Nicolas Boukhrief

Un texte signé Éric Peretti

- 2012
Titres alternatifs : (1ère partie)

C’est à Lyon, lors de l’édition 2012 du festival Hallucinations Collectives où il officiait en tant que membre du jury, que nous avons rencontré le cinéaste Nicolas Boukhrief. Aussi prolixe que sympathique, ce cinéphile est revenu sur sa carrière avec franchise lors d’une discussion entre deux séances.

Sueurs Froides : Comment en es-tu arrivé à réaliser ton premier long métrage, VA MOURIRE en 1995 ?

Nicolas Boukhrief : J’avais suivi tout le tournage de L’AMOUR BRAQUE (1985) en tant que journaliste et après, comme je m’entendais bien avec Zulawski, je suis devenu son assistant personnel pendant quelques années. J’ai travaillé avec lui sur le projet de MALADIE D’AMOUR, mais le film a fini par être réalisé par Jacques Deray en 1987. J’ai aussi été son assistant sur un film qui s’appelait JEANNE D’ARC, un gros projet qu’il voulait réaliser, j’avais effectué les repérages, mais là encore le film ne s’est pas fait. Au bout d’un moment, j’ai voulu me lancer dans la réalisation. J’avais une expérience de plateau sur les films des autres, mais comme je n’avais pas tourné de courts métrages, je n’avais pas d’expérience dans la fabrication d’images. Bon, j’avais fait des petits sujets pour Arte, pour un magazine culturel, mais je n’avais jamais réalisé de fiction. Du coup je me suis dit que j’allais parler de ce que je connaissais. J’ai donc essayé d’écrire une trame fictionnelle sur trois ragazzi d’Antibes. J’en ai écrit quinze versions qui partaient dans tous les sens à chaque fois, puis un vague scénario pas trop abouti mais qui m’a permis de raconter cette histoire dans ce décor qui me tenait à cœur.

Sueurs Froides : Le montage financier a dû être difficile si tu n’avais pas d’expérience.

Nicolas Boukhrief : Pas vraiment en fait, car à l’époque si votre film obtenait l’avance sur recettes, le pré-achat de Canal+ était presque systématique. Je me suis dit que si je faisais un film sur ma région, sur le pourquoi je voulais en parler, sur la montée du FN en filigrane, ça allait être un film d’auteur et que je pouvais prétendre à l’avance sur recettes. Et je l’ai eu. C’était Jeanne Moreau qui en était la présidente à l’époque, et j’ai appris par la suite qu’elle avait beaucoup aimé le côté énergique et original du projet. Le côté régionaliste a aussi joué pour obtenir l’avance. Bref, j’avais eu les 600 000 francs qu’il me fallait pour faire le film.

Sueurs Froides : Ton travail d’assistant t’a aidé pour réaliser ton film ?

Nicolas Boukhrief : C’est venu assez naturellement en fait. J’avais quand même réalisé des films super 8, j’avais donc des notions de découpage et de montage. Avec Zulawski, j’avais appris à scénariser, et à ce moment j’avais déjà écrit TOUT LE MONDE N’A PAS EU LA CHANCE D’AVOIR DES PARENTS COMMUNISTES (1993). Venant de l’écrit j’étais à l’aise en ce qui concerne le texte, je n’avais pas l’angoisse de la page blanche par rapport au scénario. Avec Zulawski, j’avais dirigé des comédiens lors des préparations de films, je n’avais pas non plus d’appréhension par rapport aux comédiens. Comme j’avais lu que Ozu ne travaillait qu’avec une seule focale, je me suis dit que c’était possible de faire comme lui et j’ai foncé.

Sueurs Froides : Le film dégage une telle énergie que l’on devine un tournage à l’arrache.

Nicolas Boukhrief : Il a duré six semaines, sans trop de répétitions. Je réécrivais le scénario au fur et à mesure. Le fait de connaître la ville, j’y suis né et j’y ai passé plus de 18 ans, m’a évité de faire des repérages, je savais où j’allais tourner.

Sueurs Froides : Sans être déprimant, le film est assez mélancolique et ne force pas trop sur le pathos.

Nicolas Boukhrief : Je l’ai investi de la mélancolie que je ressentais en effet, vis à vis de ma région natale. Quand tu viens de la Côte d’Azur et que tu vas à Paris, tu souffres un peu, la Méditerranée te manque. VA MOURIRE a un côté film sur le paradis perdu. Par contre si, il y a du pathos à la fin. Je n’ai pas revu le film, mais dans le souvenir que j’en ai, je pense qu’il y a des choses très ratées, notamment le personnage féminin que j’ai rendu abstrait, fantomatique. Par contre, j’aime bien la scène sur la plage où il vont casser de l’homo, à cause du décor qui est intéressant, et la scène à la fin où il se mordent entre eux, en se battant dans la montagne.

Sueurs Froides : Ça a été difficile de passer du statut de critique à celui de cinéaste ?

Nicolas Boukhrief : À Starfix, on ne se percevait pas comme des critiques, mais comme des énervés du cinéma. On avait un peu ce fantasme d’être les nouveaux Cahiers du Cinéma et le support papier était un moyen d’échanger nos idées. On a d’ailleurs mis des années à prendre une carte de presse, on ne voulait pas de cette carte de journaliste. La revue était plus une façon pour nous de balancer nos pensées sur le cinéma qu’une démarche critique. On savait qu’on était journaliste de fait, mais on voulait tous faire autre chose. Christophe Gans, Doug Headline et moi-même sommes passés à la réalisation, François Cognard est devenu producteur.

Sueurs Froides : Comment en es-tu arrivé à travailler sur le scénario de ASSASSIN(S), le film de Mathieu Kassovitz ?

Nicolas Boukhrief : On s’est rencontré par hasard, il lisait Starfix, je lui ai dit le bien que je pensais de LA HAINE. C’est lui qui m’a fait voir son court métrage en me disant qu’il souhaitait en faire un long. Il m’a un peu dit comment il voyait les choses, j’ai rebondi sur ses idées, et de fil en aiguille on a bossé ensemble. Mathieu m’a crédité seul au générique pour le scénario. C’est un cadeau qu’il a voulu me faire et qui m’a surpris lorsque je l’ai vu au festival de Cannes car il ne me l’avais pas dit. Le scénario, pour moi, c’est avant tout l’idée originale, or elle venait du court métrage de Kassovitz.

Sueurs Froides : Ton second film, LE PLAISIR (ET SES PETITS TRACAS) est bien différent du précédent.

Nicolas Boukhrief : Pour mon second film, je n’avais pas de sujet, et je m’étais rendu compte que j’avais un manque technique certain. Si je voulais passer à des choses plus sérieuses, il fallait que je puisse appréhender la technique. J’ai alors pensé adapter La Ronde de Arthur Schnitzler. On m’a beaucoup reproché de vouloir refaire le film de Ophüls, alors que j’adaptais la pièce d’origine. J’en faisais ma version, mais la presse en a pensé autrement… Pour moi, c’était l’occasion de réaliser plein de petites histoires et de faire tous les courts métrages que je n’avais pas pu faire auparavant, de pouvoir expérimenter, de faire des cascades, de tourner à Paris, à la campagne. Mais le tournage a été un cauchemar pour des raisons de coproduction italienne extrêmement malhonnête. Ça m’a tout de même permis de finir mon apprentissage technique de façon à pouvoir enfin passer au film de genre, ce qui était mon désir depuis toujours. Mais comme j’avais trop de respect pour le cinéma de genre, je ne me voyais pas faire un polar en ne maîtrisant pas un minimum la technique.

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- Article rédigé par : Éric Peretti

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