Naked Bullet

Un texte signé Stéphane Bex

Japon - 1969 - Koji Wakamatsu
Titres alternatifs : Yawa hada mushuku : Otoko goroshi onna gorosha
Interprètes : Ken Yoshizawa, Miki Hayashi, Eri Ashikawa

Sorti en 1969, année prolifique pour Wakamatsu, NAKED BULLET pourrait passer pour un hommage au yakuza eiga, ce genre né au Japon au début des années 60 et dans lequel se sont illustrés des réalisateurs comme Seijun Suzuki, Teruo Ishii, Kinji Fukasaku ou encore Masahiro Shinoda. Le réalisateur, ancien yakuza, y évoquerait cet univers qu’il connaît intimement avec ses voyous ambitieux, ses tueurs amoureux et ses femmes traîtresses. Le début n’est pas non plus sans évoquer non plus celle de LA VIERGE VIOLENTE puisqu’un jeune couple tentant de prendre la fuite y est semblablement capturé par les yakuzas pour subir de violentes représailles.
Mais dans ce cas comme dans l’autre, Wakamatsu subvertit assez rapidement l’intrigue, en focalisant le film sur la question du couple et des rapports amoureux. Sho, le jeune garçon ayant tenté de s’enfuir avec Misao se voit forcé par les yakuzas de violer cette dernière sous les regards des voyous afin de se faire épargner, non sans y avoir laissé un doigt en guise de réparation symbolique. La scène caractéristique du viol avec témoins que l’on trouve autant dans le film noir des années 60 (LA SOIF DU MAL) que dans les rape et revenge des années 70, n’est pas ici à ranger dans une forme de didactisme moral mais réintègre une visée plus large à la fois esthétique (tout acte est d’abord cinématographique qui s’effectue devant des spectateurs) et métaphysique : même le rapport le plus amoureux est guidé par une violence fondamentale. Une ellipse dans l’intrigue permet ainsi d’opérer le remplacement de Misao par Akemi et une réorientation de l’intrigue avec un hold-up entre yakuzas et une prise d’otages, mais au final pour retomber dans la répétition du même motif : les rapports amoureux ne sont que les apparences qui déguisent l’égoïsme et la recherche de l’intérêt personnel. Toute alliance est d’emblée minée par une hypocrisie essentielle que leur découverte fatale rend tragique.
A ce constat pessimiste s’il en est, Wakamatsu offre cependant une forme de variation humoristique. Que ce soit sous une forme déceptive – un jeu de filtres permet ainsi de passer des apparences à la réalité de ce que cache l’étreinte amoureuse – ou par la mise en abyme des manipulations exercées par chaque camp, l’œuvre n’est jamais loin de la farce mais d’une farce sérieuse et pourrait presque y trouver avec son couple de tueurs lancés à la poursuite de Sho, une résonance kafkaïenne. Le double mouvement accompli par Wakamatsu dans ses films – mouvement centripète qui se focalise sur un objet ou un but en forme de mcguffin ; mouvement centrifuge qui dilue les identités, les espaces et les rôles sexuels – accomplit la mise en relief critique d’un contenu qui ne vaut que pur autant qu’il puisse être dans le même temps remis en question. Il ne faut pas croire à ce qui est raconté, comme ces petites annonces qui abusent Sho dans un premier temps en lui promettant un pardon qu’il ne trouvera pas. Il faut, de la même manière, pour Wakamatsu, ne pas se laisser faire par les signes illusoires et qui sont, chaque fois, renversables. Le signe de la honte de Sho (le doigt coupé, castration symbolique en hommage à la puissance du boss) deviendra au final l’instrument de sa libération quand il aura su faire d’un vide et d’un manque une arme redoutable. La balle nue du titre est là, dans cette possibilité pour le sens d’aller et venir librement et violemment et d’en frapper les étourdis qui n’auraient pas su voir venir le coup.


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- Article rédigé par : Stéphane Bex

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