Martyrs

Un texte signé Alexandre Lecouffe

France - 2008 - Pascal Laugier
Interprètes : Morjana Alaoui, Mylène Jampanoï, Catherine Bégin

Le premier film de Pascal Laugier, SAINT ANGE (2004) était une « ghost-story » gothique, un film fantastique assez contemplatif dans l’ensemble, qui souffrait, en dépit de ses nombreuses qualités, d’un scénario confus et d’une mise en scène un peu maniérée et froide. Accueilli très sévèrement pas la critique, le film n’a pas trouvé son public en France, plongeant son auteur dans une période de souffrance et de doute qui aboutira finalement au projet et à la réalisation de ce second film. Au cœur d’une polémique retardant de quelques mois sa sortie en salle (menace d’une interdiction aux moins de 18 ans levée in extremis), MARTYRS est de ce fait défini dès le départ comme un film choc réalisé la rage au ventre et dans le but avoué de bousculer les valeurs bien établies du cinéma français. Tourné au Canada pour des raisons financières, doté d’un budget serré d’environ 2,5 millions d’euro (soit la moitié de celui de SAINT ANGE), ce deuxième film a tout de l’aspect brut d’une œuvre filmée dans l’urgence, ce qui convient parfaitement au sujet brutal qu’il aborde essentiellement et de manière frontale : le supplice physique.
Au début des années 70 en France, une fillette parvient à échapper aux bourreaux qui la séquestraient dans une usine désaffectée depuis plus d’un an. Profondément traumatisée par les tortures qu’elle a subies, Lucie se lie d’amitié avec Anna, une fillette de son âge, la seule qui parvienne à la sortir occasionnellement de son état de prostration. Quinze années passent durant lesquelles rien ne permet de retrouver les responsables du martyre de Lucie lorsque cette dernière est tout à coup persuadée de les reconnaître. Prête à se faire vengeance de manière radicale (armée d’un fusil de chasse), elle met son amie Anna dans la confidence ; doutant de l’équilibre psychologique de Lucie, Anna lui demande de l’attendre avant de commettre peut-être l’irréparable. Il est déjà trop tard…
Dès ses scènes d’introduction pré-génériques, MARTYRS frappe très fort : un montage d’informations sur le fait-divers dont a été victime Lucie et un plan séquence, filmant en travelling arrière et contre-plongée sa fuite en sous-vêtements maculés de sang, plongent le spectateur dans un univers d’une noirceur totale. Débutant comme un film d’horreur social, MARTYRS prend ensuite l’aspect d’un « film de vengeance » avec son lot de scènes à faire que le réalisateur va creuser jusqu’à la limite du supportable. D’une violence graphique très sèche à partir du moment où Lucie (Mylène Jampanoï) accomplit sa nécessaire « némésis », le film va ensuite accumuler des scènes d’une rare férocité après l’arrivée d’Anna (Morjana Alaoui) dans la demeure où se trouve son amie. Le scénario bifurque alors dans une direction inattendue où se mêlent des éléments du film de fantôme, du film de maison hantée, de fantastique et d’horreur pure avec comme thème central la souffrance physique qui est traitée de manière directe et épidermique, notamment lors d’une séquence d’automutilation particulièrement réaliste et douloureuse. Délaissant les amples mouvements de caméra et le grand angle à l’œuvre dans son premier film Pascal Laugier privilégie la caméra portée, l’utilisation de plans serrés et de gros plans afin de mettre en avant le physique de ses deux actrices (corps malmenés , visages terrifiés, plaies à vif…). Toutes deux remarquables, Mylène Jampanoï évoque fortement la Isabelle Adjani de POSSESSION (1981, de Andrzej Zulawski) tandis que Morjana Alaoui a tout dans la première partie du film d’une héroïne de Dario Argento, victime innocente confrontée au Mal et tombant de Charybde en Scylla. Les références au cinéaste italien (à qui le film est dédié) sont prégnantes, plusieurs plans ou scènes rappelant le glacial et sanglant TENEBRES (1982), notamment dans ce choix d’une lumière naturelle presque aveuglante et d’un intérieur vaste et désincarné. Dans cette ambiance où tout semble régi par les pulsions de mort perce cependant une émotion à fleur de peau ; le lien fusionnel unissant les deux personnages féminins rend plusieurs scènes poignantes et la rencontre entre Anna et une créature de douleur (sortie tout droit du SILENT HILL de Christophe Gans, 2005) se révèlera bouleversante. Lorsque le scénario, à mi-parcours du film, dévie à nouveau vers l’insoupçonné, MARTYRS perd un peu de sa force ; par un changement de lieu et d’enjeu, un rythme narratif ralenti, le film se pare d’une dimension métaphysique. Très ambitieux, le projet n’échappe pas à une certaine abstraction: univers mental, lieu « déréalisé”, réflexion sur la supériorité de l’âme sur le corps…Les références culturelles (le mythe grec de Marsyas, la Passion de Jeanne d’Arc, le mysticisme athée) déséquilibrent un peu l’unité et le caractère immersif du film. L’effet de distanciation que l’on peut alors ressentir (en dépit de scènes de violence crue) n’empêche pas finalement MARTYRS d’être tour à tour passionnant, dérangeant et transgressif, viscéral et cérébral. Une œuvre mature, belle et malade. Impossible pour terminer de ne pas saluer les effets spéciaux de maquillage de Benoît Lestang, décédé prématurément en juillet 2008 ; réaliste, morbide, effrayant, le résultat de son travail est essentiel à la force et à l’impact du film.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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