Notre-Dame des loups

Un texte signé Angélique Boloré

Adrien Tomas, jeune trentenaire, est un auteur français de fantasy. Et à la lecture de Notre-Dame des loups, son troisième roman, on pourrait dire qu’il s’agit en réalité d’un « prometteur » jeune auteur français de fantasy.
Tout d’abord, histoire de se débarrasser rapidement de la forme, Notre-Dame des Loups est un roman court, c’est-à-dire moins de 200 pages en typographie de taille 12. Autant dire qu’il s’agit là d’une audacieuse rébellion face à l’actuelle mode d’édition de livres-rivières alimentant des séries-fleuves. Ensuite, la couverture du livre, peu exigeante et sans grand charisme ne rend pas du tout service au roman, qui pour sa part, manifestera une réelle volonté de se démarquer et arborera une personnalité propre.
Notre nouvel auteur donc s’attache à l’un des plus anciens et célèbres mythes du fantastique, la lycanthropie. Sans changer grand-chose au mythe en lui-même, il apporte cependant quelques éléments nouveaux. Diantre, quelle audace ! Et cela fonctionne parfaitement bien. Dès les premières pages, la curiosité du lecteur est grandement titillée. Les nouveaux faits « historiques » ancrent le scénario dans le réel et Adrian Tomas s’attache le lecteur à travers l’invention d’un nouveau vocabulaire loup-garouesque qui apporte la précieuse touche originale. Ainsi, les chasseurs de loups-garous s’appellent maintenant des Veneurs, leur art du massacre de Rejs féroces, la Vénerie et ils distribuent allègrement des « perles » et non plus des bastos en argent.
Pour illustrer son histoire, Adrien Tomas choisit l’époque si typique du Far West. Winchester, chevaux et cow-boys sont au programme, ainsi qu’un indéfinissable ouest américain aux sombres forêts, enneigé et résolument isolé. Ce choix ne fleure pas l’originalité galopante mais cela fait néanmoins le boulot, les pages défilent rapidement devant les yeux du lecteur. Celui-ci se laisse très facilement prendre par les événements (qui rapidement s’enchaînent les uns après les autres), les différents lieux (qui défilent sous les sabots des canassons) et les tueries (qui s’accumulent à une vitesse effrayante). Le lecteur tombe sous le charme, parce que le tout est bien plaisant et parce que c’est bien fait.
Dans Notre-Dame des loups, le bémol réside dans le choix des personnages. Ces derniers, rapidement brossés, confinent aux stéréotypes engoncés dans leurs caractéristiques rigides et sans surprise. L’équipe de Veneurs se compose de plusieurs membres. Le meneur, Jack tient le rôle peu enviable du salaud sans cœur, la coquille vide implacable et effrayante. Würm, la « mémoire » du groupe représente l’inévitable sage, émotionnellement illisible, plein de mystère tout germanique, l’aristocrate de la vieille Europe exilé au pays des peaux de bison miteuses. Et la liste continue ainsi, avec le vieux forgeron taiseux, l’impitoyable négresse dresseuse de molosses féroces et l’indienne non-monsieur-je-suis-pas-une-sauvage. Cette fourchette de personnages sans grand effet prend le lecteur au jeu mais sans parvenir néanmoins à lui éviter l’arrière-goût de facilité. Cependant, au détour d’un chapitre, un personnage particulier va briller, se révéler bien au-dessus du lot en arborant cette chose si précieuse, une douce surprise, un délicieux sursaut de folie. Adrien Tomas parvient en effet à polir l’un de ses personnages et à en faire un joyau éphémère, quelqu’un présentant une intéressante fêlure, un beau personnage moins lisse et attendu que les autres.
Mais le lecteur n’est pas au bout de ses peines, Notre-Dame des loups réserve une autre perle… En si peu de pages, il était difficile de s’ennuyer. D’autant plus que l’écriture précise, rapide, simple et entraînante rythme fort efficacement le récit et que le lecteur dévore littéralement les chapitres. Mais là où réside un intérêt incontestable, on peut même dire enthousiasmant, c’est dans la structure même de la narration. Sans dévoiler l’affaire parce que cela serait dommage, Adrien Tomas a eu une excellente idée. Il a construit son exposition de l’histoire et des personnages, leur passé, leurs relations, d’une manière nouvelle et surprenante. Au début le lecteur suit les pérégrinations des uns et des autres sans trop se poser de questions, c’est normal, il découvre l’histoire. Ensuite, il fronce les sourcils, une première fois… puis une seconde fois… Il cherche à comprendre ce qui lui arrive, à reprendre pied dans le récit. Plus tard, il comprend et se met alors à l’affût des indices disséminés au fil du récit. Mais jamais l’auteur ne perd son lecteur, il le surprend, le triture, c’est un procédé très intéressant et qui fonctionne très bien avec cette histoire de chasseurs et de loups-garous, de Veneurs et de Rejs.
Notre-Dame des loups vaut indéniablement le coup d’œil du lecteur avide. L’achat en neuf peut sembler un tantinet onéreux car 183 pages pour 18 euros, avec une couverture particulièrement peu séduisante, ce n’est pas rien. Mais rassurons-nous, Mnémos va apparemment le sortir prochainement dans une version revue et corrigée en format poche dans sa collection Hélios.


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- Article rédigé par : Angélique Boloré

- Ses films préférés : Autant en Emporte le Vent, Les dents de la Mer, Cannibal Holocaust, Hurlement, L’invasion des Profanateurs de Sépultures

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