Morsures

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Corée du Sud - 2012 - Ha Yoo
Titres alternatifs : Howling
Interprètes : Song Kang Ho, Lee Na Yeong

En pleine expansion depuis le tout début des années 2000, le cinéma sud-coréen a offert au genre polar/thriller quelques titres incontournables signés notamment par les réalisateurs-phares de la « nouvelle vague » : Park Chan Wook (SYMPATHY FOR MR. VENGEANCE, 2002 ; OLD BOY, 2003), Bong Joon Ho (MEMORIES OF MURDER, 2003) et Kim Jee Woon (J’AI RENCONTRE LE DIABLE, 2010). Dernièrement, le jeune prodige Na Hong Jin a marqué le genre avec ses deux premiers longs métrages, THE CHASER(2008) et THE MURDERER (2011). Saluées ou acclamées pour leurs qualités formelles et leur profondeur thématique, les œuvres des trois « parrains” précités leur ont valu une reconnaissance internationale qui s’est concrétisée tout récemment sous la forme de films produits ou co-produits par les Etats-Unis. Espérons qu’il ne s’agit que d’une parenthèse expérimentale et fructueuse…
Bien que de la même génération que le trio infernal, Ha Yu n’a pas la même envergure et n’a signé que quatre titres parmi lesquels l’ambitieux et efficace film de gangsters DIRTY CARNIVAL(2006). MORSURES bénéficie de la présence charismatique de la « star » Song Kang Ho (le flic de MEMORIES OF MURDER, le grand frère dans THE HOST de Bong Joon Ho, 2006…).

L’inspecteur Sang Kil n’a pas de chance : lui qui rêve d’une promotion se voit confier une enquête minable portant sur le probable suicide d’un toxicomane ; cerise sur le gâteau : son chef lui impose de travailler avec une inspectrice débutante, Eun Young. Mais le duo finit par découvrir que le cas est en fait un meurtre très élaboré et Sang Kil décide de poursuivre l’enquête sans faire part de ce nouvel élément à ses supérieurs. C’est Eun Young qui met son chevronné collègue sur une piste inquiétante : le toxicomane exécuté portait des traces de morsures animales tout comme deux cadavres retrouvés dans la ville peu après. Les victimes, connectées entre elles et liées au grand banditisme, semblent avoir été attaquées par un chien-loup parfaitement dressé pour tuer…

MORSURES épouse dès ses prémices ce qui fait une partie de la force et de l’identité du polar coréen, à savoir son ancrage dans une réalité sociopolitique très marquée. Les meilleures œuvres du genre ont en effet toujours su dessiner, en creux, un portrait souvent complexe et clivé du « pays du matin calme » ; la division géopolitique, la récente dictature militaire et la soudaine prospérité sont des thèmes qui nourrissent ces films aux personnages ambigus et aux situations souvent extrêmes. La violence, tant physique que mentale, est peut être le ressort principal des grands polars coréens (la palme revenant certainement à l’hallucinant OLD BOY) et MORSURES semble également suivre les traces de ses glorieux aînés avec son intrigue qui multiplie les morts violentes (par combustion ou suite aux sauvages agressions animales) et fixe son cadre dans les bas-fonds de la criminalité (les deux protagonistes vont dévoiler un puissant réseau de prostitution de mineures). De même, le réalisateur n’hésite pas à mettre au premier plan les propos et l’attitude sexistes que la jeune Eun Young doit subir de la part de tous ses collègues-flics ; un sexisme qui ira jusqu’au harcèlement moral et dont l’intensité dramatique paraît inconcevable dans un film policier occidental. Cependant, MORSURES va progressivement délaisser ces intéressantes touches sociologiques et l’ambigüité qui les nourrissait pour suivre le chemin plus balisé d’un « whodunit » macabre mâtiné de « buddy-movie » dynamique mais guère original. Nous suivons ainsi notre sympathique duo dans un classique jeu de piste dont le développement, les enjeux et les scènes imposées (la course-poursuite, l’arrivée dans l’antre du tueur, les « flashes-back » lourdement explicatifs…) semblent démarqués d’un honnête thriller américain. L’intérêt du film est un moment relancé avec l’apparition du chien-loup meurtrier dont les actes sanguinaires semblent commandés à distance par une force inconnue. Si le récit paraît alors s’ouvrir sur une possible dimension fantastique dans laquelle l’animal serait une sorte de créature infernale et mythologique, une Némésis obéissant à une puissance surnaturelle, l’hésitation du spectateur est de courte durée : le féroce canidé est clairement désigné comme un simple chien instrumentalisé par un homme à l’esprit perturbé…MORSURES rappellera, au détour de quelques scènes d’attaques bien filmées, l’excellent WOLFEN de Michael Wadleigh (1981) auquel il emprunte également la structure de l’enquête policière dans un milieu urbain en pleine désagrégation. Si le film américain déployait une remarquable métaphore (le « wolfen » personnifiait l’âme des Amérindiens), son homologue coréen parvient, in extremis et de façon moins subtile, à faire de sa créature l’incarnation symbolique de toutes les pulsions et instincts primaires de l’homme. Malheureusement, la dernière partie du métrage achoppe sur une série d’invraisemblances et de bons sentiments qui viennent ternir sa conclusion. D’autres scories empêchent MORSURES de venir figurer au panthéon des films noirs coréens ; d’un montage manquant de vivacité à un style visuel trop impersonnel, ses défauts sont légion et nous ne reviendrons pas sur son scénario aux airs de déjà-vu. Ce thriller se suit pourtant sans déplaisir, en partie grâce à son ambition (égaler les maîtres) et à la justesse de son interprétation : Song Kang Ho est, comme à son habitude, capable de faire d’un personnage plutôt fruste un être à la fois sensible et complexe tandis que Lee Na Yeong (DREAM de Kim Ki Duk, 2008) incarne avec talent une jeune femme flic fragile mais jusqu’au-boutiste. Très fréquentable.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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