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Neighbor n°13

Neighbor N°13 semble profiter du succès de Old Boy (Park Chan Wook – 2001). En effet, comme son prédécesseur, il est adapté d’un manga dont le thème central est la vengeance. Mais si le film entretient quelques ressemblances avec le film de Park Chan Wook (et de manière plus générale, avec tout son cinéma), il s’en éloigne fortement dans le traitement que le réalisateur, dont c’est le premier film, applique à son histoire.
Juzzo est un jeune garçon dont l’enfance n’a pas été des plus faciles : il était le souffre-douleur de ses camarades de classe, et fut victime des pires humiliations durant sa scolarité. Juzzo a grandi, mais son passé de tête de turc ne cesse de le hanter. Et le destin n’arrange pas les choses, puisque son nouveau voisin et collègue de travail, Akai, s’avère être le responsable des sévices qu’il a autrefois subis. C’est donc pour lui l’occasion de régler ses comptes. Mais Juzzo est un garçon timide, gentil et totalement inoffensif, qui ne semble pas du tout enclin à la vengeance. C’est donc N°13, une seconde personnalité qui prend parfois le contrôle de son corps, qui fera le travail à sa place.
N°13 est un personnage qui est à l’opposé de Juzzo. Le visage de Juzzo est angélique, et ne témoigne d’aucune des tortures dont il fut victime ; celui de N°13 est menaçant et effrayant, marqué par les sévices d’Akai. Juzzo est gentil et serviable ; N°13 est cruel et brutal. Tout oppose donc ces deux personnalités qui partagent le même corps, et N°13 apparaît en fait comme la somme des sentiments refoulés de Juzzo. C’est lui qui a enduré toutes ces souffrances, et il en a tiré la rancoeur qui l’anime. Tout ce que Juzzo ne peut pas faire, c’est N°13 qui s’en occupe. Les deux personnalités de Juzzo sont donc complémentaires du fait de leur différence, ce qui est magnifiquement illustré lors de trop rares scènes oniriques se déroulant dans une petite cabane qui semble symboliser la tête de Juzzo, et que les deux personnages doivent se partager.
Vient donc le moment pour N°13 de se venger, et il n’ira pas par quatre chemins. Dès le début du film, l’empathie du spectateur se dirige vers le personnage de Juzzo. Et quand celui-ci se laisse dominer par N°13, son côté bestial, c’est réellement jouissif. Mais rapidement, la cruauté de N°13 s’avère si extrême qu’elle en devient effrayante et incompréhensible. Il commence par s’approprier l’appartement d’Akai dans une scène des plus troublantes, puis il tue, sans raison, un ami de Juzzo. Enfin, c’est à l’enfant d’Akai que N°13 s’en prend directement. Et c’est là que le manque d’humanité du personnage se fait vraiment ressentir. C’est d’autant plus frappant qu’à partir de ce moment-là, le personnage de Juzzo est complètement absent du film. La vengeance perpétrée par N°13, qui semblait d’abord justifiée, en devient ainsi totalement absurde, et c’est Akai qui apparaît alors comme une victime. Lui qui semblait le pire salaud du monde devient finalement le seul personnage auquel le spectateur peut se rattacher.
Le film joue donc avec nos émotions de manière déstabilisante. Et la mise en scène de Yasuo Inoue y est aussi pour beaucoup. D’abord, les plans fixes et très longs confèrent au film un rythme très lent, qui va à l’opposé de la brutalité du scénario. De même, la manière dont la violence est représentée est surprenante : elle est montrée de façon brutale et frontale quand elle est commise par Akai ou par l’un de ses hommes ; et elle est filmée beaucoup plus calmement (généralement elle se déroule lors de longs plans d’ensemble) quand c’est N°13 qui s’y adonne. Une manière de faire la distinction entre deux formes de violence : celle, totalement gratuite, perpétrée par Akai, et qui semble presque anodine face à celle de N°13, qu’elle a engendrée, et qui est totalement absurde du fait de sa cruauté. La caméra semble ne pas oser regarder en face cette violence, et le spectateur, plutôt que de la ressentir comme c’était le cas quand Juzzo était victime, en est simplement témoin, la constate. La distanciation entre le spectateur et cette violence que crée la mise en scène renforce alors cette impression d’absurdité et d’inutilité. La victime devient donc le bourreau, et sa vengeance, animée par une haine refoulée depuis des années, surpasse les limites de la cruauté humaine.
Neighbor N°13 est donc une réflexion sur la violence et sur la place qu’elle prend dans la société à travers une fine analyse psychologique. La mise en scène de Yasuo Inoue crée une atmosphère toute particulière, sombre et mélancolique, qui évite le sentiment de déjà vu. Les acteurs sont particulièrement bons, et l’on retiendra bien évidemment ce N°13, dont l’attitude et le visage sont difficiles à oublier après la vision de ce film.

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