Nocturama

Un texte signé Sophie Schweitzer

France - 2016 - Bertrand Bonello
Interprètes : Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers, Manal Issa, Hamza Meziani, Rabah Nait Oufella, Jamil McCraven

David, Yacine, Sabrina, Mika, Omar, Sarah, Samir et Greg sont issus de milieux différents, d’origines différentes, mais sont portés par leur jeunesse et leur envie de changer le monde. Bien décidés à frapper un grand coup, ils organisent plusieurs attentats marquants. Ils ne veulent cependant blesser personne, simplement s’attaquer aux symboles du système. Après un chassé croisé dans les couloirs du métro parisien, les institutions banquières et administratives, nos jeunes gens doivent se retrouver dans un grand magasin une fois celui-ci fermé. Très vite ils réalisent que l’un d’entre eux, Greg manque à l’appel. Et si leur plan échouait ?

NOCTURAMA est le dernier film de Bertand Bonello. L’APOLLONIDE et YVES SAINT LAURENT ses deux précédents films étaient d’une beauté plastique assez exceptionnelle. Films historiques d’une grande modernité surfant sur la vague des séries produites par Canal + comme BORGIA, VERSAILLES ou encore MAISON CLOSE, ils proposaient une vision moderne de grandes figures de notre culture. NOCTURAMA s’oppose par bien des manières à ses précédents films, en choisissant une esthétique sobre, voire parfois peu élogieux (comme ces plans du métro sombres et tristes) et en s’attaquant à notre époque.

Très ancré dans l’actualité, NOCTURAMA met en scène des jeunes gens qui se sentent exclus du système (subissant le chômage, marginalisés parfois victime du racisme) ou le rejettent (fils de la bourgeoisie rêvant de rompre avec l’héritage familial). Ils tout simplement faire exploser cette société. A leurs yeux, la société est paternaliste, vieillissante, tournée uniquement vers elle-même, incapable d’entendre sa jeunesse. Et ils pensent se faire entendre en faisant plusieurs attentats en plein Paris. Ceci fait écho au vote massif des jeunes pour des candidats antisystème lors des présidentielles de la même année que la sortie du film, 2017.

NOCTURAMA est un film hautement référencé. Ainsi, le titre fait directement référence à GLAMOURAMA, le roman de Bret Easton Ellis, dont l’écriture a déjà défini une jeunesse en contradiction avec la société. Et le choix du lieu, le centre commercial où trouvent refuge nos jeunes terroristes en herbe est une référence à ZOMBIE. Le film de George Romero montrait des morts vivants continuant à fréquenter le supermarché du coin bien après leur mort. Autant de références, glorieuses, qui montrent à quel point le film de Bonello cherche à provoquer autant qu’à montrer la fracture entre la société et sa jeunesse qui se perd de plus en plus. Provocateur par ses références, comme l’est Bret Easton Ellis, mais aussi par son sujet hautement brûlant. Car il ne condamne jamais ses personnages, il ne les juge pas, même si la société le fait à sa place dans un final aussi tragique que touchant.

En effet, parler d’attentat à Paris, alors même que la ville a subit plusieurs attaques sanglantes d’organisations terroristes, c’est un pari risqué. NOCTURAMA peut en effet au mieux gêner le public, au pire être considéré comme une justification ou tentative de, des actes terroristes. Parce que Bonello colle sa caméra au plus près de ces jeunes gens de la préparation à l’élaboration et application de leur actes terroristes jusqu’à leur fuite et leur attente au sein de leur cachette mais aussi et surtout pour la fin tragique qu’il met en scène sans laisser d’équivoque sur qui sont les héros du film.

Bonello interroge surtout la capacité de la société à intégrer sa jeunesse et à prendre en considération .e fait qu’une partie de la jeunesse adhère à des idéaux en complète opposition avec le système occidental qui tend à exclure ceux qui ne peuvent s’y intégrer ou ne veulent le faire. Les politiques devront répondre à cette question mais pas seulement. En effet, ce n’est pas qu’une question politique. C’est aussi une opposition entre deux générations : celle ayant connu les trente glorieuses et celle qui ne connaît que les crises économiques qui s’enchaînent. Elle perçoit très vite les tragédies mondiales à travers internet et a le net sentiment de ne pas vivre dans le même monde que l’ancienne génération qui ne les écoute guère. Bertrand Bonello questionne : Prendra-t-on la peine d’écouter la jeunesse avant qu’elle ne se radicalise ? Et puis, n’est-il pas trop tard ? Le fossé qui s’est creusé entre les générations n’est-il pas déjà trop grand ?

Bonello est un réalisateur qui a toujours pris soin de son image laquelle qu’il compose avec réflexion et attention. On avait pu remarquer avec YVES SAINT LAURENT à quel point la composition était importante de son image, jusqu’au choix des costumes. Le réalisateur français le démontre ici encore mais différemment. Chez Bonello, l’esthétique sert un propos, celui du film. Ainsi, quand nos jeunes gens parcourent le grand magasin où ils sont enfermés, la caméra s’amuse à se balader parmi eux, à virevolter, pour mieux faire ressentir au spectateur leur exaltation et leur cynisme. Comme dans cette scène tragicomique où l’un des personnages se travesti pour chanter comme une diva alors qu’ils se savent condamnés. Cet instant de pure magie sonne comme un chant du cygne. C’est un moment de grâce qui ne se reproduira plus. Il marque le métrage d’un sentiment de mélancolie.

Victimes consentantes et rebelles à la fois de ce système, nos jeunes gens comprennent que trop tard qu’ils finiront avalés par celui-ci, et régurgités de force. Bonello filme une jeunesse sacrifiée, de celle qui va en guerre et meurt sur le champ de bataille. Une histoire qui tend à se répéter au fil des siècles. Quelque soit la bataille, la jeunesse finit toujours par verser son sang. Ce constat imprègne le spectateur à la fin de NOCTURAMA, un qui impose un regard critique sur notre société et ses dysfonctionnements.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà


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