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Matt sur le Toit du Monde

1973. Matt était un agent du CUSI, un service secret américain qui ne comporte que 48 hommes, placés sous l’autorité directe du Président des Etats-Unis. De son vrai nom Frankie Matthews, Matt « avait près de 30 ans, était grand, bien baraqué, les cheveux noirs courts et grisonnants, les yeux bleu-vert, de fortes pommettes qui lui venaient de ses ancêtres indiens. Il était plutôt nonchalant de nature, adorait les femmes qui le lui rendaient bien, mais il connaissait son métier comme pas un. Il était fiché dans tous les services de tous les pays du monde mais ne s’en souciait que fort peu. » (P.50) Un espion aux caractéristiques tant physiques que psychologiques assez classiques en littérature populaire, donc.
Matt était l’un des ces nombreux héros du Fleuve Noir, créé cette fois par François Chabrey alias le Suisse Marcel-G. Prêtre. Selon le Dictionnaire des littératures policières, c’est avec un certain Marcus Waeber que Prêtre a écrit les 80 MATT, entre 1967 et 1985. Certains connaisseurs (in LES POLAROPHILES TRANQUILLES N°11, 2007) soupçonnent Frédéric Dard, un ami de Prêtre, de lui avoir prêté main forte pour un certain nombre de romans, notamment d’espionnage. Nous ne rentrerons pas ici dans ce débat qui semble diviser les spécialistes, pour simplement nous attacher à parler d’une aventure de Matt assez réjouisssante.
MATT SUR LE TOIT DU MONDE commence un peu comme un film de James Bond lorsqu’un sous-marin russe dépose dans la Baie du Bengale des fusées atomiques. L’opération est repérée par la marine américaine (à l’aide des fameux dauphins qui auraient été dressés par les services de renseignements à l’époque, un MODESTY BLAISE a aussi traité le sujet) qui transmet aussitôt l’info au CUSI.
50 pages (bien faites, certes) pour ça, c’est, reconnaissons-le, un peu longuet… Mais cela s’améliore largement ensuite.
Pour qui sont ces armes terrifiantes à même de déclencher la troisième guerre mondiale ?
C’est à Matt de découvrir la vérité au Bangladesh, à peine sorti de la guerre civile où il fut déclaré état indépendant du Pakistan. Un Bangladesh désormais en proie à une terrible famine.
François Chabrey met d’ailleurs fort intelligemment l’accent sur le détournement de l’aide alimentaire internationale par des bandits et des trafiquants désireux de s’enrichir sur le dos des pauvres affamés.
Dans son voyage top secret, Matt rencontrera ces profiteurs mais sera aussi secondé (ce qui est plus agréable) par une sculpturale hôtesse de salon de massage qui n’hésite pas à faire des heures supplémentaires pour les yeux du très bel agent secret. La belle use de ses charmes pour renseigner tant la CIA que le gouvernement de son pays. Cette profession « de petite vertu » peut certes paraître plus vulgaire et terre à terre que celle, plus convenable, d’une James Bond girl moyenne, mais c’est aussi beaucoup plus réaliste. Sexe professionnel et renseignement ont toujours fait bon ménage.
Matt et ses alliés finiront par découvrir au Tibet à qui sont destinées les armes atomiques, ce qui permettra à Chabrey de faire connaître au lecteur médusé le peuple farouche des cavaliers Khambas, prompt à la décapitation expéditive. Matt aura fort à faire pour éviter l’usage de l’arme nucéaire contre l’occupant chinois, et ainsi empêcher le déclenchement d’une véritable guerre atomique. L’occupation du Tibet par la Chine est toujours un sujet brûlant aujourd’hui.
MATT SUR LE TOIT DU MONDE est un roman d’espionnage aussi séduisant que son héros, bien ancré dans la réalité géopolitique de cette partie du monde. Mouvementé mais relativement réaliste (on peut se demander cependant en quoi les Russes auraient plus intérêt que les autres à déclencher la fameuse troisième guerre mondiale), sexy juste ce qu’il faut (la belle prostituée de la CIA y est pour beaucoup – au moins pour qui phantasme sur les massages érotiques orientaux !), MATT SUR LE TOIT DU MONDE donne envie de lire d’autres aventures de Matt qui semble avoir la tête d’un Kirk Douglas mâtiné de Jean Marais sur la couverture de Michel Gourdon.

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