Naked Pursuit

Un texte signé Tom Flener

Japon - 1968 - Toshio Okuwaki
Titres alternatifs : Kofun
Interprètes : Masayoshi Nogami, Maki Oaki

Nous en savons très peu concernant le réalisateur Toshio Okuwaki. Et ceux qui désireraient en savoir plus sur lui risquent de se retrouver les mains vides. Il n’a réalisé que pendant quelques années, de 1967 à 1969. Il a tourné plusieurs films pour la World Eiga, une compagnie spécialisée dans le pinku eiga, avant que la Nikkatsu ne vienne s’établir dans le genre au début des années soixante-dix. NAKED PURSUIT est l’un de ces films réalisés pour la World Eiga.
Toshio Okuwaki interprète un étudiant japonais qui se retrouve pris dans des émeutes entre étudiants et la police. Tuant accidentellement un policier, il est arrêté, mais parvient à s’enfuir. Sur la plage où il se cache, il rencontre une fille qui veut se suicider. Il la poursuit et la viole.
Le viol, un sujet majoritairement tabou en Occident, a été depuis toujours un élément important et établi du cinéma érotique japonais. Ainsi, tout pinku eiga qui se respectait devait proposer à son public au moins une scène de viol. NAKED PURSUIT va encore plus loin et se présente en fait comme une longue scène de viol. Ceci peut paraître simpliste et en surface assez répétitif. Effectivement, Toshio Okuwaki n’arrive pas à totalement éviter le piège de la monotonie qu’évoque forcément un schéma répétitif de poursuites et de viols.
Heureusement pour lui, il s’est entouré d’une excellente équipe. Le thème musical expérimental de Jiro Takemura est mémorable, et la photographie en noir et blanc (ainsi qu’en couleur pour la dernière partie du film) de Shizuya Takeda tire le maximum du format 2,40 :1 et des paysages dénudés et vides. En fait, les images sont d’une telle beauté et inventivité qu’elles risquent de prendre le devant, au détriment de l’histoire et même des personnages.
Néanmoins, l’évolution des protagonistes sur la durée du film est évidente. Et grâce aux deux excellents acteurs principaux, ce qui aurait pu être de la pure exploitation s’avère être finalement un bon drame psychologique. Si la fille subit initialement le rôle de la victime, les positions changent quand le violeur découvre pourquoi la fille cherche la mort. Ayant trouvé son copain dans les bras de sa mère, elle décidait d’en finir avec la vie. Lorsque l’homme exprime de la sympathie pour la fille, elle réussit à retourner la situation. A la fin, lorsque le violeur est sur le point d’être arrêté, elle lui jette à la tête que c’est en fait elle qui sort gagnante de leur confrontation. Ceci peut être interprété de différentes façons, mais il semble que l’injection de la couleur à la fin du film signifie le désir de la fille de continuer à vivre après tout, et malgré tout. Cette évolution est d’autant plus remarquable que le film est sans dialogue pendant presque toute sa durée et développe ainsi un calme tout à fait contraire à son contenu exploitatif. Il reste donc aux acteurs à faire ressortir toutes les nuances dans leur performance.
Un autre message, social cette fois-ci, est majoritairement perdu pour un public occidental qui ignore les circonstances dans lesquelles le film sortait à l’époque. Bien que 1968 soit communément acceptée comme l’année du changement (le mai ‘68 vient tout de suite à l’esprit), et bien que des images d’émeutes, de violence policière, et de guerre soient intégrées au film, il est difficile d’en tirer des conclusions sans connaître les sympathies du réalisateur. Si les images documentaires invitent à une réflexion sur la légitimé des manifestations d’étudiants, le réalisateur refuse les sympathies du public envers l’étudiant. En effet, il le montre d’abord comme violeur (compulsif, on pourrait même dire) et ensuite le caractérise comme étant faible et complexé.
La version américaine, créée par le distributeur Box Office International Pictures, compagnie du producteur Harry Novak, est encore une autre histoire. Si le film n’a pas été coupé, le distributeur américain a quand même considérablement changé le dialogue. Quand la version japonaise communique toute interaction entre les deux protagonistes par leurs gestes et regards, l’autre, américaine, préfère se fier au dialogue et au voice-over pour transmettre son message. Ainsi, une réflexion calme et réfléchie devient un produit beaucoup plus exploitatif aux Etats-Unis avec des phrases comme « Non, ne me touche pas ! » et « Tu me fais mal ! » Notons que les protagonistes prononcent presque toutes leurs phrases hors-champs et l’exercice s’avère alors aussi curieux qu’absurde.
NAKED PURSUIT n’est certainement pas un chef-d’œuvre du genre, mais s’avère finalement assez agréable à regarder. Si on peut accepter le thème du viol qui, après tout, est un élément de presque pinku eiga qui se respecte, on a droit à un petit film intéressant et assuré au niveau technique et esthétique. A recommander à tout amateur donc, qui s’intéresse au cinéma érotique japonais et veut voir un exemple du genre pré-Nikkatsu.


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- Article rédigé par : Tom Flener

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