Murders in the zoo

Un texte signé Alexandre Lecouffe

U.S.A. - 1933 - Edward Sutherland
Interprètes : Lionel Atwill, Kathleen Burke, Charlie Ruggles, Randolph Scott

Si le cinéma d’épouvante, dans son acception la plus large, est présent aux Etats-Unis au temps du muet, essentiellement grâce au génial Lon Chaney (LE FANTOME DE L’OPERA, 1925, de Rupert Julian ; L’INCONNU de Tod Browning, 1927…), c’est à partir de 1931 que le genre va s’épanouir et connaître un retentissant triomphe sous l’égide des chefs d’oeuvre de la Universal : DRACULA (Tod Browning, 1931), FRANKENSTEIN (James Whale, 1931) ou LA MOMIE (Karl Freund, 1932). Devant ces immenses et soudains succès publics, que l’on peut en partie mettre sur le compte d’un besoin de la population d’oublier un quotidien très durement frappé par la crise, d’autres compagnies décident de réaliser leurs « monster movies ». La RKO produira les monuments que sont LES CHASSES DU COMTE ZAROFF (Ernest B. Shoedsak, Irving Pichel, 1932) et KING KONG (Ernest B.Shoedsak, Merian C.Cooper, 1933), la MGM sortira FREAKS (Tod Browning, 1932) après l’avoir amputé d’un tiers de sa durée et la Paramount sera à l’origine de deux excellents films fantastiques : DOCTEUR JECKYLL ET MISTER HYDE (Rouben Mamoulian, 1931) et L’ILE DU DOCTEUR MOREAU (Erle C.Kenton, 1932). C’est cette dernière « major » qui sera à l’origine de MURDERS IN THE ZOO, petite production horrifique donnant la vedette au suave et inquiétant acteur britannique Lionel Atwill qui venait de faire frémir les spectateurs et de tourmenter la belle Fay Wray dans les délicieux DOCTEUR X (1932) et MASQUES DE CIRE (1933) de Michael Curtiz. Le réalisateur Edward Sutherland est quant à lui à peu près oublié ; il eut pourtant une carrière assez exceptionnelle, débutant comme acteur dans les burlesques de Mack Sennett puis dans quelques films de Charlie Chaplin dont il devint l’assistant-réalisateur. Passant ensuite derrière la caméra, il signera de nombreuses comédies à succès (avec son ami W.C.Fields, notamment) jusqu’au milieu des années 40 et ne sortira du genre qu’à l’occasion de ce MURDERS IN THE ZOO.

Le millionnaire Eric Gorman a deux passions dévorantes : les animaux sauvages et son épouse Evelyn. En pleine jungle indochinoise où ils vivent, le riche zoologue va jusqu’à coudre la bouche d’un possible amant de sa femme qui sera ensuite dévoré par les tigres ! De retour aux Etats-Unis, Gorman fait don de nombreux animaux à un zoo ; il y confie au jeune docteur Woodford la tâche de trouver un antidote au venin du terrible mamba qu’il a apporté. Au dîner d’inauguration, un homme que Gorman suspectait à juste titre d’être l’amant d’Evelyn, est mortellement mordu par le serpent ; si le docteur Woodford est accusé de négligence, les soupçons se portent assez vite sur l’excentrique millionnaire…

Tourné l’année précédant l’instauration du code Hays qui interdira toute représentation violente ou érotique dans le cinéma hollywoodien, MURDERS IN THE ZOO peut s’offrir un prologue d’une force graphique assez incroyable : en pleine jungle de studio, un homme au visage tout à fait serein semble recoudre un acolyte blessé qui est situé dans le hors champ ; un plan large nous le montre ensuite les mains liées dans le dos puis l’individu s’approche lentement de la caméra qui fixe alors son visage en gros plan, les yeux exorbités et la bouche cousue, ensanglantée. Outre son impact visuel tétanisant, ce prologue permet de donner un aperçu du caractère extrême du protagoniste et donc de laisser planer sur la suite du métrage un sentiment de menace et de mort permanent.Ce sentiment est encore amplifié par le cadre dans lequel évolue le récit : le zoo, lieu clos, grillagé puis refermé sur lui-même, coupé du monde extérieur après une mesure de mise en quarantaine ; un lieu étouffant d’où sourd un perpétuel danger contenu dans des cages de verre ou de fer : un serpent venimeux, un fauve en colère…Cette ambiance propice à la peur se développe donc progressivement après un premier décès mystérieux, la disparition du mamba et la menace qui semble flotter au-dessus de personnages un peu trop curieux. Parallèlement à cette atmosphère de mystère et d’épouvante, le film dessine également un saisissant portrait de psychopathe dont le sadisme raffiné et l’absence de toute compassion font froid dans le dos. Lionel Atwill est parfait dans ce rôle qu’il connaît bien et certaines de ses répliques pleines d’humour noir sont tout à fait mémorables (« Il n’a strictement rien dit… » répond-il à sa femme qui s’inquiète de l’absence de l’homme à qui il vient de coudre les lèvres…). On pourra toutefois regretter que la tonalité sombre et parfois malsaine du film soit par moments désamorcée par l’intrusion d’éléments comiques avec le personnage de l’attaché de presse alcoolique qui tressaille aussitôt qu’il aperçoit un animal ou par les séquences consacrées à la romance un peu mièvre entre le jeune, beau et valeureux docteur Woodford (Randolph Scott alors débutant et qui deviendra le héros récurrent des excellents westerns de Bud Boetticher, tel COMANCHE STATION, 1960) et sa fiancée qui se trouve être la fille du directeur du zoo. On saluera en revanche l’audacieux sous-texte qui oriente le cinéphile attentif vers une lecture ouvertement sexuelle d’un long métrage truffé de connotations, d’ambiguïtés et de métaphores érotiques. Le personnage joué par Lionel Atwill est en effet décrit comme un être purement narcissique à la libido sur-développée, un véritable prédateur dont le désir ne peut être satisfait que s’il domine totalement sa proie ou décide de s’en débarrasser…A ce titre, son comportement est assez clairement assimilé à celui des animaux auxquels il s’identifie par ailleurs et de ce fait, le zoo qui sert de décor principal au film devient le lieu symbolique de toutes les pulsions, de tous les instincts primaires…

Si MURDERS IN THE ZOO n’est pas toujours à la hauteur d’un point de vue de la mise en scène qui se révèle trop statique voire théâtrale par instants, sa réussite dans la création d’une atmosphère à la fois claustrophobe et délétère est quant à elle indéniable, certaines séquences semblant même préfigurer le chef d’œuvre de Jacques Tourneur, LA FELINE (1942). Le finale où toute la violence et tous les instincts primaires se libèrent enfin, clôt le film sur une mémorable apothéose horrifique. Une œuvre à redécouvrir et à réévaluer.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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