Un texte signé Philippe Delvaux

retrospective

Matalo

Bart, truand qui vient d’échapper à la potence, se réfugie avec ses complices Theo, Philip et Mary dans une ville fantôme où ils cachent le butin de leur sanglante attaque de diligence. L’attente que les choses se calment porte sur leurs nerfs. La découverte d’une vieille habitante et l’irruption d’un étranger et d’une femme rescapée du désert les fera définitivement basculer dans une folie meurtrière.

Attention, chef d’œuvre… du cinéma dégénéré.

MATALO est sans doute le western italien le plus barré jamais réalisé au sein d’une production qui compta pourtant d’autres bizarreries.

Un budget qu’on devine étriqué est essentiellement partagé entre une ville fantôme, décors certainement récupéré d’une précédente production et sept acteurs.
Et pourtant, quel résultat !

Une œuvre folle, malade, géniale.

MATALO a été produit en 1970. L’apogée du western européen vient de passer (le sommet de la production a été atteint en 1968-1969). Le nombre de films est tellement important qu’il s’agit désormais de chercher de nouvelles pistes pour ne pas se répéter. En cette année 1970, Cesare Canevari (dont on vous conseille aussi PARTIES DÉCHAINÉES, chroniqué sur Sueurs Froides) propose la folie furieuse de MATALO tandis que Enzo Barboni se vautre dans TRINITA. Ah, si seulement le premier avait pu supplanter le second au box-office, vers quels nouveaux horizons le western ne nous aurait-il pas emportés ?

MATALO est un western, certes, mais c’est aussi une œuvre qui appartient au genre fantastique. Parmi les nombreuses tentatives du genre de se réinventer (la comédie, le Kung Fu), il y eu ainsi quelques tentatives de frayer avec le fantastique, dont l’Italie avait développé un versant gothique. Le plus célèbre représentant de ce mélange curieux reste ET LE VENT APPORTERA LA VIOLENCE.

MATALO est ensuite né de la vague des hippies. L’acmé du « flower power » est alors déjà passée… mais la gueule de bois reste encore à venir. Elle est cependant annoncée par cette bande de freaks définitivement peu « Peace and love ». Tous les protagonistes arborent les signes hippies de l’époque : longs colliers, vêtements amples, vestes à motifs floraux ou psychédéliques, cheveux longs et sales. Des hippies qui volent, trahissent, tourmentent et massacrent.

Mais MATALO, c’est enfin et surtout clairement du cinéma expérimental et qui, à certains moments, semble même toucher à l’abstraction entre deux bouffées expressionnistes. A la fin des années ’60, Hollywood est pleinement en crise, et un renouveau viendra de toute une série d’indépendants. En Europe, la Nouvelle vague a montré qu’un autre cinéma était possible. Mais le bouillonnement artistique de la décennie poussera nombre de cinéastes à se livrer à des audaces formelles ou narratives plus poussées encore. Si le cinéma expérimental a de tout temps existé, on constate quand même que la fin des ’60 et les ’70 lui ouvrirent parfois le champ du cinéma de genre. En Italie, c’est par exemple la période de la trilogie, parfaitement expérimentale donc, de Tinto Brass (NEROSUBIANCO, L’URLO, CUL CUORE IN GOLA), ce sont les expériences formelles du giallo…

Et Cesare Canevari va s’autoriser toutes les audaces. Alors que l’esthétique du western italien, codifiée par Sergio Leone, se montrait déjà particulièrement créative, Canevari, en totale liberté, va tout tenter avec sa caméra : du « point of vue », de la caméra subjective, retournée, des cadrages inédits selon tous les champs du possible, des changements d’axe déstabilisant (lorsque nos antihéros contemplent le butin de leur rapine), des répétitions de plans, des ralentis (sur une séquence de torture en plus).

Et si on mentionne Sergio Leone, c’est aussi parce que cette figure tutélaire du genre est convoquée pour le duel final. Duel qui chez Leone s’organise régulièrement à plusieurs, et selon le motif d’un cercle. Canevari commente presque cette figure stylistique en multipliant les duellistes : six au total, tandis que le cercle ne sera pas tracé par la géographie du lieu mais par un mouvement sur elle-même de la caméra, à 360 degrés donc. Une figure inédite et redoublée par une autre audace qui est de laisser hors champs le résultat des échanges de tir. Canevari nous a montré tout au long de MATALO les pires massacres, des scènes de torture éprouvantes, une amoralité constante. Et le voilà soudain, alors que sa caméra parcoure dans son mouvement circulaire l’ensemble du champ de l’action, qu’il laisse malicieusement échapper cette dernière.

