Moon

Un texte signé Quentin Mazel

Grande Bretagne - 2009 - Duncan Jones
Interprètes : Sam Rockwell

MOON est le premier film du réalisateur britannique Duncan Jones. Sorti en 2009, il avait décroché de nombreuses critiques positives de la part des festivals où il était programmé, ainsi que quelques prix. Cependant, ce film ne sera jamais projeté dans les salles françaises. Retranché dans le marché du DVD en France, MOON est cependant considéré comme le meilleur film indépendant britannique à la 12ème cérémonie des British Independent Film Awards.
Ce film de science-fiction met en scène Sam Rockwell dans le rôle de Sam Bell employé de la société Lunar, entreprise d’extraction d’hélium 3. Cette ressource permettrait de faire face à la crise des énergies sur Terre, tout en produisant une source d’énergie propre. Cependant, l’hélium 3 n’existe que sur la lune, ce qui pousse la société Lunar à construire des infrastructures automatisées dont un seul homme a la surveillance. Sam Bell est l’un de ces hommes qui pendant 3 ans se voit confier cette responsabilité.
MOON a pour premier avantage de posséder un scénario bien construit qui s’inscrit dans une actualité et dans des questionnements sur l’énergie très contemporains. Au premier abord, on pourrait penser que MOON fait partie de ces films de qualité scénaristique moyenne car reprenant trop les grands standards des genres dans lesquels ils s’inscrivent. Mais, surprise, MOON ne tombe jamais dans la facilité scénaristique et dans le trop bien pensant de sa réflexion. Même si on peut lui reprocher une ressemblance avec 2001, L’ODYSSEE DE L’ESPACE, Duncan Jones arrive à s’en extirper au fur et à mesure du métrage pour trouver sa propre indépendance. On retrouvera ainsi, Hal l’ordinateur central appelé ici Gerty, une représentation d’un espace silencieux, froid et aérien ou encore la saturation du blanc dans les intérieurs. Jones inscrit son film dans une lignée de science-fiction ouverte par 2001, L’ODYSSEE DE L’ESPACE en imposant un certain réalisme et propose ainsi une sorte de prophétie du futur. En réalité, le propos de MOON est totalement différent de celui du film de Kubrick. Mais certaines techniques, et surtout la vision du futur et la manière de l’exploiter, sont très proches. Jones assume ainsi ses références sans pour autant copier celles-ci. MOON apporte une réelle pierre à l’édifice de la science-fiction. Le métrage de Jones s’avère en outre également proche d’OUTLAND de Peter Hyams. La proximité apparaît surtout dans les décors (principalement le couloir hexagonal blanc très éclairé) et dans la construction scénaristique. Les plans sur le compteur indiquant l’arrivée d’un vaisseau sont dans les deux films sensiblement similaires. Ces plans symbolisent le danger et la possible mort du personnage principal. Dans MOON, cette peur de l’étranger peut être vue comme une peur de l’image que l’étranger renverrait de lui. Image qui mettrait ainsi à jour la « non humanité » de Sam Bell. Une sorte de vision Sartrienne de la conception de soi par l’autre.
Mélangeant réflexion sur le clonage, l’évolution des conditions de travail, l’humanité en général, et d’autres sujets très classiques, MOON réussit cependant à créer sa propre analyse tout en s’écartant des lieux communs et stéréotypes. Il est intéressant de noter que, en gardant la logique propre du film, aucun Homme n’apparaît à l’écran (excepté les quelques vidéos provenant de la Terre). Cependant, c’est ces dernières qui nous apparaissent totalement inhumaines. Sam Bell ne serait qu’un produit contractualisé, dont l’existence est en lien direct avec son utilité. Gerty, l’ordinateur central, seul compagnon de Bell pendant son travail et existence, nous paraît beaucoup plus humain que ses programmateurs. Le sujet central du film est donc bien la définition de l’humanité et comment celle-ci est possible d’être ajustée, selon un contexte. Au-delà d’une réflexion ontologique sur le clonage, MOON s’inscrit dans la création d’une cosmologie d’un futur probable. Il met en avant les dérives de la société actuelle en mettant en scène un futur dominé par une sorte de capitalisme déshumanisant.
