Morse

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Suède - 2008 - Tomas Alfredson
Titres alternatifs : Låt den rätte komma in, Let The Right One In
Interprètes : Kare Hedebrant, Lina Leandersson, Per Ragnar

Une banlieue ouvrière de Stockholm du début des années 80. Le jeune Oskar, 12 ans, enfant solitaire et martyrisé par ses camarades d’école, fait la connaissance d’une fille de son âge, Elie, qui vient d’emménager avec son père dans un appartement mitoyen au sien. Alors qu’un tueur vidant ses victimes de leur sang sévit dans les environs, Oskar qui a noué des liens d’amitié avec Elie comprend que sa nouvelle amie est en fait…un vampire !
Adapté d’un roman suédois, MORSE (« Laisse entrer la bonne personne » selon le titre original) est réalisé par Tomas Alfredson, dont le travail (trois films, beaucoup de séries télé) n’a jamais vraiment franchi les frontières de la Suède. La cinématographie scandinave n’étant pas des plus riches ni des plus connues dans nos contrées, c’est dire si un « film de vampires » suédois avait tout pour attirer la curiosité de l’amateur de fantastique (et du VAMPYR de Carl Dreyer, 1932 !). Récompensé dans de nombreux festivals (Sitgès, Toronto, Gérardmer,…), MORSE frappe tout autant par l’originalité de son thème principal (un enfant vampire) que par son traitement particulier, entre conte fantastique et ancrage réaliste. C’est en effet dans l’univers banal et tristounet d’une banlieue que s’ouvre le film pour nous présenter son personnage principal, Oskar, garçon blond et pâle dont on devine la souffrance intérieure dans une scène qui le voit déchaîner sa haine sur un arbre qu’il martèle de coups de couteau. Nous suivons alors son quotidien entre ennui et rancœur, brimades à l’école et repas avec sa mère (les parents sont séparés) jusqu’à sa rencontre avec sa nouvelle voisine, Elie. Le rythme du film est lent, contemplatif, le réalisateur semble vouloir étirer ses scènes jusqu’à leur limite narrative et même au-delà. Le silence qui les entoure reflète les sentiments enfouis d’Oskar et l’incommunicabilité qui règne entre les personnages ; on pense alors un peu au célèbre réalisateur suédois Ingmar Bergman (non, ne partez pas…) mais heureusement, le naturalisme austère des scènes est contrebalancé par une atmosphère onirique et étrange. L’omniprésence de la neige recouvre en effet MORSE d’un vernis irréel proche du rêve et d’une teinte mélancolique et funèbre qui confèrent au film une dimension fantastique. L’étrangeté s’immisce progressivement au fur et à mesure qu’Oskar comprend que son amie un peu marginale et énigmatique (« j’ai douze ans depuis très longtemps ») est en fait une goule. La véritable identité d’Elie est révélée lors d’une séquence choc qui nous la montre lapant bruyamment les gouttes de sang tombées de la main d’Oskar qui voulait naïvement sceller leur amitié par un « pacte de sang ». La mythologie vampirique est respectée : Elie ne peut se nourrir que de sang (le bonbon qu’elle accepte de manger par amour pour Oskar la fait vomir), elle craint la lumière du soleil, dort dans une baignoire-cercueil, se transforme en créature volante lorsqu’elle attaque ses proies,…il ne lui manque que les canines proéminentes, unique caractéristique absente du métrage. Le réalisateur s’appuie en revanche sur la légende qui veut qu’un vampire ne puisse franchir un seuil sans y avoir été invité (c’est la substance du titre original) et cet aspect peu traité dans les films de vampires nous vaut une des plus belles séquences de MORSE. Si Tomas Alfredson n’hésite pas à parsemer son film de scènes horrifiques aussi brutales qu’inattendues (une très belle attaque de chats, une impressionnante combustion spontannée,…), son traitement du vampirisme est à la fois original et inédit. Le thème de l’enfant-vampire (aperçu dans AUX FRONTIERES DE L’AUBE de Kathryn Bigelow, 1987 ou dans ENTRETIEN AVEC UN VAMPIRE de Neil Jordan, 1993) est abordé pour la première fois au cinéma de manière aussi polysémique : métaphore du mal-être de l’enfance, du passage douloureux à l’adolescence, il est aussi symbole de maladie et de mort. Vrai film fantastique, de ceux qui envisagent une ouverture sur un monde où tout est possible, MORSE est aussi et surtout un film sur l’enfance, sur deux êtres solitaires et isolés (le monde adulte n’est présent qu’en filigrane) qui se nourrissent l’un l’autre et finissent par se compléter (les opposés vont fusionner : Oskar, docile et Elie, animale). Formellement très travaillé, multipliant les gros plans sur les visages et les corps des deux enfants (tous deux excellents) pour mieux capter leurs émotions à fleur de peau et leur éveil à la sensualité, le film développe un motif du flou (nombreux plans « embués » ou cadrant des miroirs et portes vitrées séparant puis réunissant les deux personnages) qui fait écho à celui dans lequel Oskar (pas encore adolescent) et Elie (pas vraiment une fille) évoluent. Mais c’est au final la luminosité, de plus en plus prégnante au fil du récit, qui viendra envelopper cette œuvre toute entière tendue vers la grâce.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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