Un texte signé Alexandre Lecouffe

France-Suisse - 1986 - Joël Santoni
Interprètes : Nicole Garcia, Jean-Pierre Bacri, Jean-Pierre Bisson, Dominique Lavanant

retrospective

Mort un dimanche de pluie

Elaine et David Briand ont récemment emménagé avec leur fillette Cric dans une immense maison ultra-moderne conçue entièrement par David, architecte de renom. Le couple quadragénaire vit une période de crise qui semble être décuplée par le fait qu’Elaine regrette d’avoir quitté un poste important à Paris pour se retrouver dans une demeure qu’elle n’apprécie guère et qui est, de plus, totalement isolée dans un hameau proche de la frontière suisse ! Un matin, David croise la route d’un homme handicapé, Bronsky, lequel semble le connaître ; l’architecte accepte de l’embaucher comme jardinier. Peu après, Elaine sympathise avec la femme de Bronsky et lui propose de garder Cric ; très vite, David a le sentiment que son nouvel employé cherche à le faire chanter et que ni sa femme ni sa fille ne sont plus en sécurité…

Peu fertile dans les années 80, le cinéma de genre français a cependant proposé quelques œuvres allant de l’estimable au remarquable, que ce soit dans le domaine de l’horreur (LE DEMON DANS L’ILE de Francis Leroi, 1982 ; 3615 CODE PERE NOËL de René Manzor, 1989), de l’anticipation (LE DERNIER COMBAT de Luc Besson ; LE PRIX DU DANGER de Yves Boisset, 1983) ou du fantastique (LE PASSAGE de René Manzor, 1986 ; BAXTER de Jérôme Boisvin, 1988). Le film de Joël Santoni est un des très rares exemples de « thriller » tricolore dont une des particularités est d’être interprété par deux acteurs réputés et plutôt habitués au cinéma d’auteur, Nicole Garcia (MON ONCLE D’AMERIQUE d’Alain Resnais, 1980) et Jean-Pierre Bacri (ESCALIER C de Jean-Charles Tacchella, 1985).Quant à Joël Santoni (qui partage des origines “pieds-noirs” avec ses deux interprètes principaux), il n’a signé que quatre films pour le grand écran, MORT UN DIMANCHE DE PLUIE représente son « chant du cygne » puisque que le réalisateur ne se verra plus offrir de propositions autres que télévisuelles, à l’instar de certains de ses talentueux et turbulents confrères (Joël Séria, Serge Leroy, Yves Boisset…)

Assez librement adapté d’un court roman noir de la britannique Joan Aiken, MORT UN DIMANCHE DE PLUIE appartient au genre du « thriller domestique », récit à suspense dans lequel une famille (souvent fragilisée de l’intérieur) se retrouve menacée par un danger beaucoup plus grave venu de l’extérieur et qui tente de la détruire. Il est assez étonnant de remarquer que le film de Joël Santoni semble préfigurer la véritable déferlante de « thrillers domestiques » américains qui envahira les écrans dès l’année suivante et dont on peut rappeler quelques titres représentatifs : LIAISON FATALE (Adrian Lyne, 1987), LE BEAU-PERE (Joseph Ruben ,1987), LA MAIN SUR LE BERCEAU (Curtis Hanson, 1992)… La grande force de MORT UN DIMANCHE DE PLUIE est de parvenir, dès sa séquence inaugurale, à instaurer un climat de tension et d’angoisse : sous une pluie battante, un travelling latéral suit la silhouette d’un homme boiteux au visage dissimulé par une capuche et dont une main est remplacée par un crochet ; l’individu est posté derrière la large baie vitrée d’une demeure moderne et observe ses occupants, une mère et sa fille. Ce saisissant incipit permet aux scènes d’exposition qui vont suivre (la présentation d’un couple qui s’aime mais traverse une crise) de dépasser leur statut plutôt banal : nous savons qu’une menace physique plane sur le couple et sur la cellule familiale. Lorsque la menace s’incarne progressivement et insidieusement sous les traits de Bronsky (l’excellent et regretté Jean-Pierre Bisson, tout aussi terrifiant ici que dans son rôle de tueur en série dans LES MOIS D’AVRIL SONT MEURTRIERS de Laurent Heynemann, 1986, décidément…), le film plonge alors dans une atmosphère délétère qui ira s’amplifiant jusqu’au finale. Avant cela, Joël Santoni aura su conférer une identité et une puissance iconique à son long métrage en faisant de la maison d’architecte, où tous les enjeux dramatiques vont se cristalliser, un lieu à la fois symbolique (immense et presque vide, il peut figurer le désert moral que traverse le couple) et purement cinégénique : remarquablement filmé au format 2.35, son espace isole, emprisonne et réduit ses personnages. Le climat mortifère qui se développe presque entièrement en huis-clos est encore accentué par le choix esthétique d’immerger ( !) le récit dans une pluie quasi-incessante qui permet ainsi au film de flirter avec les lisières du fantastique. Cette dimension est également prégnante lors des séquences finales baignant dans l’onirisme (Nicole Garcia traquée et vêtue d’une robe rouge qui étincelle dans la nuit) et le conte de fées ; impossible également de ne pas voir en Bronsky la figure de L’Ogre et en sa femme (la remarquablement abjecte Dominique Lavanant) celle de la Sorcière.

Le dernier tiers du métrage, tout en utilisant de façon très efficace les ressorts et les artifices du « slasher » (une première dans le cinéma français) pour illustrer son récit de vengeance et de folie homicide, n’en perd pas pour autant son sens aigu de la caractérisation. Tous les protagonistes sont en effet parfaitement crédibles et très justement interprétés ce qui évite au film de tomber dans les écueils que son sujet extrême pouvait soulever : le manichéisme ou la caricature. Certes, les « monstres » (le couple Bronsky et leur fillette autiste) agissent de façon ignoble mais ils apparaissent aussi comme des êtres pathétiques, des victimes broyées par une classe dominante, méprisante et sans scrupules que représente le personnage interprété avec justesse par Jean-Pierre Bacri. Si MORT UN DIMANCHE DE PLUIE traite, en filigrane, de plusieurs thèmes passionnants tels que la déshumanisation, la guerre des classes ou l’enfance maltraitée, si sa narration revêt souvent une dimension métaphorique et symbolique, le film de Joël Santoni est avant tout une œuvre stylisée, viscérale, dérangeante (attention à la brève mais traumatisante séquence de la séquestration de Cric) et sans véritable équivalent dans le cinéma français de l’époque. Le film a peut être influencé le thriller américain LA PRISON DE VERRE (Daniel Sackheim, 2001) et a en tout cas fortement inspiré le duo Alexandre Bustillo/ Julien Maury pour leur radical et éprouvant A L’INTERIEUR (2007). Un peu oublié, MORT UN DIMANCHE DE PLUIE est à réévaluer au plus vite !


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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