On peut aussi ajouter quelques mots pour éclairer les questionnements sur le temps que soulève le film. En réalité, dans MOON, le temps est une notion qui n’existe que par cycle de 3 ans, temps d’existence d’un contrat et d’un clone. Sam Bell ne peut pas contacter l’extérieur et les quelques messages qui lui sont envoyés par « ses proches » ne sont que des messages enregistrés et rediffusés tous les trois ans. La station Lunar apparaît ainsi dans une autre temporalité de celle de la Terre. Celle-ci est mise en évidence de façon ironique au début du métrage lorsque Bell regarde MA SORCIERE BIEN-AIMEE. Ce décalage cloisonné avec la temporalité terrienne rend la solitude de Bell plus que dramatique. MOON pourrait presque être ainsi considéré comme un huis clos temporel. Bell ayant déjà travaillé 3 ans sur la station représente-t-il le futur de Bell venant d’arriver ? Ainsi, théoriquement lorsque les deux Bell se rencontrent l’un représente le futur de l’autre, qui existe cependant sur la même réalité grâce au clonage. Le scénario met ainsi en évidence l’importance de l’expérience dans la psychologie des personnages au cinéma.
Il faut aussi souligner l’interprétation de Sam Rockwell qui se trouve être particulièrement juste. Connu pour des rôles comiques comme dans H2G2 de Garth Jennings ou encore dans GALAXY QUEST de Dean Parisot, ou pour des rôles plus sérieux comme dans LA LIGNE VERTE de Frank Darabont, il endosse ici le rôle principal qui nous permet de découvrir un côté plus dramatique de son travail. Principalement axé sur l’évolution de son personnage après ses trois ans de solitude, Rockwell propose une palette de jeu extrêmement maîtrisée, ce qui rend son dédoublement à l’écran tout à fait jouissif. Deux personnages totalement différents par leur condition physique et leur personnalité, mise en avant d’une réelle psychologie du personnage construite ici par l’opposition et l’expérience. Les dialogues avec Gerty l’ordinateur central, sont en outre d’un plaisir totalement inattendu. Il semble logique de dire que ce rôle restera l’un des meilleurs de sa carrière avec celui de Chuck Barris dans CONFESSIONS D’UN HOMME DANGEREUX, pour lequel il avait reçu un Ours de Berlin en 2002.
Les musiques composées par Clint Mansell sont elles aussi de grande qualité. Légères, subtiles et aériennes, elles permettent de créer une ambiance spatiale très particulière, proche de l’intimisme. Mansell est connu pour son travail en collaboration avec Darren Aronofsky, en particulier pour les films comme REQUIEM OF A DREAM, THE FOUNTAIN ou encore THE WRESTLER. Il s’agit là d’un maître dans le domaine, plus que reconnu en particulier pour les musiques de THE FONTAIN pour lesquelles il reçoit de nombreux prix. Il serait possible de rapprocher cette BO de celle composée par John Murphy pour SUNSHINE de Danny Boyle. Même si Murphy a travaillé sur une bande-son plus dramatique et cherché à sublimer les images jusqu’à avoir un aspect mystique, certaines pistes très légères composées au piano se ressemblent.
La photographie est elle aussi à souligner. Très soignée, une camera fixe et des décors sublimes a permis de la faire éclater à l’écran. La dominance du blanc et les teintes bleues donnent un caractère très particulier à la pellicule et participent à l’indépendance de celle-ci (sans oublier tout de même ses pères). Les décors d’une couleur blanche (comme nous l’avons déjà noté) sont sobres et sans fioriture mais cependant d’une réelle beauté. De plus, cette sobriété participe à créer une ambiance spatiale froide qui est en total accord avec le métrage. La scène du match de ping-pong est un bon exemple de la réussite de la photographie. Scène faite dans les règles classiques de la symétrie avec une caméra totalement fixe. Ainsi, les deux personnages de chaque côté de la table se répondent verbalement mais aussi par l’intermédiaire du ping-pong. Cette scène est sûrement celle qui met le plus en avant la psychologie des personnages et leurs divergences dues à leurs expériences différentes. Ainsi, la photographie, en plus d’un aspect esthétique non négligeable, appuie réellement la construction scénaristique du film et met en avant des questionnements implicites. Ce travail relève d’un savoir-faire parfaitement maîtrisé.
MOON est donc tout simplement un film à voir. Duncan Jones, frappe très fort avec son premier long métrage, qui pourrait facilement être qualifié de classique de la science-fiction. Il est maintenant possible d’inscrire ce nom sur la liste des réalisateurs dont on attend les sorties.


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- Article rédigé par : Quentin Mazel

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