Nemesis (Sam was here)

Un texte signé Patrick Barras

France, USA - 2016 - Christophe Deroo
Interprètes : Rusty Joiner, Sigrid La Chapelle, Rhoda pell

Représentant de commerce, Sam arpente les paysage désertiques du Sud des États Unis au volant de son coupé Mercedes, avec un ours en peluche comme passager. Une mission relevant de prime abord pour lui d’une corvée, l’amenant à prospecter une série de hameaux isolés dont les habitants semblent tous avoir disparu à la hâte. Décidé de guerre lasse à jeter l’éponge, Sam va progressivement se retrouver en butte à des messages menaçants l’accusant d’immondes méfaits, avant de réaliser qu’il est devenu l’objet de la haine de toute une population invisible et la proie de certains de ses membres surgissant de l’ombre…

Dès les premières minutes, NEMESIS laisse fortement transpirer le goût avéré de Christophe Deroo (dont c’est le premier long métrage) pour le cinéma de genre. Que ce soit au travers de décors et de plans sur des paysages rendus familiers par Tobbe Hooper ou Wes Craven, puis repris et sublimés par Rob Zombie ou encore Alexandre Aja ; ou de manière criante dès les premières notes et sonorités du générique de début, dû au groupe électro Normand CHRISTINE, dont la filiation avec les compositions de John Carpenter ne fait aucun doute (un coup d’oeil sur les clips du combo incriminé suffit par ailleurs à confirmer l’attrait qu’il peut avoir pour les bobines horrifiques ou fantastiques des années 70 et 80…).

Si la carte des références et des citations est clairement et d’entrée de jeu abattue (DUEL de Spielberg en tête, pour ce qui est du personnage solitaire luttant contre un péril sans visage), il y a fort à parier que certains se retrouveront assez décontenancés face à un métrage qui semble un peu trop bien annoncer la couleur.

Pour qui pense appréhender uniquement NEMESIS comme un survival ou un banal thriller horrifique, la perplexité, si ce n’est la frustration, risquent bien d’être au rendez-vous. Il en ira probablement de même pour ceux qui s’attendront à un classique twist final censé expliciter clairement ce que la vision des 1h 13 du film a pris soin de lentement exposer. Car c’est bien la lenteur qui sous-tend la réalisation et qui en partie oriente plus le film vers un autre genre ; le fantastique, mais dans l’acceptation la plus traditionnelle du terme : Le glissement progressif et patiemment orchestré d’un univers familier à un univers tout autre, régi par des lois et principes totalement différents. En conséquence, pour une durée supérieure à un épisode d’une bonne série comme BLACK MIRROR, NEMESIS laissera forcément l’impression de posséder des longueurs. C’est peut être l’occasion de se questionner sur notre propre formatage par les séries, par des récits et des formats articulés autour de perpétuels rebondissements et des enchaînements d’évènements censés captiver et retenir notre attention et maintenir notre engouement.

Au lieu de longueurs, parlons plutôt de langueur en ce qui concerne la réalisation de Deroo. Sam met le pied dans un univers figé et quasi hors du temps, en tout cas de la notion que nous en avons, où une simple tasse, encore fumante sur le coin d’une table rend l’absence totale d’êtres vivants aux alentours encore plus incongrue ; où l’impossibilité de contacter par téléphone ses proches renforce son isolement dans ce nouvel univers qui s’annonçait pourtant banalement familier. La durée des plans, la tonalité vieux Polaroid des prises de vues extérieures ne font que participer à nous projeter aux côtés de Sam et, à son instar, à nous faire perdre nos repères.

Cela est étayé par ces plans ponctuels sur de vieux écrans de surveillance vidéo dont on se demande qui les regarde vraiment, ces travelling aériens laissant présager une présence omnipotente qui hanterait la région que Sam traverse ; et enfin par le personnage invisible de Eddy, énigmatique animateur de radio qui semble faire office de chaman en charge de cristalliser la haine et le ressentiment des habitants du cru envers lui et de coordonner sa traque. Il ne faut pas oublier également une étrange lueur rouge qui apparaîtra de manière récurrente et que l’on pourra au final percevoir comme l’exact contraire du tunnel de lumière blanche censé libérer les âmes de leur attachement au monde terrestre.

Pour le reste, il est difficile de parler de NEMESIS sans trop déflorer un scénario dont certains pourront regretter la concision, l’apparentant à de l’inconsistance, et les non-dits. Le fait est que Christophe Deroo pratique ici un cinéma plus impressionniste que purement démonstratif et qui peut nous laisser sur notre faim. Il l’affirme lui même (mais sans aucun misérabilisme, loin de là), les différents aspects de la conception de son film, et jusqu’à son esthétique, lui ont été dictés par les moyens (que l’on devine frugaux) mis à sa disposition ; mais il nous livre un cinéma de plasticien (sa formation initiale avant d’aborder le cinéma, comme il le révèle en interview) de toute beauté, un cinéma qui n’a pas, pour le coup, les yeux plus gros que le ventre et qui tire parfaitement parti du peu qui lui est alloué.

En fin de compte, Deroo semble bien aussi faire confiance à la sensibilité, à l’intelligence (supposés ?…) et à la culture (tout le monde connait Némésis, non ?…) de ses spectateurs. Et c’est ce qui donne envie de suivre son travail à venir…


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- Article rédigé par : Patrick Barras

- Ses films préférés : Il était une fois en Amérique, Apocalypse now, Affreux, sales et méchants, Suspiria, Massacre à la tronçonneuse


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