Nails

Un texte signé Tom Flener

Russie - 2003 - Andrey Iskanov
Titres alternatifs : Gvozdi
Interprètes : Alexander Shevchenko, Irina Nikitina, Alexandra Batrumova, Andrey Iskanov

Si NIGHT WATCH de Timur Bekmambetov nous a appris quelque chose, c’est que le cinéma fantastique russe n’est pas mort. A la seule mention de « cinéma fantastique » et de « Russie » dans une seule phrase, même le fan le plus ardent avait des problèmes pour trouver plus récent qu’Andrei Tarkovsky avec STALKER et SOLARIS. A lui seul, NIGHT WATCH a changé tout ça. Maintenant que les portes sont ouvertes, l’occasion de montrer ce dont ils sont capables est offerte à des gens comme Andrey Iskanov.
Le « hitman », le tueur (Alexander Shevchenko) travaille pour le gouvernement au sein d’une élite veillant à ce que les règles morales et politiques du président soient respectées. Après une nouvelle mission, il rentre chez lui et commence à être assailli par des visions. Pour s’en débarrasser, il se martèle des clous dans la cervelle. A son réveil, il semble capable de voir derrière la façade de la réalité. Ses remèdes deviennent de plus en plus extrêmes.
NAILS est un film étrange. Si la trame n’est pas très originale et assez vite racontée, Andrey Iskanov recherche déjà avec son premier film une esthétique très personnelle. Sa mise en scène frénétique tire droit au but, cherchant à donner au spectateur un mal de tête similaire à celui vécu par le protagoniste. Le film débute en noir et blanc pour virer dans la couleur avec le premier clou enfoncé dans la tête du héros. Si la palette reste monochrome au début, les schémas des couleurs semblent de plus en plus chaotiques et le protagoniste perd progressivement le contrôle sur sa perception des choses. Ainsi, sa copine se transforme en monstre et dans une séquence qui en dégoûtera plus d’un, il voit vraiment ce qu’il mange chaque jour.
Face à cet assaut d’images, de couleurs et de bruits, on n’est pas surpris qu’une des influences principales d’Andrey Iskanov soit TETSUO de Shinya Tsukamoto. Ajoutons à cela une prise de David Lynch au temps de ERASERHEAD, des éléments narratifs chers à David Cronenberg ainsi qu’une bande-son agressive, et nous avons un bon exemple de cyberpunk russe. Tout comme TETSUO, NAILS illustre la transformation physique d’un individu et les conséquences sur sa perception de la réalité.
Avec une durée d’une heure, NAILS ne se présente jamais trop long. En ces soixante minutes, Andrey Iskanov travaille sa prémisse centrale jusqu’au but, et sans détour.
Malheureusement, et sûrement par manque de temps et de moyens, il a dû sacrifier un autre sujet intéressant. En effet, l’analyse d’un gouvernement totalitaire et oppressant par un réalisateur underground russe contemporain aurait été fascinante à voir. Or, cet aspect de l’œuvre n’est qu’effleuré au début, et repris très subtilement dans une seule scène au milieu du film. Le premier clou enfoncé, le tueur arrive à percevoir la « vraie » réalité, il voit à travers la surface. Ainsi, il réalise que ce qu’il croyait être de la vraie nourriture s’avère être de la gelée colorée, pleine de pièces de cadavre. Cette critique contre notre culture fast-food et la complaisance humaine face à un standard de vie apparemment élevé, mais en réalité dirigé par des entreprises au visage inhumain, semble être en même temps une référence cachée au SOLEIL VERT de Richard Fleischer.
Si les acteurs ne sont pas toujours crédibles au début, la qualité de leur jeu s’améliore pendant le film. Considérant que le budget ne fut sûrement pas très élevé, Andrey Iskanov nous surprend avec des effets plutôt convaincants et tout à fait adaptés au sujet traité. Même si le film se déroule presque entièrement dans un appartement, cela s’ajoute précisément au sentiment de claustrophobie qu’on ressent tout au long du métrage. Ajoutons une bande-son énervante d’Alexander Shevchenko, tout à fait adéquate, et nous avons le premier film d’un réalisateur au fort potentiel, qu’on se doit d’observer de près et qui peut devenir un futur grand.


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- Article rédigé par : Tom Flener

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