Noires sont les galaxies

Un texte signé Stéphane Bex

France - 1981 - Daniel Moosman
Interprètes : Richard Fontana, Catherine Leprince, François Perrot

Qui se souvient de NOIRES SONT LES GALAXIES, série de SF à la française, écrite par Jacques Armand et réalisée par Daniel Moosmann, diffusée en 1981 sur Antenne 2 ? C’est à l’initiative d’Elephant Films et dans la collection Les joyaux de la télévision à laquelle on doit les inédits d’ALFRED HITCHCOCK PRESENTE ou encore la série CHERI-BIBI, que l’on peut redécouvrir cette mini-série de 4 épisodes originaux et intrigants.
La série étonne pour plusieurs raisons. La première par son caractère quasi unique dans le paysage audiovisuel français au tournant des années 70-80 qui se caractérise essentiellement par des fictions réalistes ou naturalistes. Loin du BUCK ROGERS ou du feuilleton SAN KU KAI qui règnent sur les petits écrans comme représentants du genre science-fictionnel, NOIRES SONT LES GALAXIES propose une expérience télévisuelle qui serait plutôt à rapprocher de LA POUPEE SANGLANTE et LA MACHINE A ASSASSINER, mini-séries fantastiques inspirées par l’univers de Gaston Leroux. Il règne ici comme là, par-delà la spécificité des genres, le même sentiment d’angoisse sourde et une forme de noirceur radicale qu’on a peu revues depuis.
Non que la série de Moosman ne soit non plus sans influence revendiquée. Il est difficile par exemple de ne pas relier cette histoire d’extra-terrestres venus prendre possession de la terre et de ses habitants en investissant leur corps, du célèbre remake par Kaufman de L’INVASION DES PROFANATEURS DE SEPULTURE sorti trois ans auparavant au cinéma. Ici comme là, le transfert de corps en corps s’opère par le biais d’une prolifération végétale, symbole d’une vie silencieuse attendant son heure pour prendre possession du monde.
Mais la fiction de Moosman est plus complexe que le film de Kaufman ; ce sont cette fois deux races d’extra-terrestres qui se disputent la terre et dédoublent le problème de l’invasion. D’un côté les Exis, race – le nom est transparent – d’exilés prennent l’apparence des humains en endossant leur dépouille de cadavres, seule manière pour eux de résister à la pollution terrestre. De l’autre côté, les Ninx, ennemis des Exis et des humains, massacrent les premiers en leur faisant respirer une graine qui se développe comme plante à l’intérieur de leur corps et finit par les tuer ; quant aux seconds, ils envisagent de les massacrer en masse afin de prendre leur place en investissant de force leur corps.
La fiction peut paraître confuse et de nombreux problèmes posés gardent leur mystère : comment par exemple les Ninx s’emparent-ils exactement des humains ? Outre le charme certain de l’irrésolu, il faut vraisemblablement reconnaître que l’argument SF dissimule une vérité plus socio-politique. Difficile de ne pas voir dans ces “exilés” galactiques des immigrés à qui serait refusé droit de cité sur le sol qu’ils ont élu. Pourchassés et exécutés, ils semblent être les victimes précurseuses d’un grand mouvement qui prend l’humanité entière pour cible. Derrière les Exis, ce sont tous les hommes qui risquent d’être délogés de leur humanité faute de saisir les enjeux historiques qui sont les leurs. On ne pourra ainsi que souscrire à l’heureux hasard qui fit coïncider la sortie de la série avec le changement politique et la victoire de la gauche aux présidentielles de 1981. L’inquiétude face au changement politique se retrouve dans l’angoisse feutrée d’une fiction paranoïaque dans laquelle les socialistes auraient remplacé les communistes ciblés habituellement dans leur habit extra-terrestre.
Le second point qui fait l’intérêt de la série réside dans le choix de sa distribution disparate et non dénuée de charme. On retrouve ainsi avec plaisir dans le rôle de Coretta, l’empêcheuse de tourner en rond, le minois boudeur de Catherine Leprince qui fit beaucoup pour l’érotisme mutin à la française dans VIVE LES FEMMES !, l’adaptation filmique de l’ouvrage de Reiser, mais aussi dans une incertaine composition de docteur à laquelle on ne croit pas une seconde, Richard Fontana, acteur issu du théâtre et qui offre ici une prestation étrange, à la frontière de Jean-Pierre Léaud et Tchéky Kario, et dont le sous-jeu volontaire et l’apparent désinvestissement offrent un contrepoint bienvenu à la noirceur de l’intrigue. Les seconds rôles, sans rien proposer de remarquable ont cependant le mérite de se dédoubler entre personnage humain et extraterrestre, passant ainsi d’un réalisme lourdaud à une forme de jeu volontairement désubstantialisé et somnambulique. La poésie y gagne.

Enfin, last but not least, l’ambiance générale de la série, à mi-chemin entre l’accumulation foutraque de genres et une noirceur métaphysique n’a que peu d’équivalent dans le monde télévisuel ou cinématographique. Il n’est que de considérer l’ouverture d’un noir d’encre (cela débute par un suicide nocturne)à laquelle succède la scène de deux ambulanciers avinés transportant le corps. Comme si AU COEUR DES TENEBRES se continuait dans l’univers d’une verdeur naturaliste pour finalement s’achever en allégorie psychédélique et nihiliste. Ces sauts stylistiques et esthétiques se retrouvent dans l’ensemble de la série, offrant ainsi de belles fulgurances. Le portrait désolé des banlieues et d’une province sordide et désertée se déchire soudain dans le deuxième épisode par l’apparition dans une friche industrielle d’un laboratoire extra-terrestre, comme si LES ENVAHISSEURS, la célèbre série avait étendu ses tentacules jusque sur notre territoire. Des maisons bourgeoises se transforment en décharges et à l’intérieur de corps à l’expression retenue se mettent à pousser, irrépressibles, des plantes anarchiques si bien qu’on se croirait pendant un instant dans un film de Bunuel. On pourrait énumérer de nombreuses trouvailles de la série, sans parler de la fin, une des plus belles et des plus radicales qu’il ait été donné de voir.

Si l’on attend là de la science-fiction pure et dure ou le gore promis parfois, on ne saurait être que déçu et l’on ferait mieux de passer son chemin. Si, en revanche, on trouve dans la beauté du titre un souffle poétique, et si l’on est prêt à se laisser porter par les invraisemblances de la fiction et des jeux d’acteur, on appréciera ce cauchemar à la noirceur lente, profonde et épaisse, à cette vision d’un monde englué dont le récent UNDER THE SKIN de Jonathan Glazer, avec son extra-terrestre à la recherche d’incarnation offre un moderne écho.


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- Article rédigé par : Stéphane Bex

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