Le montage, par des inserts brefs, quasi subliminaux, reprendra des effets qui se développent plutôt dans le giallo ou le cinéma d’horreur.

Le rythme quant à lui, s’étire au-delà du raisonnable pour créer des effets de langueur ou de transe. L’ensemble passe d’une action outrancière à de longues séquences d’apparence plus calme, où l’enjeu se déplace sur le seul rapport entre les protagonistes, et qui se révèlent un des atouts majeurs du film.

La mise en scène évacue un maximum de dialogues. La première partie du film se montre même particulièrement parcimonieuse en la matière. Canevari réussit pleinement à raconter par l’image.

Le son joue de nombreux effets ou échos tandis que la musique passe du rock psychédélique aux expérimentations de Mario Migliardi (et que n’auraient pas renié le Morricone des premiers Dario Argento).

Et l’interprétation de se mettre au diapason. Mention spéciale à ce Theo (Antonio Salines) illuminé, taré, sadique et dégénéré (et dont la mort sera un grand moment « over the top »). Mais on pourrait tout aussi bien évoquer la nymphomanie de la très jolie Mary (Claudia Gravy), qui papillonne au sein de la bande au gré de ses intérêts et dont le personnage n’est pas sans évoquer – en moins mamelue quand même – les amazones amorales de Russ Meyer. Bart, le leader, se révèle le plus immoral et cruel de tous, tuant sans vergogne et sans vraiment de raison. Une bête à l‘état pur. Les acteurs s’en donnent à cœur joie, livrant des mimiques, composant de parfaits salauds, des ordures célestes. Mais ils se révèlent aussi parfaitement dirigés et savent livrer l’expression exacte nécessitée par la direction (on pointera ainsi les très parlante séquences de regards, classique de la stylistique du western italien).

MATALO est sans conteste un des westerns les plus violents tournés à cette époque, rejoignant le TIRE ENCORE SI TU PEUX de Giulio Questi. Dès l’entame, des bandits massacrent un village, sans épargner personne. Ils commettront un second carnage lors d’une attaque de diligence, mais c’est surtout les scènes de torture envers leurs prisonniers qui marquent, moins par le graphisme des actes que par l’immoralité absolue, la volonté de nuire, de faire souffrir de manière purement gratuite – ils ne retirent aucun bénéfice des souffrances qu’ils infligent et n’agissent que par désœuvrement, mauvaises intention et bestialité -. A ce titre, les protagonistes sont au western ce que ceux d’ORANGE MÉCANIQUE était à l’anticipation. On a connu référence plus honteuses !

Si on doit chercher un digne descendant à ce MATALO frappé au sceau du bizarre, on le trouverait certainement dans les réalisations de Bruno Forzani et Hélène Cattet, singulièrement dans AMER qui, même s’il réinvente les codes du giallo plutôt que du western, offre une similaire recherche formelle transposant les sens.

Dans les bonus du DVD édité par Artus, Alain Petit nous explique que MATALO est un remake de DIEU NE PAIE PAS LE SAMEDI, western italien à la forme très classique et dont il reprend, mais sous un angle déformé, toute la trame. Une précision est apportée dans le volume II de « Western all’Italiana » (édition Glitter Images) : le remake n’aurait pas été volontaire : Nino Rolli, le scénariste de DIEU NE PAIE PAS LE SAMEDI, aurait tout simplement vendu à nouveau la même histoire aux producteurs de MATALO, mais sans les avertir qu’elle avait déjà été portée à l’écran. Il semblerait que ceci aie causé par la suite des problèmes de distribution à MATALO.

Cesare Canevari avait déjà livré un western en 1964, avant donc que le genre n’explose sous la houlette de Sergio Leone. Las, son POUR UN DOLLAR À TUCSON TU MEURS – que nous n’avons pas vu – se traine une réputation lamentable. En six ans, il sera donc passé du pitoyable au sublime.

Le film a connu une distribution belge assurée par Excelsior. En France, il est sorti le 2 février 1972. Plus récemment, et gage de sa qualité, il fut reprogrammé à la Mostra internazionale d’arte cinematographica (le festival de Venise) 2007, dans le cadre d’un focus sur le western italien ou repris dans une séance « B-Z » de la Cinematek belge en 2011. En 2016, l’indispensable Artus l’édite en dvd dans sa riche collection consacrée au western européen.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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