient encore plus cauchemardesque, ce qui ne semblait pas dieu possible.


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- Article rédigé par : Angélique Boloré

- Ses films préférés : Autant en Emporte le Vent, Les dents de la Mer, Cannibal Holocaust, Hurlement, L’invasion des Profanateurs de Sépultures

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