Nos Amis Les Terriens

Un texte signé Philippe Delvaux

France - 2006 - Bernard Werber
Interprètes : Annelise Hesme, Audrey Dana, Boris Ventura, Thomas Le Douarec, Sellig, Pierre Arditi,Wioletta Michalczuk, Viktoria Li,Tonio Descanvelle, Shirley Bousquet

Adaptation de sa propre pièce de théâtre, NOS AMIS LES TERRIENS est du pur Werber. Les familiers de l’auteur de la trilogie des fourmis, du cycle des Thanatonautes ou du cycle des dieux (actuellement en cours, le troisième tome devant paraître en octobre de cette année) y retrouveront les thèmes de prédilection de leur auteur de chevet, par ailleurs ancien journaliste scientifique.
Pour les aficionados, il semblerait qu’une captation de la pièce de théâtre NOS AMIS LES HUMAINS (notez la légère adaptation du titre) ait été réalisée fin 2005. Bernard Werber en a réalisé un court-métrage éponyme tourné en un jour et demi en caméra digitale, et qui a servi de base pour NOS AMIS LES TERRIENS.
NOS AMIS LES TERRIENS s’inscrit aussi dans cette vague de documentaires, qui réinvestit le grand écran depuis quelques années, à la croisée des documentaires « sérieux » ou politiquement engagés (UNE VÉRITÉ QUI DÉRANGE, LE CAUCHEMAR DE DARWIN, WE FEED THE WORLD, NOTRE PAIN QUOTIDIEN, LE GRAND SILENCE…) et des mockumentaires qui n’en finissent plus de nous faire rire depuis le FORGOTTEN SILVER de Peter Jackson (mais on pourrait remonter bien plus loin, par exemple à SPINAL TAP), en passant par un récent Werner Herzog (INCIDENT AT LOCH NESS, en fait réalisé par Zack Penn). Il s’apparente plus à une parodie du documentaire scientifique (WHAT THE BLEEP DO WE KNOW). Bernard Werber assure en effet vouloir démonter le discours scientifique ambiant qui avance avec une tranquille assurance des propos souvent assez peu étayés scientifiquement. Il charge le style même du documentaire scientifique et des propos que ce dernier nous assène en nous priant de les prendre pour argent comptant.
A vrai dire et si on s’attache à l’histoire racontée, NOS AMIS LES TERRIENS tire également sur le fil du conte philosophique du 18e siècle, qui, sous couvert de présenter des mœurs de sociétés étrangères (les voyages de Gulliver de Jonathan Swift ou ceux du Candide de Voltaire) critiquait la société de son époque. La censure n’ayant plus la même prise qu’au siècle des lumières, Werber ne doit plus se cacher derrière la description d’une société miroir et peut nous parler directement de nous… Mais vu par le prisme d’aliens. Le procédé n’est pas neuf : BD, roman et films ont déjà utilisé la vision du bon sauvage ou de l’extraterrestre pour critiquer notre société, mais il garde toujours sa pertinence.
Werber aime à porter un regard d’entomologiste sur l’humanité, ce qui ressortait à l’évidence de son cycle des fourmis mais trouve également résonance dans L’empire des anges. Il aime à créer des univers cohérents, des systèmes à la fois fonctionnels (le monde des fourmis ou celui des morts), totalitaires (l’individu est écrasé par le système) et grippés (l’individu qui cherche à comprendre le système pour ensuite le dépasser). On peut donc trouver des prolongements politiques et philosophiques dans l’œuvre de l’écrivain-cinéaste. A ce titre, nous vous encourageons à lire en parallèle le cycle des fourmis avec la trilogie romanesque des ringu (oui, ceux-là mêmes qui sont à la base de la vague horrifique japonaise). Ces deux cycles rédigés à la même époque présentent certaines similitudes thématiques en décrivant des systèmes sociaux purement logiques (le monde quasi robotisé des fourmis ou celui virtuel du 3e volet de la saga ring) dans lesquels un individu prend conscience d’une réalité supérieure purement transcendante. MATRIX ne fera rien d’autre que de s’inscrire dans ce courant peu de temps après.
NOS AMIS LES TERRIENS n’est cependant pas un film parfait : la mécanique en est un peu trop répétitive, la farce insuffisamment corrosive. Que l’on s’attarde sur son discours sur l’humain (un être imparfait, incohérent) ou sur le pamphlet à l’encontre des documentaires scientifiques, la démonstration reste insatisfaisante : le premier thème est banal, le second, motif véritable, insuffisamment étayé. Bernard Werber attaque mais démontre peu. On nous rétorquera que ce n’est pas son propos, qu’il s’agit d’un film et non d’une thèse. Certes, mais reste dans ce contexte à le traiter sous un angle purement cinématographique. Et c’est là que le bât blesse. La narration est un peu laborieuse et le rythme monocorde finit par lasser. Attention, le film n’est pas une purge, loin de là. L’ensemble se laisse regarder et est traversé de passages humoristiques qui font parfois mouche. Il est simplement en deçà des espoirs qu’on avait pu placer en lui. Le format du court, voire du moyen métrage se serait peut-être révélé plus judicieux. Le système littéraire Werberien trouve sans doute ses limites dans une transposition non adaptée au médium cinéma. Gageons qu’un projet ultérieur de Bernard Werber s’appuiera sur cette première expérience du long métrage pour un résultat amélioré.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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