Un texte signé Philippe Chouvel

Bolivie - 2011 - Jac Avila
Interprètes : Amy Hesketh, Mila Joya, Roberto Lopez, Alejandro Loayza, Eric Calancha, Erik Antoine

Dossierreview

Maleficarum

Lima, capitale du Pérou, au XVIIIème siècle – deux femmes sont arrêtées par ordre du Grand Inquisiteur Francisco Verdugo, qui représente l’autorité de l’Eglise catholique. L’une, Francisca de la Cruz, est l’héritière d’une famille très riche ; l’autre, Mariana de Castro, est la veuve d’un apothicaire. La première est devenue orpheline suite à l’assassinat suspect de ses parents, la seconde a trouvé refuge chez Francisca après la mort de son mari. Il leur est reproché de commercer avec le diable, en plus d’entretenir une relation homosexuelle. Le tribunal de l’Inquisition va s’employer à les faire avouer en utilisant tous les moyens de tortures mis à leur disposition. Commence alors, pour Francisca et Mariana, un abominable calvaire…
Le thème de l’inquisition inspira le Septième Art à la fin des années 1960 jusqu’au milieu des années 1970, avec quelques œuvres emblématiques comme LE GRAND INQUISITEUR, LE TRONE DE FEU, LA MARQUE DU DIABLE et bien évidemment LES DIABLES.
De nos jours, on ne parle plus guère des chasseurs de sorcières dans le cinéma, et pourtant voilà que sort à la fin de l’année 2011 ce MALEFICARUM, en provenance d’une nation lointaine : la Bolivie !
C’est dans ce pays d’Amérique du Sud que s’est créée une petite compagnie de cinéma indépendante répondant au nom de Pachamama Films. Fondée en 1992 par Jac Avila et Henriette Szabo, la firme produit son premier long métrage en 2005, NOCTURNIA. Il faut cependant attendre 2010 pour que le noyau dur de Pachamama Films prenne vraiment forme, avec le duo composé de Jac Avila et Amy Hesketh, cumulant les postes de producteur, réalisateur, acteur et scénariste.
MALEFICARUM est leur premier film à dépasser véritablement les frontières et ayant permis à les faire connaître à un plus large public, notamment grâce au dvd et à internet. Le film est présenté sous la forme d’un témoignage, celui d’un jeune ecclésiastique, Rodrigo de Palomares, qui fait office de narrateur. Il raconte l’histoire de ces deux femmes, Francisca et Mariana, accusées à tort de sorcellerie, et subissant diverses tortures, toutes plus humiliantes et horribles les unes que les autres. Refusant d’avouer une faute qu’elles n’ont pas commises, elles vont endurer de longues souffrances avant que l’une d’entre elles consente à signer des aveux en espérant ainsi sauver son amie.
Comme cela fut exposé antérieurement dans d’autres œuvres traitant du même sujet, l’inquisiteur a essentiellement pour but de s’enrichir en s’emparant des biens de Francisca de la Cruz. En cela, l’appartenance de Mariana de Castro à l’église luthérienne va lui servir de prétexte et justifier ses accusations, d’autant que la relation homosexuelle entre les deux femmes a été établie.
Jac Avila, ici réalisateur, a librement adapté l’histoire de Maria Francisca Ana de Castro (1686-1736), une émigrante espagnole originaire de Tolède venue s’installer au Pérou en 1707. Elle sera arrêtée en 1726, accusée de pratiquer le culte des Juifs, avant d’être brûlée vive en place publique dix ans plus tard. Ses biens furent confisqués par l’Inquisition ; il sera établi plus tard que celle-ci était corrompue.
Amy Hesketh interprète le rôle de Mariana de Castro. Sa composition dans MALEFICARUM force à la fois le respect et l’admiration, et s’avère stupéfiante à tous points de vue. On a le sentiment qu’elle subit réellement les tortures tellement ses attitudes, ses pleurs, ses cris et gémissements paraissent authentiques et non simulés. De plus, l’actrice est entièrement dénudée durant la quasi-intégralité du film, livrant son anatomie au regard des bourreaux et du spectateur, ce dernier se trouvant confronté à deux sentiments parfaitement opposés : l’attirance pour sa beauté, la perfection de son corps, et la répulsion pour les sévices qu’elle endure, détruisant peu à peu sa chair (mais pas sa volonté).
Les bourreaux ne vont en effet rien lui épargner, et c’est à une véritable descente aux enfers à laquelle nous assistons : Mariana de Castro est d’abord fouettée, pendue par les bras ; puis elle est écartelée sur un chevalet, placée sur un « cheval de bois » (structure triangulaire où la victime se retrouve à califourchon sur la partie pointue de l’objet). Elle subit ensuite le test de la marque du diable, consistant à enfoncer des pointes métalliques dans le corps afin de vérifier si la victime saigne ou non, puis elle est marquée au fer rouge. Le pire, si l’on peut dire, reste encore à venir. Mariana va être ligotée sur une sorte de barbecue à taille humaine, et tourner ainsi comme une pièce de viande au-dessus de braises incandescentes. Un avant-goût du bouquet final, où elle sera condamnée au bûcher.
Francisca de la Cruz (incarnée par Mila Joya qui débutait alors au cinéma) aura aussi son lot de tortures. Ces dernières, qui constituent les moments forts du film, sont entrecoupées à intervalles réguliers par les témoignages de plusieurs résidents de la ville, parfois en faveur des deux jeunes femmes, mais le plus souvent pour les condamner. Les affabulations les plus délirantes, proférées par certaines personnes, justifient les actes de l’Inquisition dont le chef, Francisco Verdugo, compte profiter pour s’enrichir en s’appropriant les biens de Francisca.
On est également frappé, à la vision de MALEFICARUM, par le style dépouillé du réalisateur, à la limite du documentaire. Tout est sobre, de la conception des dialogues au jeu des acteurs. Les bourreaux sont de simples exécutants, torturant sans mot dire, sans en rajouter, ce qui a pour effet d’accentuer le malaise chez le spectateur. La musique de fond est à l’avenant, alternant ritournelle de la Renaissance et chant liturgique à l’orgue, rendant l’ensemble cohérent et effroyablement réaliste.
L’homosexualité des deux personnages féminins est quant à elle évoquée avec beaucoup de pudeur. Francisca et Mariana ont été réunies par un destin commun, la perte d’êtres chers, et ont eu la malchance de susciter la jalousie de la puissante Inquisition (et d’une partie de la population). Qui plus est, leur tempérament de femmes fortes, cultivées et libres avait tout pour déplaire à l’Eglise. MALEFICARUM se conclut d’une manière inattendue. Sans parler de happy end, on peut évoquer une forme de justice divine pour le moins bienvenue, après tous les tourments endurés par nos deux héroïnes. En tout cas, il apparaît que Jac Avila et Amy Hesketh forment un duo atypique dans le monde du cinéma, qu’il sera bon de suivre, et dont on peut attendre d’autres surprises dans un proche avenir.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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